Autisme : le récit de Manon, symbole des inquiétudes après la réforme de Ford

Manon Pharand souffre d'autisme, elle peine à avoir les services dont elle a besoin. Crédit image: Étienne Fortin-Gauthier

SUDBURY – Les changements du gouvernement Ford dans le traitement de l’autisme ont provoqué une colère immense chez les parents d’enfants qui vivent avec ce trouble neurodéveloppemental complexe. Loin des tractations politiques et des caméras, la famille Pharand de Sudbury tente simplement de survivre et d’avancer face à un système qui semble l’avoir oubliée.

Manon arrive en courant. La fillette de cinq ans accueille la visite avec un grand sourire et ses yeux brillants. Elle court dans la cuisine et le salon et veut savoir qui est cet inconnu qui vient à sa rencontre. « Il s’appelle Étienne », lui répond doucement sa mère, Josée Pharand. Manon saute sur place et répète « Étienne, Étienne ». Sa légère difficulté d’élocution est camouflée par un entrain contagieux. Très affectueuse, elle embrasse son petit frère, Alec, puis ses parents.

« C’est difficile de dire où sa personnalité se termine et où l’autisme débute. C’est mélangé. On peut croire qu’elle serait vivante comme ça, sans l’autisme, mais ce gigotage est aussi associé à l’autisme », confie sa mère.

Manon en compagnie de son petit frère, Alex. Crédit image : Étienne Fortin-Gauthier

Les premiers indices annonciateurs de l’autisme ont commencé à apparaître lorsque Manon avait quinze mois. « Peut-être qu’il y en a eu avant, mais comme nouveau parent, on ne les a peut-être pas vus », confie la mère de famille. Déjà à cette époque, la famille frappe un mur : une vingtaine de mois vont être nécessaires pour rencontrer un spécialiste et avoir l’heure juste.

« Le 15 mai 2017, Manon a été diagnostiquée comme souffrante d’autisme sévère. En plus, elle avait un trouble de développement global. Ça signifie qu’elle a des délais en communication, en motricité, dans sa compréhension et qu’elle aura besoin de beaucoup d’appuis et de thérapie », explique Josée Pharand.

Près de deux ans plus tard, de quels services de santé bénéficie-t-elle? À peu près aucun. « Manon est sur la liste d’attente depuis le 15 mai 2017. Elle a besoin d’intervention intensive et de 20 à 40 heures de thérapie par semaine pour l’amélioration de son état. On attend depuis deux ans pour avoir ces premiers soins. Quand j’ai appelé récemment, on m’a dit qu’il faudrait peut-être attendre encore 18 mois », confie Mme Pharand, exaspérée. Sa retenue trahit une colère, une incompréhension. À 5 ans, il est critique pour Manon d’obtenir cette thérapie qui pourra lui permettre de gagner en autonomie, dit-elle.

N’acceptant pas que leur enfant soit victime d’un système engourdi, la famille Pharand a décidé de se tourner vers le privé pour obtenir cette thérapie tant espérée. « 20 heures par semaine allait nous coûter 55 000 $ par année. Mon mari et moi, nous avons commencé à faire des planifications budgétaires, à voir ce qu’on pourrait vendre et à considérer une marge de crédit », raconte-t-elle.

« Nous avons multiplié les appels avant de réaliser que… le privé n’offre pas de services en français à Sudbury! J’ai pleuré toute la journée. On est tellement prêt à faire n’importe quoi pour Manon. Mais pas à aller en anglais. Car, si on allait vers l’anglais, ça éliminerait tout le progrès fait en français », confie-t-elle.

Le récit de Manon à Queen’s Park

Pendant que Josée Pharand partage le récit familial, son mari joue avec Manon. Ils écoutent Marie-Soleil, une émission franco-ontarienne des années 80. « Elle a besoin d’un appui presque en continu. Que ça soit à la maison, à la garderie ou dans l’autobus pour aller à l’école. C’est en tout temps », précise Josée Pharand, affirmant que son mari est aussi dévoué qu’elle au bonheur de leur fille.

Le père de famille, informaticien, a construit un nouveau site web (www.wearethe100percent.ca) au cours des derniers jours pour permettre aux parents de s’opposer aux changements imposés par le gouvernement en matière d’autisme. Car les changements vont empirer leur situation, croit fermement Mme Pharand.

« Ce que le gouvernement fait, en quelque sort, c’est éliminer les services publics. Il décide de donner directement l’argent aux parents. En apparence, c’est positif, mais ça représente finalement un maximum de 5000 $ par année! C’est dix fois moins que ce qu’on a besoin. Des parents vont s’endetter, vendre leur maison. D’autres n’ont même pas ces possessions », dénonce-t-elle.

Il y a quelques jours, le député local de Sudbury, Jamie West, a interpellé le gouvernement Ford en partageant à Queen’s Park le cas de Manon. Quelques jours auparavant, l’équipe progressiste-conservatrice avait annoncé donner dorénavant de l’argent directement aux parents pour leur permettre d’obtenir des traitements dans le secteur privé.

Le gouvernement se défend

« J’ai voyagé dans toute la province pour rencontrer des parents. Dans le cas de Manon, on peut penser qu’elle aurait été très longtemps sur la liste d’attente, sans un changement à ce programme », a répondu Lisa MacLeod, ministre des Services à l’enfance et des Services sociaux. « Manon est dans nos pensées pour qu’elle puisse finalement avoir des services », a indiqué Mme MacLeod, en affirmant que les fonds pour les services diagnostiqués seraient doublés et répétant que les parents auront dorénavant la possibilité de choisir.

Une société doit prendre soin des plus vulnérables, rappelle Josée Pharand. « En Ontario, les services médicaux sont couverts à 100 %. Si on brise notre bras dix fois dans l’année, on va recevoir des soins. Concernant les enfants autistes, la thérapie est aussi une nécessité médicale », souligne-t-elle.

En attendant, les deux parents se débrouillent en suivant des formations qu’ils dénichent ici et là. Manon profite aussi des services d’orthophoniste et d’ergothéraphie de l’école. « Son enseignante et les intervenants de l’école font un travail exceptionnel. Ils l’aiment vraiment. Ils sont passionnés. On dit que ça prend un village pour élever un enfant, c’est vrai », affirme-t-elle, tout en insistant sur la nécessité pour sa fille de suivre la thérapie indiquée.

« Lorsqu’on lit sur l’autisme, on dirait qu’on tombe seulement sur du négatif sur internet. C’est pas facile de lire ça continuellement. Les enfants autistes ont leurs forces. Manon a une mémoire fantastique, une joie de vivre. Je veux qu’elle soit heureuse dans la vie et qu’on puisse développer toutes ses forces pour qu’elle puisse vivre une vie indépendante », affirme sa mère.