Sébastien Gendron, co-fondateur et président directeur général de Transpod Inc. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

TORONTO – Il est le fondateur de Transpod, l’unique compagnie canadienne à avoir conçu et développé un train 2.0 à haute vitesse pouvant aller à plus de 1 000 km/h, le FluxJet, dont la construction du projet pilote démarrera dès l’année prochaine. De ses débuts dans l’aéronautique au sein de grands groupes, Airbus, Bombardier, jusqu’à un virage à 360 degrés pour voler de ses propres ailes et réinventer le transport de demain, Sébastien Gendron retrace son parcours de la technologie à l’industrie, de l’innovation à l’action.

« Avez-vous toujours vécu à l’étranger?

J’ai passé plus de temps dans ma vie à l’étranger qu’en France, mon pays d’origine, en particulier durant mon enfance, mes parents étant expatriés et travaillant dans l’hôtellerie pour le groupe Accor. J’ai fait toute mon école élémentaire en Afrique de l’Ouest. Mes deux frères sont d’ailleurs nés en Afrique. Après quelques brèves années en banlieue parisienne, nous sommes allés vivre à Singapour où j’ai fait mon secondaire.

Est-ce la tech votre domaine de prédilection?

Même si j’ai une formation d’ingénieur dans l’aéronautique, je me considère plus comme un industriel que comme quelqu’un qui conçoit. C’est là que Ryan Janzen, mon associé, intervient. C’est un chercheur issu de l’Université de Toronto qui est à l’origine l’auteur de la propriété intellectuelle du démonstrateur FluxJet.

Sébastien Gendron devant le prototype du FluxJet à échelle un tiers, au sein des locaux de Transpod à Toronto. Crédit image : Sandra Padovani

Pourriez-vous nous retracer votre parcours?

Ce qui me passionnait, c’était l’aéronautique. Comme beaucoup de petits garçons, je rêvais de devenir pilote pendant un temps. En grandissant, je me suis dit :« Tiens, pourquoi ne pas apprendre à fabriquer des avions plutôt que de les piloter? ». C’est ainsi que je me suis retrouvé après mes études chez Airbus puis chez Bombardier, groupes reconnus de l’industrie.

Mais après quelques premières années exaltantes, je me suis rendu compte que j’aspirais à autre chose : monter ma propre société avec l’objectif de montrer qu’on peut faire différemment et qu’on peut aller plus loin que ce qui existe déjà.

Qu’est-ce qui vous manquait le plus dans ces grands groupes?

Ce sont les gros projets industriels qui m’intéressent le plus : je me suis vraiment fait plaisir chez Airbus en travaillant sur les chaines d’assemblage des avions 320 et 380. La limite de ces grandes entreprises peut être un certain manque d’ambition et d’innovation, le côté très hiérarchique de ces grands groupes pouvant également être un peu contre-productif et limiter la créativité.

Prototype FluxJet à échelle un tiers, vu de face. Crédit image : Sandra Padovani

D’où la décision de démarrer votre propre compagnie?

Une fois ce constat fait, je me suis intéressé à ce qui se faisait en termes d’innovation dans les transports. J’ai alors découvert ce concept qui a une centaine d’années, les premiers plans datant de 1910. Ils pouvaient à la fois sembler poussiéreux et à la fois s’apparenter à de la science-fiction. Quand Elon Musk s’est prononcé en 2013 sur le sujet, en disant que c’était le futur du transport terrestre, je me suis dit qu’il y avait une fenêtre de tir qui commençait à s’ouvrir et, petit à petit, on s’est lancé.

Parlez-nous de ce concept de transport par tubes.

Il s’agit de faire circuler des véhicules qui font la taille d’un bus ou d’un wagon de train dans de longs tubes en métal desquels on a enlevé 99% de l’air. Les véhicules circulant le long de ces tubes sans air, ils s’affranchissent des frottements aérodynamiques.

