150 ans de progrès et de défis pour le bilinguisme

Le commissariat aux langues officielles du Canada organisait une journée de réflexion et de discussions sur 150 ans de bilinguisme législatif et judiciaire, le dimanche 5 mars. Crédit photo: Richard Tardif

OTTAWA – Le bilinguisme, dans les lois comme en matière de justice, reste un défi au Canada. Des progrès ont été faits, assurent les experts, qui reconnaissent toutefois qu’il reste encore beaucoup à faire.

« Nous venons de très loin. Il y a eu des progrès remarquables, mais ils sont encore très récents », a lancé en préambule d’une journée de réflexion et de discussions sur 150 ans de bilinguisme législatif et judiciaire au Canada, l’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache.

L’événement, organisé par le commissariat aux langues officielles du Canada (CLO), rassemblait quelque 250 personnes, le dimanche 5 mars. L’objectif était de rappeler l’histoire du bilinguisme lors de la création de la confédération, d’évaluer les progrès accomplis, mais aussi de parler d’avenir.

Au moment de penser ce qui allait devenir le Canada, le juge Bastarache remarque que les pères de la confédération avaient créé des droits linguistiques très limités. En fait, il a fallu attendre les cinquante dernières années pour que la question linguistique soit véritablement considérée, affirme-t-il.

La Loi sur les langues officielles, en 1969, la Charte canadienne des droits et libertés, en 1982, ainsi que certaines décisions des tribunaux comme l’arrêt Mahé, en 1990, par exemple, ont façonné le bilinguisme canadien. Aujourd’hui, plusieurs provinces comptent mêmes leurs propres lois pour garantir les droits linguistiques de leurs minorités de langue officielle, comme en Ontario, à l’Île-du-Prince-Édouard ou encore en Nouvelle-Écosse.

« Sur le plan législatif, il y a eu beaucoup de progrès, même si cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes. Sur le plan judiciaire, il y a aussi eu des progrès, mais il reste encore beaucoup à faire. Je pense notamment au bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada qui devrait être inscrit dans une loi. Ce n’est pas un caprice, c’est une nécessité », souligne l’avocat, Michel Doucet.

Le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, relativise.

« Depuis les dernières années, on a fait beaucoup de progrès. En matière judiciaire notamment, on a progressé au niveau du code criminel, par exemple. Mais des fois, en ayant le nez collé à l’arbre, on ne voit pas l’ensemble de la forêt. »

La commissaire aux langues officielles du Canada par intérim, Ghislaine Saikaley se montre optimiste, soulignant l’annonce récente du gouvernement fédéral de revoir le processus de nomination des juges des cours supérieures.

« C’est une action concrète par rapport à notre étude conjointe de 2013 sur l’accès à la justice. »

En entrevue avec #ONfr, elle poursuit : « On a un engagement de la ministre de la Justice qui considère les recommandations du rapport. Le retour du programme de contestation judiciaire est également une bonne nouvelle, même si on continue de demander une loi pour assurer sa pérennité. Ce sont des décisions encourageantes qui montrent que le gouvernement est à l’écoute. »

Ces progrès ont changé le visage du Canada, selon les intervenants, si bien qu’aujourd’hui, d’après la juge en chef de la Cour suprême du Canada, Beverley McLachlin, le bilinguisme est une valeur qui définit le Canada.

« Notre adhésion à cette valeur ne nous divise pas, bien au contraire. Elle nous unit, en contribuant à nous définir comme peuple. »

Encore des défis

Il n’en demeure pas moins que les défis existent, ont reconnu les intervenants. Que ce soit en termes d’accès à la justice dans la langue de son choix, de nomination de juges bilingues ou de formation d’avocats capables de travailler dans les deux langues officielles.

« C’est une responsabilité partagée », a exposé le directeur général de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law, Renald Rémillard. Ce dernier a loué des initiatives prometteuses au Nouveau-Brunswick, au Manitoba ou en Ontario pour élargir la base d’avocats bilingues, mais il a souligné la nécessité d’avoir davantage de programmes de formation en français et en anglais à travers le Canada et de promouvoir l’usage du français dans les tribunaux et dans les universités.

« Il faut sensibiliser toutes les facultés de droit à la dualité linguistique canadienne sur le plan juridique. Actuellement, on a l’impression que c’est l’affaire d’Ottawa, de Moncton et peut-être du Manitoba, alors que ça devrait être une préoccupation de toutes les facultés pour former les futurs avocats », acquiesce M. Doucet.

Quant aux lois de protection des droits des minorités linguistiques, certaines mériteraient d’être modernisées, comme la Loi sur les services en français en Ontario, rappelle M. Boileau.

Le juge à la Cour d’appel de l’Ontario, Paul Rouleau, s’interroge : « Le gouvernement fédéral a un rôle critique à jouer. Car en présence de lois de reconnaissance des droits linguistiques, les tribunaux se montrent plutôt généreux, mais ils hésitent à créer des droits supplémentaires en l’absence d’une loi qui démontre une volonté réelle de l’État. Il est peut-être temps d’ajouter des droits linguistiques? »

La commissaire aux langues officielles se montre optimiste.

« Les défis ne sont pas uniquement dans le domaine de la justice et ce ne vont sans doute pas disparaître, mais tant qu’on progresse et qu’il y a des changements durables et bien réfléchis, l’édifice devient plus solide. »

Redéfinir la francophonie

Pour M. Boileau, l’objectif est clair.

« Le progrès va se faire quand le citoyen va se rendre compte que demander le service en français, ce n’est pas si difficile que ça, que ça ne coûte pas plus cher, et qu’on n’attend pas plus longtemps… Mais on n’en est pas encore rendu là. »

Invité à donner le mot de la fin, le juge Bastarache a appelé à redéfinir le concept même de francophonie pour voir progresser le bilinguisme dans toutes les sphères de la société canadienne.

« Tant que le bilinguisme individuel sera limité, on ne pourra surmonter les difficultés. Il faut convaincre la population que c’est une valeur fondamentale de notre société et cesser d’avoir peur en englobant toutes celles et ceux qui veulent parler les deux langues et qui en font une valeur. »

Quelques députés auront pu noter les progrès à accomplir puisque l’élue provinciale libérale, Nathalie Des Rosiers, le député libéral fédéral, Darrell Samson, le porte-parole aux langues officielles du Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquettte ou encore, la ministre de la Justice du Québec, Stéphanie Vallée, étaient présents dans l’assistance.

La journée aura peut-être servi de début de réflexion à MM. Samson et Choquette puisque le comité permanent sur les langues officielles, sur lesquels ils siègent tous les deux, commencera cette semaine une étude sur la mise en œuvre intégrale de la Loi sur les langues officielles dans le système de justice canadien.