110 ans de lutte : la résilience du Droit à l’image de l’Ontario français

La première édition du journal papier Le Droit le 27 mars 1913. Gracieuseté du Droit

OTTAWA – Le 27 mars 1913, Le Droit a été fondé à Ottawa pour donner une voix aux francophones, en lutte contre le Règlement 17 qui restreignait l’utilisation du français dans les écoles ontariennes. Des hauts et des bas pendant plus de 100 ans et une transformation du journal. Plus d’un siècle d’existence avec des restructurations et le désir de vivre.

« Quand l’avenir d’un demi-million de Canadien français est en jeu, il n’est pas permis de négliger les moyens de lutte. Et quelle meilleure arme qu’un journal. » Cette phrase, tirée de la « une » de la première édition du Droit, brille encore aujourd’hui par sa pertinence… 110 ans plus tard.

« Le Droit était une propriété des Oblats qui l’ont dirigé pendant les 70 premières années », raconte Pierre Jury, l’ancien éditorialiste du journal. « C’était une autre époque », lance-t-il. « Dans les années 1970, le monde a commencé à changer. Le journal s’est mis à vivre des déficits plus importants. »

Le Droit était le quotidien d’Ottawa-Hull, le seul quotidien franco-ontarien. « Il y avait aussi une imprimerie commerciale, un hebdo local gratuit, le journal Prions à l’église qui faisait partie de l’empire du Droit », rappelle l’ancien journaliste.  

Pierre Jury a travaillé pour Le Droit pendant 34 ans, il a démissionné en 2020. Archives ONFR+

Il faut dire que les Oblats, une communauté religieuse, détenaient la station radiophonique CKCH, les centres de loisirs et un grand nombre d’organisations religieuses. En ce temps-là, 95 % de la population était de foi catholique.

Depuis, il en a fait du chemin ce journal franco-ontarien. Il est passé par des mains différentes aussi : Unimedia en 1983, une grève de trois mois en 1988 lorsque Le Droit était une propriété du magnat de la presse Conrad Black, puis racheté en 2001 et encore en 2013 par le Groupe Capitales Médias (GCM), mais qui fait faillite en 2019.

Une lutte pour la pérennité à l’ère du numérique

Le Droit a vécu des périodes difficiles, avec l’érosion des marchés publicitaires et l’arrivée en masse des médias sociaux. Tous les journaux ont vu leur rentabilité être affectée.

En 2020, les six quotidiens régionaux du Groupe Capitales Médias, dont fait partie Le Droit (Le Soleil, Le Nouvelliste, La Tribune, Le Quotidien/Le Progrès et La Voix de l’Est), deviennent le plus grand groupe de presse sur le modèle coopératif au pays. Le Droit déménage alors côté Québec.

Un coup dur pour la communauté franco-ontarienne, déplorait l’ancien conseiller Mathieu Fleury à nos confrères de Radio-Canada. Mais les raisons financières dépassaient certains engagements parfois. Ainsi Le Droit a pu profiter de l’aide du gouvernement du Québec sous forme de crédit d’impôt sur la masse salariale.

Durant la pandémie de COVID-19, la Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2i) avait annoncé la mise à pied de plusieurs employés, dont 23 au journal Le Droit. « La crise qui frappe le monde entier, et qui entraîne une chute brutale et sans précédent de nos revenus publicitaires, nous amène à prendre des décisions rapides et douloureuses », pouvions-nous lire dans une communication de mars 2020.

L’art de se remettre en question

Le 25 mars dernier, la rédactrice en chef du Droit, Marie-Claude Lortie publiait dans son édito : « Le Droit vous l’a dit longtemps en papier, bien imprimé, plié, parfois livré. Il le dit maintenant sur des écrans qui nous suivent partout et ne nous laissent jamais tomber. »

Pendant la pandémie, le quotidien avait finalement décidé de publier son édition papier uniquement les samedis. En entrevue avec ONFR+, Marie-Claude Lortie, s’est dite fière de ces 110 ans et réaffirme cette transition au numérique, « éventuellement, il n’y aura plus de papier ».

« Notre mission reste inchangée, depuis quelques années la mission des vraies nouvelles est devenue plus importante que jamais. »

Marie-Claude Lortie , rédactrice en chef journal Le Droit. Crédit image : Patrick Woodbury

On ne pourra pas dire que Le Droit s’est reposé sur ses lauriers. Non, Le Droit est toujours poussé par une motivation, selon M. Jury. « Il tient sa cote d’amour auprès du public parce que, sans eux, un journal ne peut tenir », rappelle l’ancien éditorialiste.

« C’est une évidence, mais c’est bien de le répéter, parce que la presse à ses défis. Je leur souhaite de vivre encore longtemps, mais je sais que les défis seront grands au cours de la prochaine année. »

Un modèle économique qui évolue

« La coopérative, ça a été bon pour Le Droit », assure Mme Lortie, première rédactrice en chef de l’histoire du journal. « C’est très porteur pour l’avenir, la diversité, l’équité, les valeurs sociales et la collaboration. C’est très moderne et c’est un modèle économique basé sur le partage. »

« Avec Internet, les médias se remettent en question depuis plusieurs années déjà. Le modèle de gestion participative et le modèle numérique, selon moi, ce sont vraiment des modèles d’avenir. »

Elle le répète : « Il n’y a pas d’interférence, c’est complètement indépendant. »

Au milieu du mois de mars, la coopérative avait annoncé un nouveau changement dans son modèle de fonctionnement. « La structure des six quotidiens régionaux de la Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2i) sera simplifiée et pourra se qualifier fiscalement à titre d’organisme à but non lucratif. »

Les six « coops » locales ont donc fusionné. Un changement qui « facilitera l’accès aux programmes de crédits d’impôt ». Le directeur général de la coopérative, Stéphane Lavallée avait annoncé au journal Le Soleil, que ce changement intervenait afin d’enlever un poids à l’organisation. « Un comité aviseur sera mis en place dans chaque média local afin d’assurer la contribution des membres dans la structure regroupée. »

Ce modèle sans but lucratif n’enlèvera rien aux ambitions du média, selon Marie-Claude Lortie. « Je veux continuer de faire un journal ouvert et qui répond le mieux possible aux besoins d’informations des gens dans leur communauté. Ce n’est pas un journal qui s’intéresse seulement à son pâté de maisons, mais tourné vers le monde. Le monde nous concerne tous. »

« L’importance de notre travail c’est d’expliquer aussi que le monde est à nos portes et en quoi c’est pertinent pour tous. Il faut le faire avec minutie et professionnalisme. »