Accueil en français à Pearson : une victoire qui cache un échec

Gracieuseté: Aéroport Pearson

TORONTO – Annoncée en grande pompe, la décision du gouvernement fédéral de se mettre à la recherche d’un organisme capable d’accueillir en français les immigrants à l’aéroport Pearson de Toronto cache une autre réalité. Un organisme avait déjà ce mandat et il n’a pas fait le travail adéquatement, concluent plusieurs intervenants, qui dénoncent les conséquences d’une décennie de laxisme.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

Le ministre fédéral de l’Immigration, Ahmed Hussen, s’est présenté le lundi 18 juin devant les caméras en arborant un large sourire. Il venait annoncer qu’un organisme allait maintenant accueillir entièrement en français les immigrants francophones à Pearson. Le fédéral trouvait nécessaire « d’avoir un excellent fournisseur de services francophones à l’aéroport ». Un choix de mots révélateur.

Ce jour-là, plusieurs acteurs francophones en immigration ont poussé un soupir de soulagement. Après dix ans de lutte en coulisses, les dirigeants politiques en venaient enfin à la même conclusion qu’eux.

« L’organisme Malton Neighbourhood Services devait déjà offrir ces services d’accueil aux nouveaux arrivants francophones et les diriger vers les bons organismes francophones. Pourtant, en dix ans, nous n’avons jamais reçu un seul nouvel arrivant référé par eux », confie avec exaspération Aissa Nauthoo, directrice des Services d’aide juridique, établissement et emploi du Centre francophone de Toronto (CFT).

Christian Howald du Réseau du soutien à l’immigration francophone du Nord est du même avis. « Pour les services en français et l’aide à l’immigration francophone, je leur donne un gros zéro », lance-t-il.

Leurs critiques acerbes face au travail de Malton rejoignent celles de plusieurs autres intervenants interrogés par #ONfr.

Dirigés vers des services en anglais

Malton Neighbourhood Services est mandaté par le gouvernement fédéral depuis 1991 pour accueillir, dès qu’ils franchissent les douanes, les immigrants qui arrivent à l’aéroport Pearson. L’organisme reçoit des fonds publics pour orienter les immigrants vers de l’aide en emploi ou une école où inscrire leurs enfants, par exemple. Malton avait le mandat de répondre également aux besoins particuliers des nouveaux arrivants francophones.

Selon Aissa Nauthoo, l’organisme aurait envoyé, au fil des ans, bon nombre de nouveaux arrivants francophones vers des services anglophones.

« On a perdu des jeunes qui sont aujourd’hui dans des écoles anglophones, car ils n’ont pas été référés dans les bons organismes par Malton. Ça a contribué au phénomène d’assimilation », dit-elle sans hésiter.

Depuis dix ans, des organismes francophones dénoncent la situation. L’aéroport Pearson en est même venu à être surnommé « la grande passoire ». Les différents paliers de gouvernements se sont renvoyés la balle, a observé Mme Nauthoo.

« Le ministère de l’immigration ontarien nous disait que le fédéral était responsable. Alors qu’au fédéral, on nous disait d’être patients et d’attendre. Il y a eu beaucoup de jeux politiques. »

Manque de leadership politique

Christian Howald dénonce un leadership politique absent.

« Pendant dix ans, on a eu de l’improvisation, des situations laissées au hasard et des décisions changeantes au gré des personnes en place. Dix ans de blocage et aujourd’hui, il n’y a toujours pas une réelle politique en immigration francophone. »

Pourquoi Malton a-t-il conservé son mandat du fédéral, alors que la communauté francophone était aussi insatisfaite?

« Car l’organisme répondait à son mandat général de servir les nouveaux arrivants. Mais les immigrants francophones avaient des besoins spécifiques. Pour Malton, dans sa bulle, tout allait bien. D’autant plus que l’organisme ne nous téléphonait jamais pour avoir notre avis », répond M. Howald.

Le CFT intéressé

« Maintenant une nouvelle page s’ouvre. La balle est dans notre camp et on doit prouver que nous pouvons faire mieux! », lance Alain Dobi, du Réseau de soutien à l’immigration francophone du Centre-Sud-Ouest. 

Le Centre francophone de Toronto se dit intéressé à jouer ce rôle à Pearson.

« Il faut travailler ensemble pour prendre en charge les francophones dès le début. Si la personne veut s’établir à Toronto, on va l’informer sur les services en français. Même chose, si elle veut aller à Windsor ou à Sudbury », affirme Aissa Nauthoo du CFT.

Si le CFT est choisi, il devra déterminer s’il mise sur un ou plusieurs kiosques à l’aéroport et s’il est nécessaire d’être présent en tout temps. Le gouvernement fédéral avance que 2100 nouveaux arrivants francophones posent le pied chaque année à Pearson. Aissa Nauthoo doute de ces chiffres.

« Je crois que ça pourrait être plus, les problèmes des dernières années n’ont peut-être pas permis de bien les identifier. »

Peu de réponses de Malton

Depuis deux ans, #ONfr tente d’obtenir une entrevue avec la directrice de Malton Neighbourhood Services, Jacquie Lewis. À chaque fois, elle ignore ces demandes et se contente d’offrir par courriel de courtes réponses aux questions.

#ONfr a réussi à obtenir l’an dernier l’un des dossiers remis aux nouveaux arrivants francophones. À l’intérieur se trouvait plusieurs dépliants datés, notamment celui d’une association francophone fermée depuis plusieurs mois.

« La décision d’offrir des services francophones spécifiques n’aura pas d’impact sur les services que nous offrons. […] L’ajout de ressources est toujours positif. Nous allons continuer de répondre à nos obligations contractuelles avec le gouvernement », a indiqué Mme Lewis dans une courte déclaration écrite. Notre demande d’entrevue en bonne et due forme est restée lettre morte.

Malton Neighbourhood Services répondait-il à son mandat en matière de services en français? Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) ne fournit pas de réponses claires.

« Pour des raisons de confidentialité, IRCC ne peut pas fournir de renseignements précis sur ses fournisseurs de services », a simplement indiqué le ministère dans un courriel.