À Cumberland, la possible « disparition » du quartier le plus francophone d’Ottawa

Des pancartes électorales dans Cumberland. Crédit image: Sébastien Pierroz

CUMBERLAND – À l’Est de la Ville d’Ottawa, les pancartes électorales fleurissent depuis quelques semaines. Le 5 octobre prochain, les électeurs du quartier Cumberland connaîtront le successeur de l’ancien conseiller municipal Stephen Blais, désormais député provincial d’Orléans. Mais au-delà d’un scrutin marqué par la pandémie, la fusion possible du quartier à celui d’Osgoode inquiète.

Avec ses 36 % de francophones – la plus forte proportion et ce, devant Rideau-Vanier -, sa dimension rurale avec les villages de Navan, Carlsbad Springs, Vars, Sarsfield, sans oublier les quelque 30 kilomètres qui le séparent du centre-ville d’Ottawa, le quartier 19 de Cumberland fait figure d’exception dans le paysage municipal ottavien.

Mais le projet de redécoupage électoral impulsé par la municipalité d’Ottawa est dans la bouche de tous les candidats. Plusieurs options ont d’ores et déjà été présentées par des firmes embauchées par la Ville.

Cumberland, dont la population approche les 50 000 âmes, grandit peu. En juillet dernier, une « option 6 » ajoutée par la Ville d’Ottawa prévoyait justement de corriger ce déséquilibre démographique en fusionnant Cumberland avec le quartier voisin d’Osgoode. Des « communautés d’intérêts », du fait de leur ruralité, estime la Ville d’Ottawa.

La population est invitée à commenter en ligne les propositions lors de réunions « virtuelles », lesquelles s’achèveront le 23 septembre.

Lyse-Pascale Inamuco, l’une des dix candidates au poste de conseillère municipale, est très dubitative sur le projet.

« Tout ce qui touche de la communauté rurale devrait être discuté avec la population. Je ne comprends pas l’idée de faire des consultations pendant une période de pandémie quand Cumberland n’a pas de représentant. Quand je vais aux portes, j’entends des versions différentes. Certains ne veulent pas aller dans Osgoode, d’autre veulent peut-être changer. »

La candidate Lyse-Pascale Inamuco. Source : Facebook

Yvette Ashiri, une autre aspirante à la succession de M. Blais, abonde dans le même sens.

« On est en pandémie, c’est important de faire une pause sur ce genre de projets. Les résidentes et les résidents sont concentrés pour être en bonne santé. Ce ne sont actuellement pas leur priorité. Les conséquences sont qu’ils vont se réveiller demain, et puis boom, le quartier sera amalgamé! »

Pour beaucoup d’observateurs, Catherine Kitts est la favorite de cette course électorale. Candidate au poste de conseillère municipale en 2018 dans le quartier Orléans, l’ancienne journaliste s’était inclinée de seulement 264 voix contre Matthew Luloff.

La résidente de Navan, bilingue, a des réserves sur le projet.

« Ce projet menace directement notre culture francophone. Cette fusion avec Osgoode signifie que le bilinguisme pourrait ne pas être un facteur dans les élections futures. »

Le candidat Denis Labrèche. Gracieuseté : Journal Le Droit (Patrick Woodbury)

Même inquiétude pour Denis Labrèche, un autre candidat. Le président de l’Association communautaire de Carlsbad Springs s’inquiète. D’autant que ce village, situé dans le quartier Cumberland, est à plus de 80 % francophone.

« On serait mis dans un bassin anglophone, car le quartier d’Osgoode compte près de 30 000 résidents majoritairement anglophones. On ne serait plus peut-être que 10 % de francophones. Et puis, il y a le côté financement. L’amalgamation risque de diminuer notre pouvoir, et d’enlever la voix d’un conseiller rural. »

LE PARCOURS DE STEPHEN BLAIS

Avant d’être élu député provincial d’Orléans sous la bannière libérale le 27 février 2020, M. Blais a longtemps été conseiller municipal de Cumberland.

Après un premier mandat débuté en 2006 dans ce quartier, M. Blais est réélu en 2010, puis en 2014, et enfin en 2018, avant de faire le saut au provincial.

Lors du scrutin municipal de 2018, M. Blais remporte l’élection avec la plus large marge de tous les conseillers municipaux élus (89,08 % des voix).

Parmi les réalisations de M. Blais à la tête de Cumberland : le prolongement de la ligne du train léger vers Orléans et l’expansion du Centre récréatif François-Dupuis. En revanche, il ne s’est jamais prononcé clairement en faveur du statut officiellement bilingue de la Ville d’Ottawa.

Une voix francophone plus forte au conseil municipal

Conserver la vitalité francophone, une majorité de candidats se prononce favorablement sur ce point.

