Dix faits méconnus sur Gisèle Lalonde : un hommage

Gisèle Lalonde, entourée des élèves Tesia Bryski (12e année) et Stéphanie Dunn (11e année) à l'école secondaire publique d'Orléans qui porte son nom, la veille du premier Jour des Franco-Ontariens, le 24 septembre 2010.
Gisèle Lalonde, entourée des élèves Tesia Bryski (12e année) et Stéphanie Dunn (11e année) à l'école secondaire publique d'Orléans qui porte son nom, la veille du premier Jour des Franco-Ontariens, le 24 septembre 2010. Crédit photo : archives de Diego Elizondo.

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

À la fin du mois de février 1933, tout l’Ontario français fête en grande pompe Samuel Genest. Le président de 1913 à 1930 de la Commission des écoles séparées d’Ottawa a été l’un des principaux chefs de file de la résistance lors de la lutte contre le Règlement XVII (1912-1927). Déjà conscients de l’impact inestimable de Genest et de sa place dans l’histoire collective franco-ontarienne, la communauté le célèbre en grand, au moment où ce héros s’apprête à se retirer dans ses terres.

Car le fougueux et éloquent militant franco-ontarien est dorénavant âgé de 67 ans et en filigrane, on sent que sa fin approche (il décédera quatre ans plus tard). Même si une école de langue française à Eastview porte son nom depuis 1930, de vibrantes festivités sont organisées à Ottawa en son honneur et dureront deux jours. Les témoignages, provenant de partout au Canada français, se multiplient pendant une semaine dans la presse écrite.

Le principal intéressé livre un discours émouvant aux allures de testament.

« Nous laissons après nous des patriotes convaincus. C’est vous qui serez appelés à nous succéder. Montrez pour la défense de vos droits le même courage que ces mères de famille dans la prise de l’école Guigues […] Oui, quand je partirai, je verserai des larmes de joie en pensant qu’il y aura encore des patriotes pour continuer l’œuvre commencée », déclare-t-il devant 3000 élèves des écoles de langue française.

Des patriotes convaincus pour continuer l’œuvre franco-ontarienne commencée par des militants de la trempe de Genest étaient attendus. Mais qui spécifiquement allait reprendre le flambeau?

Le hasard aura voulu que ce soit dans la même municipalité où est située l’École Genest que voit le jour celle qui allait fasciner à son tour et à sa manière la communauté franco-ontarienne, particulièrement (mais pas seulement) dans l’adversité.

Gisèle Lalonde (née Deschamps) est décédée le 27 juillet dernier à l’âge de 89 ans. Véritable monument de la francophonie, sa vie a été consacrée à l’avancement, à l’épanouissement et à la défense de la communauté franco-ontarienne. Pionnière et bâtisseuse, sa place était déjà bien assurée dans les livres d’histoire quand il y a un quart de siècle, à l’âge de 63 ans, elle prend la tête de la cause qui allait la propulser au-devant des projecteurs et lui conférer une popularité communautaire incontestable et même une notoriété nationale.

Une pluie d’hommages a été rendue à Gisèle Lalonde depuis son décès, à juste titre. Les faits marquants de sa vie ont été répétés dans les médias, mais bien au-delà de la sauvegarde de l’Hôpital Montfort, l’œuvre et l’impact de Gisèle Lalonde furent multiples, divers et quelquefois insoupçonnés. Cette chronique vous présente 10 faits méconnus sur elle.

Archives ONFR+

1) L’École Montfort avant l’Hôpital Montfort

Bien avant de monter au front pour sauver l’Hôpital Montfort, c’est à l’école éponyme que tout a commencé pour Gisèle Lalonde : « cette volonté de me battre pour le fait français en Ontario, c’est grâce à l’école Montfort que je l’ai obtenue », déclara-t-elle en 2009 celle qui a fréquenté l’école comme élève de 1939 à 1945. En 1951, elle entamera sa carrière en éducation dans cette même école. Qui plus est, la maison d’enfance de Gisèle Lalonde était située à l’angle des rues Marier et… Montfort.

2) Diplômée de la première école secondaire bilingue publique de l’Ontario

Gisèle Lalonde obtient son diplôme d’école secondaire de l’École secondaire Eastview High School en 1950, dans la première cohorte diplômée. Ouverte en 1949, cette école est le premier établissement scolaire secondaire publique bilingue de l’Ontario. À l’époque, Eastview se dote d’institutions phares sous l’impulsion d’une élite de chefs de files et de bâtisseurs parmi lesquels on trouve le maire, Donat Grandmaître; le curé de la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes, Edmond Ducharme; le député provincial, Daniel Nault et l’entrepreneur en construction, William D’aoust. Ceux-ci seront tous membres fondateurs de l’hôpital Saint-Louis-de-Montfort, ouvert en 1953.

