Angélique Bernard, première francophone commissaire du Yukon

Angélique Bernard, première francophone commissaire du Yukon. Crédit image: Bureau de la commissaire du Yukon

[LA RENCONTRE D’ONFR]

WHITEHORSE – Depuis deux ans, c’est une Franco-Yukonnaise qui occupe le poste de commissaire du Yukon. Ancienne présidente de l’Association franco-yukonnaise (AFY), Angélique Bernard a une idée bien précise de ce qu’elle compte accomplir lors de son mandat. Les Premières Nations et les francophones font partie de ses priorités.  

« Pour commencer, et c’est la question que l’on a posée à tous nos invités de la Rencontre ONFR+ depuis mi-mars, comment se passe votre confinement à Whitehorse?

Ça se passe bien, même si je dois dire que ça a eu un impact important sur l’aspect social de mon travail. Mon calendrier s’est vidé, car les activités ont été annulées. Mais très vite, les gens ont fait preuve d’une grande créativité, comme partout au Canada, pour organiser des activités en ligne. Je manque toutefois ce côté social, rencontrer les gens, leur parler du Yukon… J’ai hâte de pouvoir de nouveau me déplacer, car mes fonctions ne se limitent pas à Whitehorse, mais à tout le Yukon.  

Depuis 2018, vous occupez le poste de commissaire du Yukon. En quoi consiste votre rôle exactement?

Je suis la chef d’État du Yukon. Je dois m’assurer qu’il y a toujours un premier ministre en poste et j’ai également un rôle législatif de sanctionner les projets de loi adoptés par l’Assemblée législative, de lire le discours du trône, de signer les décrets… Il y a aussi un rôle cérémonial, quand des dignitaires visitent le Yukon, et beaucoup d’activités sociales.

La différence avec le poste de lieutenant-gouverneur dans les provinces, c’est que même si notre travail se ressemble, eux représentent la reine et moi, le gouvernement du Canada.

La commissaire du Yukon, Angélique Bernard lors de la 6e édition de Chante-la ta chanson, à Whitehorse. Crédit image : Bureau de la commissaire du Yukon

Votre candidature a été suggérée anonymement. Comment avez-vous réagi quand on vous a appelée pour ce poste?

J’ai été agréablement surprise! Je ne sais d’ailleurs toujours pas qui a proposé mon nom, mais je veux les remercier. Cette nomination représente bien l’image que j’ai du Yukon : une terre d’opportunités pour les gens qui s’impliquent.

Tout est allé très vite. J’ai reçu un premier appel de la directrice des nominations au Bureau du premier ministre pour savoir si j’étais intéressée, on a ensuite eu quelques appels, puis l’annonce a été faite un vendredi et je suis entrée en poste le lundi! Je n’ai pas eu trop le temps d’y penser, mais j’avais fait mes recherches et parlé avec d’anciens commissaires pour savoir à quoi m’attendre.

Vous mandat est de cinq ans. Ça fait deux ans que vous êtes en poste. Comment se sont passées ces deux premières années?

Il y a d’abord eu un temps d’apprentissage, la première année. Ça m’a permis d’observer, de voir ce qui fonctionnait, de voir ce que je voulais faire. La deuxième et troisième année, c’est le temps d’apporter sa touche.

La mienne s’articule autour de quatre piliers : la famille, car j’ai deux fils de 9 et 11 ans que je veux intégrer à cette aventure, l’éducation, car comme francophone en milieu minoritaire je sais le rôle fondamental que joue l’école et parce que j’aime apprendre, la créativité, car je veux insister sur le talent incroyable et novateur des gens du Yukon et enfin, la fierté civile, car c’est important d’être fier de qui on est, de notre culture et de nos langues.

La commissaire du Yukon, Angélique Bernard (à droite). Crédit image : Bureau de la commissaire du Yukon

Je veux mettre en avant les gens d’ici. Et j’ai d’ailleurs eu la chance d’être la première commissaire à remettre l’Ordre du Yukon, en janvier. Ce projet de loi a été la première sanction royale que j’ai donnée. C’était une reconnaissance qui n’existait pas encore et qui vient d’être créée. Et pour marquer cet événement, on a fait faire la boîte dans laquelle se trouvent l’épinglette et la médaille par un artiste de chez nous!

Un projet semble particulièrement vous tenir à cœur, celui du mur des traductions. Expliquez-nous en quoi cela consiste et pourquoi c’est si important pour vous?

Je suis traductrice de profession. Je suis fascinée par les mots et leur signification. L’idée, c’était de voir représenter les huit langues autochtones du territoire quand les gens rentrent dans le bureau du commissaire. L’histoire du Canada avec les Premières Nations n’a pas toujours été positive, mais je voulais regarder en avant et trouver une façon de reconnaître la contribution de ces peuples qui ont toujours été là.