Théoriquement, on peut atteindre des vitesses de 1000 à 5 000 km/h. Cela pose les bases du futur de la grande vitesse là où les trains ont atteint leurs limites. Aujourd’hui, la physique fait que, même si un train à grande vitesse atteint 500 km/h durant les tests effectués, opérationnellement, il atteint une usure prématurée et ne peut plus être commercialisé après.

À gauche, Ryan Janzen, co-fondateur et directeur de la technologie, à droite,
Sébastien Gendron, co-fondateur et président directeur général. Gracieuseté

À l’échelle mondiale, y a-t-il déjà un marché?

Quelques améliorations ont été apportées dans les années 50 aux bases posées par les ingénieurs des années 1900, mais le tout relevait encore du rêve. Deux sociétés américaines ont ensuite commencé à poser des brevets dans les années 90. Plus récemment, en 2011, les Sud-Coréens s’y sont intéressés et enfin en 2013, Elon Musk est sorti du bois, appelant son propre projet Hyperloop. C’est grâce à lui qu’un écosystème a pu naître.

Il y a aujourd’hui deux gouvernements investissant de façon significative, la Corée du Sud et la Chine, et sept sociétés : trois nord-américaines, deux aux États-Unis, Transpod au Canada, ainsi que quatre sociétés en Europe, une en Espagne, une aux Pays-Bas, une en Pologne et une en Suisse.

Qu’est-ce qui a motivé le choix de s’implanter à Toronto?

J’aime cette ville, les communautés vivent bien ensemble. J’y retrouve une ouverture d’esprit plus importante que dans d’autres grandes villes. De plus, l’écosystème sur le plan économique est intéressant. Pour Transpod, on a accès à un grand pool de talents. On a beaucoup travaillé avec MaRS, un des plus gros incubateurs au Canada. C’était pertinent de commencer le projet ici.

L’Équipe TransPod lors de la présentation du 1er démonstrateur FluxJet en juillet 2022. Crédit image : Transpod

Quand la première ligne Transpod verra-t-elle le jour?

Nous sommes les premiers à avoir un projet d’infrastructure au Canada, un premier segment « projet pilote » reliant Calgary à Edmonton, dont la construction démarrera fin 2024. On travaille également à l’ouverture d’une ligne au Texas, en Australie, et au Moyen-Orient, même si notre marché principal restera l’Amérique du Nord.

Notre modèle économique, tel que pensé avec Ryan (mon associé), sera de mélanger le transport de passagers et le transport de marchandises express pour garantir plus de rentabilité, ce qui permettra aussi de réduire le nombre de camions sur les routes.

Image de synthèse illustrant un véhicule FluxJet circulant à très haute vitesse dans une ligne TransPod. Crédit image : Transpod

C’est un transport 100% électrique dont l’objectif est de se déplacer à la vitesse d’un avion. Ce système peut vraiment concurrencer les courts courriers et avoir les mêmes temps de trajet. On pourrait même imaginer une carte de métro de ville à l’échelle d’un continent, pour réduire de façon significative les distances. Au-delà de la vitesse, l’idée est vraiment d’apporter aux utilisateurs la fréquence du métro avec la vitesse de l’avion.

La dimension environnementale n’y est donc pas négligeable, d’autant plus dans un contexte de crise climatique?

Contrairement à un train ou à un avion, l’aspect « sous-vide » rend ce moyen de transport silencieux et évite la pollution sonore. On a également la possibilité d’y ajouter des panneaux solaires pour générer de l’électricité supplémentaire. L’objectif est aussi d’avoir une infrastructure surélevée pour permettre de ne pas perturber la vie sauvage et aussi ne pas couper le territoire en deux, notamment pour les terres agricoles. C’est le transport de demain. »

Ligne TransPod en Alberta. Crédit image : Transpod

LES DATES-CLÉS DE SÉBASTIEN GENDRON :

1979 : Naissance à Angers (France)

2005 : Prise de fonctions au sein d’Airbus, moment emblématique du premier vol de l’avion 380.

2010 : Arrivée à Montréal pour y vivre avec sa famille et prise de fonction chez Bombardier.

2012 : Déménagement à Toronto pour s’y installer de façon permanente.

2015 : Naissance de Transpod.

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.