Analyse : l’autre « Trudeaumanie »

Le chef libéral Justin Trudeau en campagne avec l'ancien premier ministre Jean Chrétien.

[ANALYSE]

Les libéraux de Lester B. Pearson étaient, au milieu des années 1960, activement à la recherche de candidats « vedettes » francophones. Ils avaient dans leur mire le syndicaliste Jean Marchand et le journaliste Gérard Pelletier. Et un troisième, un certain Pierre Elliott Trudeau, que plusieurs considéraient à l’époque comme un mal nécessaire pour recruter ses deux inséparables acolytes.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

L’Histoire n’a apparemment retenu que cette fable des « trois colombes » qui sont atterries à Ottawa après les élections de 1965. Elle semble avoir oublié à quel point l’arrivée sur la scène politique du père de Justin Trudeau a suscité des inquiétudes et des réticences, même au sein du Parti libéral qu’il a ensuite dirigé pendant 16 ans.

Jusque dans l’entourage du premier ministre, on redoutait cet avocat montréalais bien nanti aux propos parfois incendiaires. Ce « socialiste de salon », comme on le surnommait dans les coulisses.

« Je ne croyais jamais qu’il serait élu. Il avait du mal à se trouver un comté », rappelle l’ancien premier ministre Jean Chrétien, un ami de longue date de Pierre Elliot Trudeau, dans le documentaire Reflections : The Trudeau Legacy, produit en 2001. « Il était un homme très controversé. » Et d’ajouter : « Il n’était pas du tout un politicien typique ».

L’homme à l’origine de cette frénésie unique au Canada qu’a été la « Trudeaumanie » semait le doute chez ses propres compagnons politiques à son arrivée à Ottawa. Et pourtant, ça ne l’a pas empêché de s’installer dans le fauteuil du premier ministre trois ans plus tard, et d’y connaître le troisième plus long règne de l’histoire du pays. Et plus encore, de transformer ce pays comme peu de dirigeants l’ont fait.

Est-ce le même destin qui attend Justin Trudeau?

Le chef actuel du Parti libéral a certainement confondu les sceptiques depuis le déclenchement des élections fédérales, début août. Il a propulsé sa formation d’une lointaine troisième place jusqu’à la pole position dans les sondages. Un gouvernement majoritaire serait maintenant à sa portée. L’impensable d’il y a trois mois est peut-être en train de se produire.

 

Malgré l’image

Justin Trudeau, comme son père à l’époque des « trois colombes », a porté et peut-être cultivé malgré lui cette image de dilettante sans grandes qualités politiques. Il a semé le doute sur ses capacités à diriger le pays. Et au moment crucial, il s’est présenté au-delà de la photogénie comme un leader assez crédible pour rallier par milliers des électeurs qui auraient autrement lorgné du côté du NPD et même des conservateurs.

Ironiquement, pour un fils qui a longtemps voulu faire sa marque à côté et non en-dessous de celle de son père, c’est en évoquant la mémoire de Pierre Elliott Trudeau que Justin Trudeau a le mieux démontré qu’il a le feu sacré. « Le bilinguisme, comme l’avait compris mon père, (…) c’est dire la même chose en français et en anglais », a-t-il décoché durant un débat à son adversaire néo-démocrate Thomas Mulcair, souvent accusé de parler des deux côtés de la bouche.

Dans l’opposition depuis 2006, le Parti libéral a versé un temps dans le messianisme. Ça n’a pas fonctionné. C’est avec des chefs sous-estimés à leurs débuts, comme Pierre Elliott Trudeau ou Jean Chrétien, que la formation a connu le plus de succès aux urnes. C’est maintenant au tour de Justin Trudeau d’enfiler les mêmes habits, s’ils lui font.