À la rencontre d’un musicien du métro de Toronto, Charles Dieufaite

Crédit image: Charles Dieufaite

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N’est pas musicien dans le métro qui veut, explique Charles Dieufaite. Depuis 2012, il détient son titre et n’a pas l’intention de se faire découronner. Son rôle premier est de toucher les gens avec sa musique. Il s’attelle à adoucir les moeurs, et nous explique comment sa musique a sauvé la vie d’une passagère de la Commission de transport de Toronto (TTC) en détresse. 


QUI EST CHARLES DIEUFAITE?

« Je suis un musicien de parcours. Je vais partout où la musique m’appelle.

On me connaît aussi sous mon nom d’artiste Jahfaa, mais j’ai décidé de me réapproprier mon vrai nom : Charles Dieufaite.

Finalement, ce nom me correspond mieux, car je suis un chanteur à la fois engagé et spirituel, un peu comme un messager musical des temps modernes. Donc je préfère oeuvrer sous ma vraie identité, je n’ai plus besoin de pseudonyme pour dire ce que j’ai à dire.

QUELLE EST VOTRE PRATIQUE ARTISTIQUE?

Je suis musicien et chanteur. Je joue du piano, de la guitare et de la flûte. Ma musique est ancrée dans les traditions haïtiennes, et aussi je m’inspire de ma réalité canadienne. Je veux que mes textes apportent du réconfort et qu’ils mettent de bonne humeur.

L’artiste Charles Dieufaite. crédit image : Charles Dieufaite.

VOS DÉBUTS DANS LA MUSIQUE

J’ai sorti mon premier titre Réponds-moi en 2004, après un séjour en Allemagne, mais c’est vraiment en 2007 que ma carrière a pris un tournant à 360 degrés, quand l’un de mes amis proches, un grand journaliste en Haïti, Alix Joseph, s’est fait assassiner par des gangs de rue au pays, juste parce qu’il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment…

Ça m’a tellement bouleversé. Après cet événement, j’ai écrit la chanson Réveillez-vous qui a remporté beaucoup de succès en Haïti, et c’est ce qui a lancé ma carrière d’artiste. Je voulais absolument faire une chanson pour dénoncer la violence.

Réveillez-vous, chanson de Charles Dieufaite.

D’un point de vue artistique, ça m’a fait grandir d’un seul coup et c’est là que j’ai trouvé mon style musical et que je me suis affirmé en tant qu’auteur-compositeur-interprète.

La musique que je fais maintenant, c’est de l’Afro-Haitian Roots, mais je suis aussi inspiré par le blues, le rap français et la musique traditionnelle haïtienne, comme le rara qui joue pendant le carnaval. 

Aujourd’hui, je me produis sur scène partout au pays, et aux États-Unis aussi. Je participe aussi à des busker fests, à Francophonie en fête, mais j’aime beaucoup me produire dans le métro à Toronto. C’est ma scène de prédilection, si je puis dire. 

CE QUI VOUS INSPIRE EN TANT QUE MUSICIEN?

Je suis fier de pouvoir apporter des vibrations positives aux voyageurs qui croisent ma route, même si c’est seulement pendant quelques minutes. On peut me retrouver aux stations Bloor, Spadina et Finch.

Attention, ne chante pas dans le métro qui veut! La concurrence est rude et chaque année, sur des milliers, il n’y a que 90 artistes qui ont ce privilège. La sélection est ardue et il faut auditionner tous les trois ans pour demeurer dans le catalogue d’artistes du Underground Sound

L’an dernier, c’est Universal Music Canada qui a fait passer les auditions. Il y a de plus en plus d’appelés et de moins en mois d’élus, mais c’est comme ça! Ils cherchent des artistes originaux et éclectiques qui sont représentatifs de la ville de Toronto.

COMMENT TOUCHEZ-VOUS LES GENS AVEC VOS CHANSONS?

Je fais partie du Top 50 des musiciens du métro de Toronto depuis 2012. 80 % des chansons que je chante sont en créole haïtien, avec un brin de français et d’anglais. Même si les gens ne comprennent pas les paroles, ils ressentent la musique et c’est tout ce qui compte.

Je le sais que c’est ça, parce que l’année dernière, quelque chose d’extraordinaire s’est passé. Je jouais à Spadina. J’étais dans ma bulle. Une dame était en train de passer devant moi, elle était en pleurs. Je l’ai fixé du regard et j’ai chanté pour elle. Elle s’est arrêtée et a écouté. Une fois la chanson terminée, elle s’est approchée et m’a demandé ce que signifiaient les paroles. Je lui ai répondu que ça parlait d’espoir, de courage, de persévérance, de détermination. Je ne sais pas pourquoi je lui ai donné un CD, je sentais qu’il fallait que je lui offre. Elle m’a fait une accolade. On a continué à parler un peu, puis elle est partie.

Cette même dame est revenue deux ou trois mois plus tard. J’étais dans mon même spot. Elle m’a remis un billet de 50 $. Elle m’a dit : « Tiens, c’est tout ce que j’ai, mais c’est pour toi ». Je ne l’ai pas reconnue tout de suite. Alors, elle a ajouté : « Tu ne te souviens pas de moi? Un jour, je passais, je pleurais et tu as chanté pour moi et tu m’as donné ton CD. Et bien tu sais que tu m’as sauvé la vie. Ce jour-là, j’étais partie pour me jeter sous le train. Ta musique m’a sauvée. Ta musique a changé mon intention. Merci ».

J’étais comblé, car c’est exactement ça le travail d’un musicien dans le métro. Toucher les gens avec mon son.

L’auteur-compositeur-interprète Charles Dieufaite. Source : Rogers TV.

UN FAIT SAILLANT SUR VOTRE CULTURE D’ORIGINE?

J’ai immigré au Canada en 2010, je viens d’Haïti. Depuis lors, je vis à Toronto.

Je suis arrivé à peine deux semaines avant le séisme catastrophique de magnitude 7 qui a dévasté Haïti. Cette année, ça fait dix ans…

Quand ça s’est passé, avec ma musique, j’ai sillonné le Canada et puis j’ai fait une levée de fonds pour aider à  la reconstruction d’Haïti. »

Découvrez la musique de Charles Dieufaite.

Chaque dimanche, ONFR+ vous propose sa série culturelle, MOSAÏQUE. Une invitation à découvrir le visage pluriel de l’Ontario français et à célébrer la richesse de la diversité artistique francophone de la province, à travers sept portraits d’artistes éclectiques.