3) Fracasser des plafonds de verre, les uns après les autres

Déjà que le parcours de Gisèle Lalonde est en tout point impressionnant, il l’est d’autant plus qu’il l’a été à une époque marquée par les inégalités hommes/femmes.

Seule fille diplômée de la cohorte de 1950 de l’École secondaire d’Eastview High School, Gisèle Lalonde devient la première femme élue conseillère scolaire à Eastview en 1964. Elle sera ensuite la première femme élue conseillère scolaire au Conseil des écoles séparées catholiques d’Ottawa en 1969 et présidera même le conseil, poste naguère occupé par Samuel Genest.

La militante franco-ontarienne Gisèle Lalonde. Crédit image : Stéphane Bédard

Gisèle Lalonde est l’une des premières femmes franco-ontariennes à se présenter aux élections provinciales et la première dans l’histoire de sa circonscription d’Ottawa-Est lorsqu’elle est candidate pour le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario, en 1977.

Depuis son décès, il a souvent été écrit dans les médias qu’elle a été la première femme mairesse de Vanier. Précision, elle a été la seule, aucune femme n’a occupé ce poste avant ou après elle.

Plus impressionnant encore est le fait que lorsque Gisèle Lalonde se fait élire une première fois à la mairie de Vanier en 1985, jamais une femme n’avait été élue au conseil municipal de la Cité de Vanier. Pas même comme conseillère municipale.

Enfin, c’est sous sa direction que se tient en 1985 à Toronto le premier Symposium pour la femme francophone et que les rues Pauline-Charron et Ida-Rocheleau apparaissent dans la toponymie de Vanier.

4) Presque sénatrice… par deux fois

Dans une entrevue parue dans Le Droit en 1991, Gisèle Lalonde ne se prive pas pour indiquer son intérêt de siéger au Sénat du Canada, afin de représenter les Franco-Ontariens. Mais elle souhaite être élue et non nommée à la Chambre haute selon les principes du Sénat triple E (élu, équitable et efficace) tels que prônés la droite politique canadienne à l’époque. En 2005, son nom circule à nouveau dans les médias. Elle est pressentie pour remplacer le sénateur Jean-Robert Gauthier qui doit prendre sa retraite, obligatoirement. Le député fédéral d’Ottawa-Orléans de l’époque, le Franco-Ontarien Marc Godbout, déclare ouvertement avoir moussé la candidature de Gisèle Lalonde auprès du premier ministre du Canada, Paul Martin.

5) Le Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques : sa plus grande fierté

Gisèle Lalonde m’a déjà confié que bien que pleinement consciente qu’elle sera à jamais associée à la victoire de la survie de l’Hôpital Montfort, sa réussite qui la rend la plus fière est la co- fondation en 1974 du Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques (CFORP) qu’elle dirige jusqu’en 1985. À l’époque où Gisèle Lalonde fut enseignante, de 1951 à 1973, elle s’est vite aperçue que les Franco-Ontariens n’avaient pas accès à du matériel pédagogique dans leur langue et que les enseignants devaient en créer de toutes pièces ou le traduire depuis l’anglais. Le CFORP est venu combler cette lacune.

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À l’inauguration-du-Centre-franco-ontarien-de-ressources-pedagogiques.-On-peut-voir-sur-la-photographie-Gerard-Raymond-Gisele-Lalonde-Bernard-Grandmaitre-et-Jean-Robert-Gauthier. Crédit image : Université d’Ottawa, CRCCF

6) La plus décorée de l’histoire

Gisèle Lalonde est la Franco-Ontarienne qui a reçu le plus d’honneurs, de prix et de reconnaissances, confirme le chercheur et auteur franco-ontarien Jean Yves Pelletier qui a effectué la compilation dans son manuscrit inédit intitulé « Prix et Ordres en Ontario français ».

Pas moins de trente-sept honneurs lui ont été remis en date de 2016 selon son neveu et chroniqueur du Droit Denis Gratton, dont cinq diplômes honorifiques de collègues et universités.

7) Fierté civique retrouvée à Vanier

Gisèle Lalonde se lance en politique municipale alors qu’un débat de longue date fait rage sur une potentielle fusion municipale entre la Cité de Vanier et la ville d’Ottawa. Elle s’oppose à la fusion et se donne pour mandat dès sa première élection en 1985 de redonner une fierté à ses concitoyens en misant sur le développement économique, la culture et le tourisme. Bref, en faisant de la construction identitaire.

Investments, embellissements et agrandissements territoriaux figurent en tête de liste de ses accomplissements alors que coïncident le centième anniversaire de la paroisse Notre-Dame-de- Lourdes et le 75e anniversaire de Vanier. Moult activités, festivités et carnavals sont organisés, dont le premier Festival des sucres.

Bon nombre d’organismes franco-ontariens s’établiront aussi à Vanier durant son mandat, dont l’ACFO provinciale (en 1986) et le CFORP (1992). Au passage, elle fonde en 1988 l’Association des municipalités française de l’Ontario et préside l’organisme jusqu’en 1991.

