Au bonheur de l’écriture

Le Salon du livre de Toronto, un moment d'échange entre les écrivains et leurs lecteurs. Source: Salon du livre de Toronto
Le Salon du livre de Toronto, un moment d'échange entre les écrivains et leurs lecteurs. Source: Salon du livre de Toronto

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.

[CHRONIQUE]

S’il y a un bonheur à être écrivain, c’est qu’il y en deux. Le premier est de visiter des salons du livre et de rencontrer de nouveaux lecteurs, bien évidemment après la pandémie, et le deuxième est de faire la connaissance de nouveaux écrivains et de leurs ouvrages.

Lors du Salon du livre de Toronto qui s’est tenu en format présentiel entre le 19 et le 20 mars, j’ai eu droit à ces deux bonheurs.

La première fois que j’ai été invitée par le Salon du livre de Toronto, c’était il y a un peu plus d’une décennie. Je commençais mon petit bout de chemin d’autrice franco-ontarienne. Un défi de taille car je ne suis pas allée à « l’école des écrivains » mais en plus je voulais me faire une place en littérature sans passer par Montréal. Tout un défi.

Le salon du livre de Toronto est un petit salon, en termes de surface et de nombres de visiteurs, certes, surtout si comparé aux grands salons du livre de ce monde, mais il reste un salon ambitieux, actif et surtout persévérant. À l’époque, il se tenait dans un étage de l’immense bibliothèque publique de Toronto (Toronto Reference Library). Mais dans sa toute dernière édition, j’ai eu le plaisir de revoir mes amis auteurs dans les locaux de l’université de l’Ontario français.

Un sentiment à la fois de fébrilité et d’invraisemblance m’ont parcouru le corps et l’esprit car, du temps où j’entendais parler dans les nouvelles de l’université de l’Ontario français, des défis et des controverses, j’ai failli croire que ça serait un rêve et jamais une réalité mais ma présence dans l’agora de ces lieux m’a rassurée. Cette université existe bel et bien, pas dans les rêves mais bien en béton et surtout avec une architecture ouverte et lumineuse qui contraste avec les environnements souvent sombres et renfermés de certains lieux du savoir.

C’est en participant à un panel intitulé L’héritage littéraire, un avenir de notre passé?, que j’ai fait la rencontre d’une écrivaine Torontoise, Tassia Trifiatis-Tezgel. Elle m’a intriguée quand lors de nos échanges sur le sujet, elle a mentionné le mot « mandat » en faisant allusion au fait que nos vies sur chaque coin de la terre sont une sorte d’un mandat qu’on exécute puis on passe à un autre et ainsi de suite. Une façon que je trouvais un peu étrange mais aussi innovante de penser à nos « identités meurtrières » comme les appelait Amin Maalouf, l’écrivain franco-libanais, dans son essai du même nom.

Et c’est dans « Créatures primordiales » que je me suis plongée une fois rentrée chez moi à Ottawa pour savourer le fruit de ces rencontres et profiter du bonheur qui pouvait en ressortir.

Tassia Trifiatis-Tezgel m’a rappelé Istanbul comme je l’ai connu sous la plume du célèbre écrivain turc Orhan Pamuk dans son superbe ouvrage Une impression étrange dans ma tête. Cette ville aussi complexe que captivante où la richesse et l’aristocratie de certains quartiers côtoient la pauvreté et la précarité d’autres et où certaines minorités tentent de résister au rouleau d’uniformisation et d’oppression. Sofronia, qui veut dire sage en grec, est le nom de l’héroïne de ce récit.

Elle est femme-hibou, elle rencontre l’homme-livre et les deux vont exécuter un « mandat » dans la ville d’Istanbul. Alors que l’homme-livre reste assez énigmatique proche de ses livres pour sa quête du savoir, Sofronia, elle, déclare que « le Savoir dont j’ai besoin, je l’attrape dans la rue ». Puis elle continue en disant « Moi, j’ai besoin du Savoir des trottoirs ».

C’est donc, entre autres, en prenant le « vapur », ce genre de traversier pittoresque qui transporte les Stambouliotes entre les eaux du Bosphore et la mer Marmara, que Sofronia fera la connaissance des lieux historiques et surtout des gens. Un savoir millénaire caché dans de multiples couches de traditions, d’architecture et de langages des yeux.

Quand elle débarque à Toronto, Sofronia exécute un autre « mandat » à la recherche des racines autochtones de cette ville sans pour autant oublier ses propres racines et surtout sa nature de femme-hibou. Ce deuxième mandat s’exécute dans la douleur de l’enfantement dans le sens propre et figuré.

Même si j’ai eu quelques difficultés à comprendre et suivre le récit de Sofronia à certains moments surtout lorsqu’elle parlait de Toronto et de sa nouvelle vie, je me suis rattrapée vers la fin en découvrant la portée symbolique et philosophique de son écriture. Tassia Trifiatis-Tezgel et son livre « Créatures primordiales » a su m’accrocher jusqu’à la fin. Une réflexion intelligente sur le sens de nos vies, sur les rapports humains, sur nos racines et aussi sur la maternité qui reste toujours un sujet fascinant qu’on peut aborder de différentes manières, le « mandat » en est un, comme le fait superbement Tassia Trifiatis-Tezgel dans son livre.

Et me voilà donc comblé par le Salon du livre de Toronto dans sa dernière édition. Une édition riche et courageuse dans un monde encore hanté par la COVID et des séquelles qu’elle nous a laissées après les confinements répétitifs et l’effritement de nos rapports sociaux.

Dans quelques semaines, je serai à Sudbury pour le Salon du livre du Grand Sudbury. Un autre salon qui reste emblématique de notre Ontario francophone aussi vaste que riche. La première fois que j’y me suis rendue c’était à l’université de Hearst car le salon se tient en alternance entre la ville de Hearst et celle de Sudbury.

Encore un lieu du savoir et encore une rencontre avec des lecteurs et des auteurs qui autrement, me prendrait d’autres occasions rares pour les découvrir. J’ai déjà grande hâte à exécuter ce nouveau « mandat » à la manière de Sofronia. Rencontrer des gens et des livres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.