Apprentissage à distance : élèves et enseignants avancent dans l’inconnu

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Le déclenchement de la phase 2 du ministère de l’Éducation coïncide avec la fin de la grève du zèle des enseignants franco-ontariens. Si les astres sont alignés pour mettre à contribution le corps enseignant dans l’apprentissage à distance, de nombreux réglages restent à faire pour aboutir à un système d’ampleur inédite mais rendu nécessaire par la pandémie.

Travailler à distance n’effraie pas vraiment Mikayla, Mélyna, Marie-Lou, Martine, Hailley, Rylee, Laurie et Isabelle. Ces huit élèves du secondaire à Alexandria, dans l’Est ontarien, alimentent un blogue depuis le début de la pandémie. Cet outil développé en commun avec leur enseignante leur permet de garder une routine d’apprentissage en communication écrite et orale.

« Avant que tout commence, on avait créé ce blogue coopératif que chacune de mes élèves doit maintenant enrichir », raconte Sarah Anne Lalonde.

Pour cette enseignante en français et en anglais, « c’est un bon outil pour maintenir un climat de classe ».

« J’essaye de rester dans leur zone de confort en travaillant sur des compétences déjà vues en classe ».

Elle utilise également le logiciel Google Classroom pour partager et documenter des lectures.

Sarah Anne Lalonde, enseignante à Alexandria. Gracieuseté

Mais tout le monde n’en est pas à ce stade. Partagés entre attendre des consignes des conseils scolaires et aller de l’avant avec leurs élèves, les enseignants ont fait des choix divers, dans une période d’incertitude accentuée par la grève du zèle.

Désormais affranchi des tensions syndicales, le ministère de l’Éducation entend faire converger leurs pratiques grâce au développement de son programme Apprendre à la maison.

La première phase consistait en des ressources pédagogiques web mises à disposition des parents. Plus ambitieuse, la phase 2 repositionne les enseignants au cœur du dispositif, priorise les maths, les sciences et l’alphabétisation et, surtout, fixe un cadre horaire aux élèves : 5h par semaine jusqu’à la 6e année, 10h en 7e et 8e année, entre 1,5 et 3h de la 9e à la 12e année.

Durant plusieurs jours, les conseils scolaires ont affiné ces consignes à travers des réunions tous les deux jours, depuis le 12 mars, avec leur ministère de tutelle, avant de communiquer cette semaine avec les enseignants et les parents.

Repenser sa façon d’enseigner pour capter l’attention

Tous les professionnels de l’éducation se rejoignent sur un point : enseigner à distance va demander aux enseignants de réadapter le format de leurs cours.

« Ça va prendre du temps mais le conseil scolaire nous laisse de la marge », apprécie un enseignant de London joint par ONFR+.

Il compte impliquer directement ses élèves dans son approche.

« J’ai un cours de théâtre. Je ne sais pas encore comment on va fonctionner mais, en parlant à mes élèves, on va trouver des solutions originales. Des mises en lecture peut-être. »

« Le lien est très différent quand on est pas présent physiquement », soutient Sarah Anne Lalonde. « J’essaye de stimuler mes élèves comme s’ils étaient dans mon cours. »

Pour maintenir un esprit d’échange en français, l’enseignante fixe des échéances et mise sur des rétroactions régulières.

« Les élèves se sentent autant engagés. Le blogue les incite à être créatifs. Et lorsque l’on va lancer des cours d’anglais, on va faire des lectures avec des discussions comme si on était dans ma salle de classe. »

« Des cours à distance à grande échelle comme ça, ça ne s’est jamais fait », rebondit Julie Michaud, enseignante en 7e et 8e année à Brampton. « On a aucun exemple sur lequel se baser. Tout le monde tâtonne et va tâtonner pour s’habituer à la technologie, apprendre à partager des vidéos, des fichiers, faire des captures d’écran, etc. »

« J’ai hâte d’essayer, surtout que le ton du ministère et du gouvernement est sans pression. Les attentes des parents sont grandes. On va faire de notre mieux », assure-t-elle, comptant sur son jugement professionnel.