Je leur ai donc demandé de participer à ce projet et ils ont été très touchés par cette démarche. Ce n’est pas facile, car il fallait trouver des locuteurs et aussi, parce que le terme « commissaire » n’existe pas dans les langues autochtones. Ils ont donc fait des recherches pour trouver les mots qui décrivent le poste. Pour certains, commissaire se traduit par « porte-parole », pour d’autres par « grand chef » ou encore « personne qui parle pour nous ». Le mur a été dévoilé en mai. Nous avons réussi à le faire pour six langues sur huit.

Le mur des traductions. Crédit image : Bureau de la commissaire du Yukon

Les différentes traductions sont inscrites sur le mur menant au deuxième étage de la maison Taylor. Actuellement, on peut lire le titre en anglais, en hän, en tutchone du Sud, en kaska, en tutchone du Nord, en gwich’in, en tlingit et en français. Les traductions en haut tanana et en tagish seront ajoutées sous peu.

Parallèlement, je reçois aussi des transcriptions audio qui vont me permettre de bien prononcer ces mots pendant mes discours et quand je vais dans les communautés, comme signe de respect.

Quels sont les autres projets que vous voudriez accomplir d’ici la fin de votre mandat?

Nous venons d’annoncer la création de la fonction de « messager d’histoires du Yukon ». Cette personne sera un peu comme un poète officiel. Elle sera chargée de mettre en avant les histoires du Yukon, y compris les histoires orales et chantées. Ce sera un ambassadeur de notre culture, de notre patrimoine et de notre histoire. La personne devrait entrer en poste en janvier prochain pour un mandat de deux ans.

Plus globalement, j’aimerais que mon legs, ce dont les gens se souviennent, soit d’avoir rassemblé les gens, d’avoir resserré les liens notamment avec les autochtones et les francophones.

Justement, vous êtes l’ancienne présidente de l’AFY et avez été engagée de nombreuses années au sein de la communauté franco-yukonnaise. En quoi cela influence votre travail aujourd’hui?

Déjà, mon rôle de présidente de l’AFY m’a préparé à cette fonction, pour donner des discours, rencontrer des gens…

Mais être la première francophone à occuper ce poste, c’est aussi un blason que je porte toujours sur moi. J’ai demandé une assermentation bilingue, ce qui n’est pas toujours le cas, et quand j’ai commencé au bureau, j’ai immédiatement demandé que Commissioner of Yukon figure aussi en français sur ma porte. Idem pour les communications pour lesquelles j’insiste qu’elles soient bilingues dès leur publication.

Angélique Bernard, alors présidente de l’Association franco-yukonnaise. Archives ONFR+

Ce n’est pas de la mauvaise volonté, mais les gens n’y pensent pas toujours forcément. Ils n’ont pas le réflexe que je peux avoir comme francophone.

Qu’est-ce que cela peut changer pour la communauté francophone du territoire de vous avoir à ce poste?

Je pense que cela envoie un message aux jeunes que lorsqu’ils s’engagent, ils peuvent accéder à ce genre d’opportunités. C’est aussi une marque concrète de reconnaissance pour les francophones d’avoir un des leurs à ce genre de poste haut placé.

Quand on a été présidente d’un organisme porte-parole qui doit parfois revendiquer, n’est-ce pas difficile d’occuper un poste où il faut savoir rester neutre?

J’ai toujours été quelqu’un qui pèse ses mots, donc ce n’est pas un défi pour moi. Et même si mon rôle est apolitique, je pense qu’il permet quand même de faire avancer des causes, comme celles des Premières Nations et des francophones, notamment par les activités que nous organisons. Je fais beaucoup de portes ouvertes, de lecture dans les écoles, toutes nos activités sont gratuites, ouvertes aux familles…

À l’origine, vous êtes arrivée au Yukon pour un stage de traduction de quatre mois. Nous étions alors en 1995. Mais finalement, vous n’êtes jamais partie…

(Rires) Je pense que mon parcours est semblable à celui de beaucoup de gens ici. Le Nord, soit tu aimes beaucoup, soit tu n’aimes pas. Quand je suis arrivée, en janvier, il faisait -38 degrés! Mais j’ai toujours aimé l’hiver. Au bout de deux semaines, je savais que je resterais. La beauté des paysages, l’accueil des gens… Le Yukon, c’est un endroit où tu as plein d’opportunités, l’occasion de faire des choses auxquelles tu n’avais jamais pensé. J’ai rencontré mon mari ici, mes deux fils sont nés ici. C’est chez moi! »  


LES DATES-CLÉS D’ANGÉLIQUE BERNARD :

1972 : Naissance à Brossard, au Québec

1995 : Baccalauréat ès arts, avec spécialisation en traduction, à l’Université Concordia, à Montréal

1995 : Déménage au Yukon

2002 : Publie le livre, Les aventures d’Émilie Tremblay au Yukon

2010 : Présidente de l’Association franco-yukonnaise (AFY)

2014 : Reconnue par l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne comme l’une des 100 femmes ayant le plus marqué la francophonie canadienne au cours du dernier siècle

2018 : Nommée 37e commissaire du Yukon

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.