Consultations sur les langues officielles : un anti-mémoire

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[LETTRE OUVERTE]

Un mémoire qui ne risque pas d’être « entendu ».

RÉJEAN BEAULIEU

Compte-tenu de l’état moribond des lieux, cette consultation aurait dû mobiliser toutes les forces de la société civile canadienne pour relancer une réflexion sur les langues officielles après tant d’années de déclin et de torts causés à tous ces organismes. En campagne électorale, Justin Trudeau parlait bel et bien de « véritables changements » et de réengagement du gouvernement avec la population. Mélanie Joly, ministre du Patrimoine Canadien, se présentait comme une personne branchée à l’affût du virage numérique. Stéphane Dion, le pionnier du plan d’action, s’était bien exprimé sur les détournements inacceptables du financement attribué aux langues officielles. Les deux dernières consultations tenues sous les Conservateurs, en 2007 et en 2012, avaient été misérablement ratées et celle-ci sous un gouvernement libéral ne le serait pas. Tant d’attentes. En outre, plus de 1 milliard de $, jamais audités indépendamment, lui sont officiellement alloués. Il s’agissait pourtant d’une occasion unique de réflexion sur ce qui demeure l’ADN linguistique de l’État canadien à ce jour, cela malgré de grands changements démographiques (et autres).

Or, aucun média, aucun commentateur politique, aucune personnalité canadienne, aucun parti politique, aucun officier du parlement (Sénateur, Ombudsman, Commissaire, etc) ou chef de parti, que ça soit du côté francophone, anglophone ou allophone, vétéran ou étoile montante, n’a fait l’effort de commenter publiquement. Aucun média anglophone, grand ou petit, public ou privé, pas même CBC. Comme si les langues officielles, c’était seulement une affaire de francophones. Rien de Postmedia et leur National Post, pas même au Ottawa Citizen ou sur The Gazette où la minorité linguistique anglophone (souvent allophone) montréalaise aurait pu être intéressée. Rien du Globe, du Toronto Star, du Walrus, de Rabble, du Tyee ou de Ricochet. Aucun commentaire de Chantal Hébert, d’Andrew Coyne, de John Ralston Saul et de Charles Taylor parmi tant d’autres qui auraient pu commenter. Googlez « official languages consultation » pour confirmer par vous-même l’état pathétique de la consultation. Du côté francophone, quasiment rien à Radio-Canada ou à la Presse Canadienne, rien au Devoir, à la Presse ou au Droit (ex-GESCA), à Québecor ou dans les médias plus souverainistes tels Vigile ou l’Aut Journal. Aucun commentaire de Marissal, de Gérald Bouchard, de Lagacé, de Martineau, de Bock-Côté, de Longpré, de Facal, de Dubuc, et de VLB parmi autres. Comme si les derniers souverainistes continuaient à souhaiter que les langues officielles s’effondrent sous leur propre poids, sinon l’apathie. Pas loin du quasiment rien dans l’Association de la Presse Francophone (hors-Québec), à TFO ou à UNIS en pause estivale. L’initiative citoyenne #Réveilleton peine à mener la veille médiatique requise, devant des forces implacables et le bruit médiatique estival ambiant.

Manque d’intérêt

Tant et aussi longtemps que ceux qui devraient porter attention ne le font pas, l’immense majorité des Canadiens et de leurs médias ne s’intéressa pas aux langues officielles et à leur renouvellement. Alors, peu importe que l’on indexe les allocations, qu’on les réduise, qu’on les augmente, qu’on dépense plus ou moins en immigration, petite enfance, médias, éducation (immersion ou programmes francophones), économie, tourisme, santé, justice ou gouvernance, tant et aussi longtemps que les Canadiens ne seront pas plus intéressés, le milliard demeurera en grande partie gaspillé par des bureaucraties opaques qui ont tout intérêt à se cacher du radar. La consultation estivale ayant court présentement représente donc un terrible gaspillage et une occasion manquée de renouvellement, telles les consultations antérieures de 2012 et de 2007, similairement évitées par les médias. Tenir des rencontres dites publiques ignorées par l’immense majorité des Canadiens et de leurs médias dans une vingtaine de villes au pays avec tout l’appareil de traduction simultanée démontre bien le gaspillage de nos ressources publiques en jeu, sinon le délire d’une bureaucratie hors-contrôle. Que les principaux acteurs s’en pètent les bretelles devrait susciter l’indignation. Réentendre de villes en villes les mêmes litanies répétées par les mêmes organismes de consultations en consultations (2007, 2012 et 2016) devant le/la ministre tel que dictées à l’origine par les bureaucrates devient complètement imbuvable.

