Amanda Simard : « Le divorce » et son indépendance assumée

La députée franco-ontarienne, Amanda Simard, en Chambre. Archives #ONfr

TORONTO – Amanda Simard fréquente les milieux conservateurs depuis sa jeunesse. Il n’aura cependant fallu que quelques jours pour qu’elle se sépare de sa famille politique, l’un des moments marquants de la crise linguistique en Ontario. Aujourd’hui députée indépendante, elle se prépare pour ses prochains combats. 

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

Le 25 novembre, Amanda Simard se présente devant ses électeurs. Le rassemblement, organisé en pleine crise linguistique à St-Isidore, aurait pu bien mal se dérouler. Le silence de la jeune députée de 29 ans dans les jours suivant les coupes francophones du 15 novembre lui avait été reproché vivement. Mais sa sortie publique pour les dénoncer est venue complètement changer la donne, la transformant en « héroïne » de la « Résistance » franco-ontarienne.

Lors de la rencontre à St-Isidore, un citoyen se lève et lui demande quand elle compte quitter le Parti progressiste-conservateur. « La journée où je ne pourrai plus faire mon travail », se souvient lui avoir répondu Amanda Simard. Il n’aura finalement fallu que trois jours à la jeune députée de 29 ans pour atteindre cette ligne rouge.

Le mercredi 28 novembre, elle signifie au parti son désir de prendre la parole sur une motion néo-démocrate présentée en Chambre pour dénoncer les coupes francophones. Les dirigeants du parti lui répondent qu’il n’y a pas de place pour elle sur la liste des intervenants.

« Pourtant, je savais que personne d’autre n’était plus intéressé que moi à cette question dans le parti. J’étais l’adjointe-parlementaire à la francophonie! », lance celle qui était également la seule Franco-Ontarienne du caucus conservateur.

En Chambre, ce jour-là, plusieurs députés conservateurs miseront sur la stratégie du « filibuster » pour occuper le temps en racontant diverses anecdotes et histoires personnelles vaguement en lien avec le fait français. Amanda Simard fulmine. Ses pairs profiteront même d’une erreur de la députée de Glengarry-Prescott-Russell pour bloquer l’enregistrement de son vote en Chambre. « C’était des tactiques déloyales. Quand je suis retournée chez moi, je me suis dit : « Voilà! Aujourd’hui, on m’a empêché de faire mon travail ». C’était la goutte de trop. Beaucoup de gens voulaient que je reste au parti pour changer les choses de l’intérieur. Mais cet argument ne fonctionnait plus. Je n’allais pas passer encore trois ans et demi entre quatre murs », raconte-t-elle.

Le lendemain matin, à 7h22, elle envoie au président de la Chambre et aux médias une déclaration : elle claque la porte du Parti progressiste-conservateur et siégera dorénavant comme indépendante. Huit minutes plus tard, le caucus du parti se rassemble à Queen’s Park. La nouvelle est annoncée à ses collègues. Son avenir au sein de la formation politique était à l’ordre du jour.

Amanda Simard est libérée : « Ma famille politique ne me ressemblait plus. Non seulement, on ne respectait pas la francophonie, mais en plus, on ne me laissait plus m’exprimer ».

Une trahison, selon Amanda Simard

Mais il faut le dire, les embûches ne datent pas d’hier. « C’était une lutte continuelle en tant que francophone. Pour avoir le site web en français, il fallait se battre. Pareil pour les documents du parti. On m’a aussi dit de me débrouiller moi-même pour trouver une  plaque bilingue pour mon bureau. Ça m’a rendue furieuse. On ne comprenait pas les francophones », s’attriste-t-elle.

Malheureusement, les Franco-Ontariens qui craignaient l’élection de Doug Ford avaient raison, admet-elle aujourd’hui. Un constat qui porte venant de celle qui a défendu bec et ongle le Parti progressiste-conservateur pendant ses deux années à sillonner la circonscription de Glengarry-Prescott-Russell, en vue de l’élection de 2018.

