A la recherche de la lumière

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Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.

[CHRONIQUE]

Je me revois encore comme si c’était hier, allongée sur mon lit dans ma petite chambre dans notre maison familiale Tunisoise, profitant de la lumière tamisée émanant de ma veilleuse en train de lire Tahar Ben Jelloun. Je ne lisais pas. Je dévorais entièrement les phrases et tournait frénétiquement les pages pour terminer un premier livre et entamer le suivant. Tahar Ben Jalloun fut pour moi une des meilleures découvertes d’auteurs contemporains d’origine maghrébine et qui écrivait en français. Un gars de « chez nous » comme dirait l’autre, mais qui fait parler de lui dans le bon sens!

Pour moi qui ai grandi en lisant des auteurs français comme la comtesse de Ségur, Émile Zola, Jules Vernes, Alphonse Daudet et j’en passe, Tahar Ben Jalloun était un auteur d’origine maghrébine encore en vie et qui d’autant plus créait des personnages que j’aurais pu rencontrer dans les ruelles de ma ville natale ou du moins en entendre parler.

Quelques années plus tard, j’oubliais presque Tahar Ben Jalloun en tombant sur Amine Maalouf, un auteur qui m’a transporté depuis les côtes de Carthage du Léon l’Africain jusqu’à Samarcande en passant par Jérusalem dans Les Croisades vus par les Arabes. Amine Maalouf un français d’origine Libanaise me faisait découvrir l’histoire des musulmans, des croisades, de mouvements aussi obscurs que fascinants comme celui des « Assassins », dont les vestiges de leur citadelle d’Alamut trainent encore aujourd’hui dans la montagne d’Elburz non loin de la capitale Téhéran.

Des auteurs d’origine arabe au parcours fascinant qui m’ont accompagné lors de mes journées de solitude mais aussi m’ont aidé à continuer de rêver : devenir écrivaine et pourquoi pas, moi aussi l’arabe qui a appris le français à la maternelle comme langue seconde. Quelle fut ma surprise et ma joie quand j’ai écouté Janine Massadié, quelques mois auparavant, au Salon du livre de Toronto, lire quelques pages de son récit épistolaire, « Lettre à Tahar Ben Jalloun ». Une lettre adressée à l’un de mes auteurs préférés ne pourrait être qu’intrigante pour le moins que je puisse dire.

Intrigante? Elle était, la lettre que Janine a écrit à « Tahar », comme elle l’appelle. Une intimité qui déborde mais aussi une certaine tristesse qui nous berce tout le long de ce texte. Massadié, canadienne d’origine arabe, parle doucement mais sans vergogne avec Ben Jalloun en lui posant des questions à la fois dures et simples. Sur l’état du monde, sur la justice, sur l’humanité.

Massadié glisse du personnel vers l’universel, de l’intime vers le général avec une aisance subtile en talonnant presque « Tahar » lui demandant ses opinions et son avis, lui qui a écrit « Cette aveuglante absence de lumière », un livre sur des prisonniers politiques de Tazmamart, un trou dans le désert marocain où ils ont dû passer dix-huit ans de leur vie en frôlant la mort et la folie. Comment trouver la lumière dans un monde aveuglé par la haine, par l’injustice et par les prisons?

Janine Messadié est insistante et persistante. Ses mots percutent, touchent le cœur et laissent
des traces comme les gouttes d’eau qui tombent du ciel. Les larmes du ciel. Venant de cette partie du monde qui a vu pendant le siècle dernier de grands bouleversements politiques et sociaux, le colonialisme, la guerre civile et ses ravages, l’obscurantisme religieux, les invasions militaires, Janine Messadié, se tourne vers la littérature et ses hommes pour comprendre. Elle cherche, fouine, s’interroge puis se tourne vers le ciel. Toujours ce labyrinthe d’idées, toujours ces culs de sac qui renvoient à l’origine, notre existence. Nos souvenirs primordiaux.

Janine Messadié nous emporte avec elle dans ses mémoires. Un répit. Le temps de quelques souvenirs ensoleillés, de quelques jours heureux pour sombrer précipitamment dans la réalité, dérangeante et dangereuse. Une réalité qui cogne sur la porte de la Vérité. Comment expliquer ce monde? Avec la lettre de Janine à « Tahar », je me suis trouvée en face de mes propres démons. Des interrogations qui me torturent sans fin. La quête de la vérité, un défi que plusieurs d’entre nous, y compris Janine Messadié n’avons pas honte de chercher et surtout ne perdons jamais espoir de trouver.

Tahar Ben Jalloun, devient par ces écrits un peu le prophète de son temps, celui qui prêche la bonne parole, au vrai sens du mots, mais aussi cet homme littéraire qui au-delà des mots, jongle avec les idées au point de se rapprocher de la… Vérité. C’est pour cette raison, que Janine Messadié se confie à « Tahar », l’homme de lettres et d’idées, l’homme qui cherche la lumière dans la noirceur de l’humanité.

Quand mon mari, a été emprisonné en Syrie, il n’a pas pu rencontrer des hommes pendant presque un an. Quand il essayait de deviner l’heure de la journée, c’était à travers la visite des gardiens qui lui lançait la gamelle avec un repas abject dans sa cellule qu’il comparait à une tombe. Cette déshumanisation est la pire qu’une personne puisse subir m’avait-il raconté plus tard. Avant la prison, on m’appelait par mon prénom et nom de famille, en rentrant en prison je devenais un simple numéro, m’avait-il confié.

Comment ces prisonniers ont pu tenir le coup? Aller jusqu’au bout de la souffrance. Résister aux efforts de déshumanisation. Refuser de devenir un animal, un sujet, un objet. Janine Messadié veut en savoir quelque chose et la lectrice que je suis, également. Sa lettre est un cadeau, pour nous lecteurs. Un hommage à l’humanisme de Tahar Ben Jalloun, le « chercheur de vérité ». Une lucarne de lumière pour faire la connaissance d’un grand auteur de son temps. Un rappel à nous tous que nous sommes encore concernés par cette « absence de lumière » et que la retrouver serait notre gage pour un monde meilleur.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.