La culture du huis-clos sévissant autour de ces consultations est toxique et désengage même les plus motivés. Seuls des groupes d’intérêt déjà subjugués dans leur financement peuvent participer à des tables rondes dites « publiques », annoncées en catimini à la dernière minute sans même un agenda des participants et l’endroit de la rencontre. Comme si on voulait se cacher d’une maladie honteuse. Similairement contraints dans leur financement, les médias sont incapables d’une couverture juste d’affaires publiques et sont relégués à un rôle de simple courroie de transmission d’aucun intérêt au grand public sollicité ailleurs. Certes, pas des conditions propices au renouvellement. Tenir ces consultations en été (ou durant la période des Fêtes) parce que c’était la seule période de disponibilité du/de la Ministre démontre un profond mépris pour celle des Canadiens (et de leurs médias), incapable de porter intérêt dans ces périodes de relâche. Ce choix illustre bien ce dont ces bureaucraties sont capables pour se maintenir, lorsque les médias ne sont plus capables de faire leur travail, que les gens ont de plus en plus de difficultés à s’intéresser aux affaires publiques et que les groupes d’intérêt sont complètement absorbés pour leur propre survie par le financement accordé par ces bureaucrates et carriéristes politiques. Donc, aucun mémoire n’est déposé ou partagé publiquement. Aucun chiffre de participation n’est disponible. Aucun journaliste ne twitte durant ces rencontres. Et le principal organisme porte-parole ose invoquer le #NousComptons dans sa campagne de promotion de la consultation! Le mot-clique #LANG2016 est principalement un soliloque dans la twittosphère, tout comme cet « anti-mémoire ». Situation similaire sur le média social Facebook, et en 2012 sous le mot-clique #LOcons.

Qui est responsable?

Le ministère du Patrimoine Canadien doit porter une grande part de responsabilité pour le terrible état d’apathie des Canadiens et de leurs médias en matière de langues officielles. Ce ministère est responsable après tout pour une grande part du milliard de $ attribué envers la promotion des langues officielles. Le personnel relationniste y pullule, à en juger par les termes promotionnels de la consultation, les catégories et questions posées dans le sondage en ligne ou encore le « Joignez-vous à la discussion en ligne » qui ne va nulle part et saborde sa propre campagne. Des individus sans scrupules ont bel et bien choisi la période estivale pour tenir ces consultations, plus propice aux festivités et photo-ops de remise de subventions, malgré les « leçons apprises » de la dernière tenue en été. Cette période n’est pourtant aucunement propice à la réflexion publique ou à la mobilisation, ce que les bureaucrates et personnel relationniste ne souhaitent pas de toute évidence. Pire encore, le lendemain de la fête nationale de l’Acadie était choisi pour la rencontre de Moncton, tout comme en 2012 pour celle de Halifax. Comme si on ne voulait vraiment pas « consulter »… Rappelons ici que le parcours de la ministre en charge en est un principalement de relationniste, sans aucun gravitas pour la réflexion ou le grand ménage organisationnel requis. Notons que la lettre de mandat du premier ministre ne lui demandait aucunement de mener une refonte des langues officielles, le programme à peine mentionné en période électorale, certes pas le grand ménage à Patrimoine Canada. Notons enfin que la ministre a été incapable d’associer son dada personnel du « virage numérique » aux langues officielles, et à leur renouvellement. Le bateau vogue complètement à la dérive en l’absence de leadership à tous les niveaux.

Le sujet délicat des langues officielles

Le sujet délicat des langues officielles pèse depuis longtemps parmi tous les partis politiques canadiens et même québécois. Il n’apporte plus de votes tel jadis, lorsque le Québec menaçait de séparation. Tous les représentants des partis politiques et leurs porte-paroles sont donc contraints à répéter des banalités dans lesquelles plus personne ne croit plus depuis longtemps, de peur que le moindre brassage leur coûte des votes. Tant et aussi longtemps que l’absence de leadership politique perdurera, les médias et les Canadiens ne porteront pas attention et laisseront le champ libre au magouillage et au déclin systémique de l’institution. Le traitement au respirateur artificiel de la minorité francophone canadienne est ainsi entré en soins palliatifs. Les fonds alloués ont déjà été redirigés vers l’anglicisation accélérée. Par exemple, des organismes francophones se battent entre eux pour obtenir leur financement afin d’intégrer les derniers arrivants francophones en anglais. Un huis clos a dû être invoqué pour éviter l’embarras. Le français est aussi dévalorisé en réallouant le financement aux langues autochtones, ou en éliminant par sous-traitance aux plus bas soumissionnaires, en matière de formation linguistique et de traduction. Le programme des langues officielles est également utilisé pour récompenser les amis du parti comme on fait au Sénat ou dans les ambassades, en l’absence de contrôles financiers et vigilance. Ce qui est arrivé à la politique canadienne du biculturalisme est en train d’arriver à celle du bilinguisme, personne ne veillant au grain.

Il ne faut pas s’étonner si les éléments les plus dynamiques d’une société (e.g. classe jeunesse, entrepreneuriale, immigrante et créatrice) restent le plus loin possible des langues officielles dans de telles conditions de déclin. Et qu’on soit pris avec les éléments les plus ringards, sans espoir de rémission. Alors, malgré des investissements énormes en éducation, e.g. immersion, le français peine à respirer passé le primaire dans tout le hors-Québec. Les espaces véritablement publiques « bilingues » y sont inexistants, cette consultation elle-même en étant une des manifestations les plus sinistres. Peu importe les investissements en matière de jeunesse énormes de ces dernières années, les résultats probants se limitent aux « relations publiques » de meneurs et meneuses de claques sans absolument aucun soutien du public, tel que démontré par cette consultation, tout comme en 2012 et 2007.

Dans un tel contexte, la consultation actuelle sur les langues officielles rappelle le village bidon Potemkin russe maintenu artificiellement pour faire à croire. Le grand problème : plus personne ne les voit ou ne les entend. Certes, pas en été. And who cares?

Réjean Beaulieu est un militant francophone de Vancouver.

Note : Les opinions exprimées dans les lettres ouvertes publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.