Absence d’une université franco-ontarienne, une responsabilité de tous les partis

Gracieuseté: UOF

TORONTO – Les progressistes-conservateurs sont montrés du doigt après l’annulation du projet de l’Université de l’Ontario français. Mais pour deux historiens spécialistes du dossier, la réalité est plus nuancée. L’absence historique d’une volonté politique dans la création d’une université serait même l’affaire de tous les partis.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

L’Université de l’Ontario français n’ouvrira donc pas en 2020. Elle n’a pas ouvert non plus au début des années 90, au plus fort des revendications, comme elle n’a jamais ouvert deux décennies auparavant, supplantée par l’Université d’Ottawa et l’Université Laurentienne, deux institutions bilingues.

Si ces échecs s’échelonnent sur plus de 50 ans, Serge Dupuis, historien consultant pour RCCDupuis, refuse de blâmer uniquement les progressistes-conservateurs.

« La ministre déléguée aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, a raison de dire que les libéraux avaient 15 ans pour répondre à cette question-là. C’est dans la dernière année, alors que l’on se prépare à une campagne électorale, qu’on adopte un projet de loi, avec un tout petit budget, en ne réglant pas le problème des universités bilingues. On ne peut pas dire que c’est un geste très courageux à ce moment-là. C’est une solution simple pour un défi complexe. »

La « politique des petits pas » dixit M. Dupuis dans le dossier serait l’œuvre des trois principaux partis politiques à Queen’s Park sans exception. « Les libéraux comme les néo-démocrates ont eu la chance de faire quelque chose et de régler le problème des universités bilingues, mais ils ne l’ont pas fait. »

En 1990 par exemple, les néo-démocrates emmenés par Bob Rae promettent la création d’une université de langue française. On est alors en pleine campagne électorale provinciale et les militants franco-ontariens revendiquent depuis plus de deux ans un tel établissement. Vainqueur des élections, M. Rae décide tout de même de revenir sur sa promesse.

« Il y avait toutes sortes de considérations budgétaires. L’Ontario faisait face à une grave récession économique, un peu comme aujourd’hui. Mais l’université aurait peut-être été créée si l’Ontario français avait été un tout petit peu plus uni. »

Pour François-Olivier Dorais, professeur adjoint en histoire à l’Université du Québec à Chicoutimi, « la fin des années 80 représente le moment où l’Ontario français s’est le plus rapproché de la création d’une université de langue française. »

Reste que le parallèle entre les deux promesses non tenues en 1990 et 2018 sur le projet universitaire est un peu tiré par les cheveux pour M. Dupuis. « Bob Rae n’avait pas aboli une organisation qui existait déjà, comme le gouvernement Ford. Il n’honore juste pas une promesse. »

Désunion historique des militants pour convaincre les gouvernements

Cette tiédeur historique des trois principaux partis politiques s’expliquerait, d’après M. Dupuis, par « une division » géographique parmi les professeurs et la population franco-ontarienne. En somme, toutes les cartes n’étaient pas sur la table pour convaincre les gouvernements partisans de la « politique des petits pas ».

« Les francophones du Nord ont toujours milité pour une université de langue française, du moins c’est la position qui fait le plus consensus, alors que dans l’Est ontarien, on a plus cherché à préserver et renforcer la place du français à l’Université d’Ottawa. »

M. Dorais va même un peu plus loin. « La question divise depuis les années 40. La tradition universitaire a toujours défendu le bilinguisme institutionnel, tandis que le projet d’une université franco-ontarienne a toujours été plus défendu dans le milieu associatif. On se souvient qu’au plus fort des revendications au début des années 90, Roger Guindon, l’ancien recteur de l’Université d’Ottawa, était opposé à l’idée, qu’il associait au projet souverainiste alors très important au Québec. »

La donne est quand même différente cette fois en 2018. « C’est dommage, car on avait là un consensus », estime M. Dorais.

Le moment plus que jamais

Les progressistes-conservateurs sont-ils plus intolérants aux francophones que les deux autres partis? « Ils ont un filon qui est un peu réfractaire à reconnaître des besoins particuliers à la population franco-ontarienne », illustre M. Dupuis.

Pour son homologue François-Olivier Dorais, il est décidément temps que le projet aboutisse. « On dirait qu’il y a toujours eu un travail de persuasion à refaire. On a assez consulté! »


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