Denis Labrèche estime même que beaucoup de combats ne sont pas réglés à la Ville d’Ottawa.

« La municipalité devrait être bilingue, même si la population est de 15 %. Il faut démontrer qu’on doit avoir une capitale bilingue. Ce n’est pas officiellement bilingue, pas avec le gros O du bilinguisme officiel que possèdent Moncton et d’autres villes au Nouveau-Brunswick. Aussi, les conseillers ont peu de discussions bilingues. Si je suis élu, je parlerai en français et l’afficherai comme une langue de discussion. »

Des services en français à Cumberland, et pas seulement à Ottawa, c’est aussi l’objectif de Mme Kitts.

« J’aimerais améliorer les ressources à la bibliothèque municipale de Cumberland, mais aussi dans les garderies francophones. Mes parents ont déménagé dans cette région dans les années 70, car c’était important pour eux d’offrir à mes frères et moi une culture bilingue. Nous devons conserver cet atout du bilinguisme. »

La candidate Catherine Kitts. Source : Facebook

D’origine burundaise, Lyse-Pascale Inamuco ne veut pas se limiter simplement à son identité francophone, si elle est élue.  

« Je me présente parce que pour la représentation, nous avons besoin de plus de femmes et de diversité à la table du conseil municipal », explique cette fonctionnaire fédérale, qui a aussi œuvré pour l’ancienne députée provinciale d’Ottawa-Vanier, Nathalie Des Rosiers.

« Il faut avoir plus d’alliés. La Société franco-ontarienne du patrimoine et de l’histoire d’Orléans (SPOPHO) m’a parlé, par exemple, de son projet d’ouvrir un musée francophone, mais ils n’ont pas pu avoir le financement nécessaire, alors que le musée de Cumberland a reçu le financement nécessaire. »

Autre candidate racialisée, Yvette Ashiri voudrait aussi apporter cette dimension de la diversité parmi les 24 élus municipaux de la capitale du Canada.

« Il a fallu attendre 2018 pour qu’un premier conseiller noir soit élu. Ce n’est vraiment pas représentatif de notre ville! »

Sur le dossier francophone, Mme Ashiri, ancienne membre du comité de gouvernance de l’hôpital Montfort et du conseil d’administration du collège La Cité, met en valeur son expérience.

« En commençant par les services bilingues, j’ai eu le plaisir de travailler avec l’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache. J’ai donc été instruite par rapport aux défis des langues officielles. Je pense que c’est important que la ville reconnaisse que les services bilingues soient équitables et donnés rapidement, par exemple au téléphone. »

LE CHIFFRE : 10

Ils sont, en tout, dix à tenter de succéder à M. Blais. ONFR+ a choisi de se concentrer sur les candidats francophones ou bilingues, en la personne de Denis Labrèche, Lyse-Pascale Inamuco, Yvette Ashari et Catherine Kitts.

Sont également en lice pour le poste de conseiller municipal : Jensen Boire, Bruce Faulkner, Craig MacAulay, Mark Scharfe, Patrick Uguccioni et Henry Valois.

Le défi de la ruralité

Reste que les fermes et les silos sont encore très présents dans cette circonscription. L’épithète « rural » est même très souvent employé pour la décrire.

Sur le terrain, des services essentiels manqueraient. À commencer par une connexion Internet haute-vitesse résidentielle, estime le candidat Denis Labrèche.

« Beaucoup de gens, surtout dans le milieu de Cumberland, ont des problèmes sévères avec Internet. Le fournisseur Xplornet a été installé en 2009 ou 2010, mais le système est vraiment saturé. Dans un contexte où les gens doivent travailler à la maison, cela se ressent. C’est dommage. La Ville pourrait avoir un partenariat avec un entreprise privée. Ils ont besoin de réinvestir. »

L’équipe de campagne de la candidate Yvette Ashiri. Source : Facebook

Cette ruralité est synonyme de « déconnexion » pour Mme Ashiri.

« Nous avons besoin de meilleurs services, de transport et services sociaux plus adaptés. Rendez-vous compte qu’il y a encore des routes de pavés à Carlsbad Springs, des problèmes d’Internet, et il y a de moins en moins de terres pour les fermiers. »

Si Catherine Kitts estime que Stephen Blais « a fait du bon travail », l’ancrage rural de l’ancien conseiller municipal posait problème. « Je vis à Navan, je connais bien les enjeux de l’agriculture, et je connais les perspectives rurales mieux que lui. »

Le vote par anticipation se tiendra de 10h à 20h, les 28 et 29 septembre, prochain.

Les citoyens de Cumberland auront la possibilité de se prononcer à l’aide d’un bulletin de vote spécial, une nouveauté durant une élection municipale à Ottawa.

Le résultat des élections sera connu le 5 octobre.