« Moins de temps d’enseignement, c’est plus de temps de préparation pour nous et une chance pour nos élèves de se motiver, se concentrer. Ça ne sera pas facile pour les jeunes les moins autonomes, d’autant que leurs parents ne seront pas forcément présents pour les accompagner s’ils travaillent. »

Branle-bas de combat dans les conseils scolaires

Le conseil scolaire Viamonde lancera son plan de continuité de l’apprentissage demain. En coulisses, « on a dû jongler avec les matières enseignées et échelonner la journée d’études selon les paliers, de sorte que les enseignants soient disponibles pour les différents niveaux dont ils s’occupent, mais aussi aux élèves d’une même famille de se partager les outils électroniques à la maison », confie Martin Bertrand, le directeur de l’éducation.

Martin Bertrand, directeur de l’Éducation du conseil scolaire Viamonde. Source : csviamonde.ca

L’un des défis les plus importants que doivent relever Viamonde et les onze autres conseils de langue française de l’Ontario est celui la formation du personnel.

« On met à disposition de nos enseignants des capsules de tutorat pour qu’ils s’approprient les outils préconisés comme la plateforme Microsoft Teams et l’environnement de partage virtuel », détaille M. Bertrand.

« Nos quatre enseignants qui travaillent en lien avec le consortium d’enseignement à distance CAVLFO ont aussi conseillé notre équipe pédagogique pour affiner notre approche. On a enfin un appui technique de notre service informatique. »

L’autre enjeu sera de conserver l’attention et l’assiduité des élèves.

« Il y aura moins d’heures de cours, donc on s’attend à ce que les élèves portent une certaine attention », escompte le directeur de l’éducation. « Ce n’est pas une science exacte. On sera présent pour les élèves qui ont besoin de soutien additionnel, y compris en santé mentale. »

Du jour au lendemain, la centaine d’élèves du conseil scolaire public qui suivaient habituellement des cours à distance va passer à près de 13 000. Un changement colossal.

Au-delà des enseignants, c’est aussi tout le personnel de soutien et administratif qui est mobilisé dans ce grand chantier éducatif. Secrétaires, techniciens et de nombreux personnels ont déjà des tâches à accomplir en télétravail.

« Ça peut inclure des capsules sur la santé et la sécurité, du catalogage à distance pour nos bibliothèques ou de la saisie de notes », illustre le directeur de l’éducation. « C’est nouveau pour tout le monde mais on n’oublie personne. »

Connexion internet et tablettes pour tous, un sujet sensible

Reste que les élèves ne sont pas tous sur le même pied d’égalité devant les technologies. Certains n’ont pas de tablettes, d’autres pas d’accès à internet.

« Nous allons travailler avec nos partenaires du secteur privé des télécommunications afin de trouver des solutions rapides, peu coûteuses et efficaces pour résoudre ces problème d’équité », garantit l’assistant parlementaire du ministre de l’Éducation, le député Sam Oosterhoff, au micro d’ONFR+, précisant devancer une annonce de Steven Lecce à ce propos « dans les prochains jours ».

Sam Oosterhoff affirme que le gouvernement travaille avec le secteur privé pour résoudre le problème d’accès à Internet. Archives ONFR+

L’équipement des élèves en tablettes et ordinateurs fait l’objet d’une étude au sein de plusieurs conseils scolaires. Sur l’ensemble de ses 12 000 élèves, moins d’une centaine n’aurait pas d’accès à internet ou à un ordinateur à la maison, estime par exemple la direction de Viamonde.

« On va démanteler nos outils numériques présents dans les écoles et permettre aux parents en besoin de venir les récupérer à la porte de l’école, en respectant les mesures de sécurité et de distanciation sociale », dévoile Martin Bertrand.

« On va s’assurer qu’au secondaire chaque élève ait un ordinateur ou une tablette, y compris au sein de la même famille, car ce sont des cours importants et crédités qu’ils doivent réussir d’ici la fin de l’année. »