À cause de Ford, rapprochement forcé des universités bilingues

Photomontage archives ONFR+

TORONTO – Après des années à se tirailler pour obtenir leur part du gâteau dans le développement de l’universitaire francophone dans le Centre-Sud-Ouest, les universités bilingues changent d’attitude. Dans un contexte de restriction budgétaire, elles se serrent les coudes et décident de collaborer. Les Franco-Ontariens en sortiront gagnants, s’entendent-elles.

La hache de guerre est enterrée. Les déclarations incendiaires, chose du passé. Mardi le 14 mai, lors d’une annonce de partenariat avec le Collège Boréal, les dirigeants de l’Université d’Ottawa, du Collège universitaire Glendon, de l’Université Laurentienne et de l’Université St-Paul étaient tous assis à la même table. Fait rare. Surtout devant les caméras.

« Je vais vous dire un vieux proverbe : la nécessité est la mère de l’invention. C’est vrai, parfois quand on est repoussé dans nos derniers retranchements, si on veut continuer à survivre, si on veut que la francophonie demeure vivante, on a intérêt à travailler ensemble », confie Chantal Beauvais, rectrice de l’Université St Paul, à ONFR+.

Les dirigeants de Glendon, de l’Université Laurentienne, de l’Université St-Paul et de l’Université d’Ottawa. Crédit image : Étienne Fortin-Gauthier

En marge de l’événement, elle confirme que le contexte budgétaire sous le gouvernement Ford force les acteurs universitaires bilingues à s’entendre.

« Il y a un contexte exigeant. Mais c’est le contexte idéal pour déterminer ce qui est au cœur de nos préoccupations. On va laisser certains différends de côté et se concentrer sur ce qu’on a en commun », lâche-t-elle.

Un intervenant universitaire, qui souhaite conserver l’anonymat, est du même d’avis. « Au final, toutes ces chicanes n’ont servi à rien », lâche celui qui est bien au fait du dossier. « Est-on plus avancé aujourd’hui? Il est temps de changer de ton », complète-t-il.

Un nouveau jour

Au cours des dernières années, les joutes verbales et les croques en jambe, en coulisses, se sont multipliés. À la clé : quelles institutions bilingues obtiendraient l’argent du gouvernement pour pouvoir offrir ses programmes en français dans la Ville reine. Dans la foulée, plusieurs institutions ont tenté de bloquer la création de l’Université de l’Ontario français, craignant qu’elle freine leurs ambitions expansionnistes.

Aujourd’hui, tout est différent, confirme Ian Roberge, Coprincipal par intérim de Glendon.

« La francophonie dans le Centre-Sud-Ouest a de grands besoins. En éducation, en soins infirmiers ou dans d’autres domaines professionnels. La façon dont on va y répondre, ce n’est pas en se faisant compétition et en se déchirant. C’est en travaillant ensemble », lance-t-il.

Glendon est un collège d’arts libéraux et l’institution ne va, de toute façon, jamais offrir des programmes dans toutes les sphères, dit-il.

« L’Université d’Ottawa va vouloir travailler ici dans un certain nombre de domaines. On va voir un travail coopératif avec Boréal et éventuellement avec l’Université de l’Ontario français. Pas du tout dans un esprit de compétition. On est même en discussion avec eux. Leurs quatre nouveaux programmes seront approuvés et on a tous intérêt à trouver les points d’arrimage », ajoute M. Roberge.

Dominique Scheffel-Dunand, Coprincipale par intérim et Ian Roberge, Coprincipal par intérim du Campus Glendon, de l’Université York Gracieuseté : Collège Glendon

L’autre Coprincipale de Glendon, Dominique Scheffel-Dunand, partage ses propos.

« On est dans une société de mise en réseau plus que d’institutions en concurrence avec d’autres institutions. Ça va peut-être prendre du temps au niveau académique, mais on le voit dans bien d’autres domaines et c’est pour le bien de la société », souligne-t-elle.

« Au lieu de toujours penser que l’expansion est la solution, peut-être que la mise en réseau est la solution pour l’avenir de l’université et notre siècle », croit-elle.

« Le but est d’être en complémentarité », croit aussi Aline Germain-Rutherford, vice-provost aux affaires académiques de l’Université d’Ottawa. « On est tous en train de se dire : les étudiants veulent de la diversité. La seule formule gagnante est de travailler ensemble », dit-elle. « Évidemment, il y a des forces extérieures venant du gouvernement, venant d’un contexte, qui forcent une pensée, qui forcent à innover », admet-elle.

Et l’Université de l’Ontario français dans tout ça?

Il demeure que le partenariat du Collège Boréal permet à plusieurs universités bilingues de faire leur entrée sur le territoire torontois, où l’Université de l’Ontario français devait pourtant être la solution aux problèmes du post-secondaire en français.

Dyane Adam,  présidente du Conseil de planification de l’Université de l’Ontario français, ne voit pas d’un mauvais œil l’entrée en scène de ces nouveaux acteurs. Et elle salue l’ouverture des autres universités bilingues à son projet. Mais elle apporte quelques nuances sur cette nouvelle ère et insiste sur la nécessité d’une institution universitaire 100% francophone à Toronto.

« La région a besoin d’un établissement d’enseignement universitaire de langue française qui offre entièrement des programmes en français, qui fait de la recherche, qui travaille avec les communautés pour les engager dans la formation des étudiants et s’assurer que la programmation réponde aux besoins de la région », lance-t-elle.

Lorsqu’elle entend que des institutions veulent laisser une place à l’Université de l’Ontario français, elle sursaute.

« Je ne pense pas qu’on a à nous donner une place! On a notre place. On est mandaté. On a un mandat provincial, en passant, celui d’offrir des programmes entièrement en français. Ce qui est très différent de Glendon, qui a un mandat bilingue », dit-elle.

La future institution est à développer des partenariats avec la Cité collégiale, le Collège Boréal et d’autres universités, incluant celle d’Ottawa. Mais elle insiste sur le fait que les partenariats de ce type ne sont pas simples à mettre en œuvre.

« J’ai travaillé dans les trois universités bilingues, nous avons tenté à plusieurs reprises de faire des collaborations interinstitutionnelles. Il y a eu des efforts à travers les décennies, mais il y a quand même des raisons pour lesquelles on réussit plus ou moins. Des raisons financières, de distance et de différences dans les missions », nuance-t-elle.

Tout un défi attend donc le Collège Boréal et ses partenaires universitaires, dit-elle.

« Ces universités opèrent présentement à Ottawa et dans le nord, ou même à Moncton. Ça va demander beaucoup de planification. Ce n’est pas comme des articulations entre la Cité collégiale et l’Université d’Ottawa, toute proche l’une de l’autre », souligne Mme Adam.