La députée de Glengarry-Prescott-Russell, Amanda Simard. Crédit image Pascal Vachon

« Je me suis faite élire sur la base qu’il n’y aurait pas de coupures francophones et qu’on serait ami des Franco-Ontariens. Je rassurais les gens en disant qu’il n’y avait rien à craindre pour les francophones avec notre parti. Je rassurais les gens jour après jour dans mon porte-à-porte », raconte-t-elle. « Je me suis faite trahir par mon gouvernement », lâche-t-elle, rappelant l’engagement de Doug Ford de donner vie au projet d’Université de l’Ontario français. « Ce qu’ils ont fait, c’était affreux », rajoute-t-elle.

Pour la première fois, elle parle ouvertement de la manière dont la course conservatrice s’est déroulée. Reconnue comme proche des médias, Amanda Simard s’est faite bien discrète pendant la campagne électorale, refusant les invitations à débattre ou même les entrevues.

« On ne savait pas quoi dire sur la plateforme. Il n’y avait pas de structure. Patrick Brown [ancien chef du Parti progressiste-conservateur] avait une plateforme. On pouvait donc répondre aux questions. Pas Doug Ford », rappelle-t-elle. « On cherchait une direction. Je pouvais un peu dire ce que je voulais, mais on ne savait pas à qui parler pour obtenir des réponses à des questions ou qui avait l’information », dit-elle, affirmant qu’elle s’est donc concentrée sur son porte-à-porte.

Assumer son indépendance, pour l’instant

Depuis son départ du Parti progressiste-conservateur, plusieurs envoient Amanda Simard chez les libéraux. Si elle ne ferme pas la porte à cette possibilité, elle affirme ne pas en être là dans sa réflexion. « Je suis indépendante », répète-t-elle. « En tant qu’indépendante, je vais pouvoir parler encore plus souvent en Chambre et avoir des temps de parole pour me prononcer sur les projets de loi. Et on n’est plus en 1920! Il y a plein de plateformes pour s’exprimer, qu’on pense aux réseaux sociaux ou aux médias », affirme Amanda Simard.

En l’espace d’un mois, Amanda Simard est devenue une personnalité de la francophonie canadienne. Mais pas seulement. Au fil des jours, elle recevra des demandes d’entrevues de partout dans le monde, incluant du New York Times. Elle souhaite profiter de cette notoriété nouvelle pour appuyer les francophones de l’Ontario, mais aussi d’un peu partout au pays.

Mais à un moment donné, elle admet qu’elle aura un choix à faire.

« Je ne serai pas indépendante pour toujours. Je comprends comment le système parlementaire fonctionne. Mais je prends ça au jour le jour », nuance-t-elle. « Si un parti avec lequel je m’identifie et correspond à mes valeurs, alors je me joindrais à ce parti », d’ajouter la députée.

Puis, être dans l’opposition ne signifie pas ne pas pouvoir influencer l’appareil gouvernemental. À ce sujet, elle parle de l’héritage politique de Jean-Marc Lalonde, qui a réussi à obtenir bien des gains pour la circonscription.

Elle prend son rôle très au sérieux et se prépare au pire. « J’espère qu’il n’y aura pas de nouvelles coupes francophones en mars, lors du budget. Mais il faut s’organiser dès maintenant et être prêt », croit-elle. « Il faut protéger nos conseils scolaires, notamment, et comprendre que nos acquis sont fragiles. Je pense qu’il faut être proactif et ne pas attendre la prochaine attaque », ajoute-t-elle.

Son départ du Parti progressiste-conservateur n’a pas été vain, elle en est convaincue. « Si le gouvernement veut encore s’attaquer aux francophones, il va y penser deux fois plutôt qu’une », dit-elle, affirmant que son geste d’éclat, ainsi que la mobilisation populaire et la couverture médiatique ont fait une différence.

« La langue est au cœur de notre identité, on ne peut pas aller jouer là-dedans pour chercher quelques économies. Si mes gestes ont contribué à faire réfléchir moindrement le gouvernement, alors c’est déjà un progrès », ajoute-t-elle. « J’ai quitté une famille où je ne me sentais pas chez-nous. Ça ne vaut rien de rester avec le gouvernement, si ce n’est pas aligné avec ses valeurs. Je veux être fière de mon mandat. Je veux voter avec mon cœur », conclut Amanda Simard.

 


Pour lire la première partie de cette entrevue, cliquez sur le lien suivant : Amanda Simard : les secrets de la crise