La fondatrice de l’Association française des municipalités de l’Ontario, Gisèle Lalonde, lors du 28e congrès annuel de l’organisme en 2017. Archives ONFR+

C’est aussi grâce à elle si le parc Richelieu revient dans le giron municipal de Vanier. En effet, elle négocie le rapatriement de ce territoire qui avait été vendu dans les années 1970 à la Commission de la capitale nationale. Le rapatriement territorial pour Vanier de son lieu de fondation, l’Île Cummings (située dans la rivière Rideau) trônait aussi dans ses priorités dès son élection.

Moins connu que l’École secondaire publique d’Orléans qui porte son nom depuis 2003, l’édifice patrimonial où loge la succursale Vanier de la bibliothèque d’Ottawa, dans le parc Richelieu- Vanier, porte aussi son nom. Il en fut de même pour une salle de conférence du CFORP de 1992 à 2018, environ.

8) Après SOS Montfort, d’autres combats

La lutte pour la survie de l’Hôpital Montfort n’était pas une fin en soi pour Gisèle Lalonde.

D’autres combats ont marqué sa vie, même après la fin de son plus célèbre.

Créée dans la foulée de SOS Montfort en 1997 qui a mis en relief les limites des protections accordées aux minorités linguistiques, Gisèle Lalonde devient co-présidente d’Opération Constitution, un groupe qui vise à faire enchâsser les droits des Franco-Ontariens dans la constitution canadienne. Tournées, conférences de presse, publications, l’initiative durera jusqu’en 2003.

Le grand ralliement pour sauver l’hôpital, le 22 mars 1997. Crédit image : Hôpital Montfort

De 2005 à 2008, environ, Gisèle Lalonde est porte-parole et présidente d’honneur de SOS Haïti, un organisme d’Ottawa-Gatineau à la vocation humanitaire. Les dons sollicités permettent entre autres le parrainage d’un orphelinat aux Gonaïves et la mise en place d’autres programmes communautaires à Haïti.

En 2007, Gisèle Lalonde se présente devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes pour dénoncer avec force l’abolition du Programme de contestation judiciaire, qui a permis à SOS Montfort de livrer bataille devant les tribunaux.

Enfin, en 2015, elle fait une sortie médiatique remarquée où elle lance un nouveau S.O.S. à la suite d’une décision de l’Ontario Federation of School Athletic Associations qui oblige les élèves ontariens inscrits dans un programme spot-études de résider dans un certain rayon de leur école, ce qui nuit aux élèves francophones.

9) Sa première Journée des Franco-Ontariens

Où et avec qui Gisèle Lalonde a-t-elle célébré la première journée provinciale des Franco-Ontariens, en 2010? Avec les élèves de l’école secondaire qui porte son nom à Orléans!

À l’invitation du Gouvernement des élèves de l’école secondaire, Gisèle Lalonde accepte de participer à la cérémonie matinale qui marque l’entrée de cette première journée de commémoration annuelle, les 25 septembre. Une saynète est présentée par le Gouvernement des élèves devant l’école, où ils personnifient des personnages historiques de l’Ontario français :

Étienne Brûlé, Monseigneur Joseph-Bruno Guigues, Aurèle Joliat et Amanda Walker-Marchand.

Le clou de la cérémonie, Gisèle Lalonde elle-même, fait une apparition à la fin, en jouant son propre rôle.

Elle accepte de se prêter au jeu à l’invitation des élèves, même si elle se remettait d’un arrêt cardiorespiratoire subi un mois auparavant et qu’il s’agissait de sa première sortie publique depuis.

10) Co-fondatrice du Collège Samuel-Genest

D’abord conseillère scolaire, puis présidente du Conseil des écoles séparées catholiques d’Ottawa en 1974 et 1976, Gisèle Lalonde est membre du comité de fondation du bureau des gouverneurs du Collège Samuel-Genest en 1978-1979. L’école secondaire d’Ottawa est la première de confession catholique à ouvrir ses portes depuis l’obtention, dix ans auparavant, par les Franco-Ontariens d’écoles secondaires publiques de langue française.

Le sens de l’histoire

Gisèle Lalonde avait le sens de l’histoire, avait confiance en nous-mêmes et savait nous inspirer.

Elle était authentique, accessible, altruiste et charismatique. Sa porte était toujours grande ouverte. Elle était animée de convictions inébranlables et ne reculait devant rien.

Le destin voudra que quatre mois (presque jour pour jour) après les festivités en l’honneur de Samuel Genest en 1933, naisse celle qui allait le mieux incarner la relève qu’annonçait Genest dans son discours – sans doute même au-delà de ses plus grandes espérances.

Au firmament franco-ontarien, les voilà maintenant qui veillent sur nous.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.