Blaise Ndala, la réussite par les mots

Blaise Ndala au Salon du livre de l'Outaouais. Crédit image: Salon du livre de l'Outaouais

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

OTTAWA – De Kinshasa à Hollywood en passant par Bruxelles, le romancier franco-ontarien, blaise Ndala, s’est livré à ONFR+ sur sa carrière pour le moins inattendu comme auteur ainsi que les coulisses de sa création.

« Vous êtes auteur de deux romans « J’irai danser sur la tombe de Senghor » et « Sans capote ni kalachnikov », vous avez été deux fois finaliste au Prix Trillium, gagnant du Prix du livre d’Ottawa et j’en passe. Aujourd’hui c’est Hollywood qui vous courtise pour l’adaptation cinématographique de votre premier roman. Vous vous attendiez à un tel succès? 

Je ne me considère pas encore comme quelqu’un qui a atteint le summum de la littérature, loin de là. Mais je ne m’imaginais pas à un avenir d’auteur, ça, c’est clair. Pour la simple raison qu’étant jeune, même si j’écrivais, mon rêve était soit d’être journaliste soit avocat ou professeur de droit.

J’ai déjà raconté l’anecdote à quelques-uns de vos confrères ou consœurs journalistes, mais je suis devenu auteur grâce au chantage que m’avait fait mon ex-fiancée. Elle avait lu un manuscrit que j’avais ramené de Belgique et avait aimé. Elle voulait l’envoyer chez un éditeur. Cependant, comme je n’aimais plus ce vieux manuscrit qui datait de cinq ou six ans,  je lui ai proposé d’écrire un autre texte en lui précisant de ne pas se faire trop d’illusions, car les éditeurs reçoivent énormément de textes.

Je n’aurais pas fait cette rencontre et ce chantage sympathique, je ne serais peut-être pas encore reconnu. J’aurais peut-être publié, mais sûrement dans cinq ou 10 ans.

Comment votre famille biologique, restée au Congo, vit-elle votre réussite au Canada?

Ils sont comme je l’imagine devraient être beaucoup des parents. Ils sont particulièrement ravis. Celui qui le manifeste le plus, c’est mon père. La passion de l’écriture me vient de lui. Parce qu’il lisait beaucoup quand j’étais jeune, il m’amenait des bandes dessinées, des romans-jeunesse, etc. On jouait à un jeu où il me prêtait un livre et je devais le lui raconter soit verbalement soit par écrit. Mon père suit à la trace tout ce que je fais et comme nous sommes amis sur Facebook, il tient à savoir tout ce qui se passe.

Si je dois passer à la radio, par exemple, il veut avoir des précisions sur l’heure, même quand c’est tard. Malgré le décalage horaire, il veut suivre en direct! En résumé, ils sont fiers de ce que leur fils aîné est devenu. Et comme dans toutes les familles, on fonde beaucoup d’espoir sur l’aîné, on veut qu’il réussisse, qu’il aille le plus loin possible pour servir de modèle aux autres.

L’auteur Blaise Ndala. Crédit image : Pascale Castonguay

Est-ce facile de garder la tête froide lorsqu’on a un certain succès et qu’on devient un modèle pour les autres?

Oui, tout dépend du rapport individuel qu’on a avec le succès. Si on considère le succès comme étant la conséquence d’un travail fait avec rigueur et dans la durée, le succès devient normal. On appellera cela de la reconnaissance.

En plus, de tout temps, je me suis toujours concentré sur ce qui doit être fait et non sur le bruit que cela va potentiellement engendrer.

Est-ce que le mot succès vous dérange?

(Soupir) Vous savez, c’est très facile de s’éloigner de ce qui est essentiel et important pour suivre l’accessoire. Le succès est une conséquence de ce qu’on fait et il n’est pas irréversible. Lorsqu’on ne te parle que du succès, on t’éloigne de la rigueur, de l’autocritique et de l’humilité. Je n’ai écrit que deux livres, ce n’est rien dans la production littéraire. Pour moi, prendre une certaine hauteur par rapport à ce que les autres appellent succès fait partie de mon hygiène artistique.

À votre arrivée au Canada, vous faites dans un premier temps le choix de rester au Québec. Dans quelle circonstance vous êtes-vous finalement retrouvé dans la région d’Ottawa? 

Comme la plupart des Africains francophones, je ne maîtrisais pas l’anglais et arriver au Québec m’a permis de me familiariser avec le pays. Ensuite, je me suis retrouvé dans la région d’Ottawa par un concours de circonstances. Mon oncle travaillait dans la capitale nationale et essayait de me convaincre qu’avec mes diplômes et expériences accumulés en Afrique, ainsi qu’en Belgique comme juriste, j’aurais beaucoup de chance de me trouver un bon emploi dans la fonction publique nationale.

Le facteur qui a été décisif, c’est un de mes anciens enseignants du secondaire qui était prêtre et vivait dans la région d’Ottawa- Gatineau. Il m’offrait un emploi dans le secteur privé. J’ai donc demandé le transfert de mon inscription pour venir étudier à Gatineau. Et donc, après cinq mois à Montréal, je me suis rapproché d’Ottawa en habitant à Hull. C’était donc à la fois pour cet emploi et pour suivre les conseils de mon oncle.

Crédit image : Pascale Castonguay

Vous sentez-vous franco-ontarien?

Je dois confesser que ça a pris un temps. Tout ce qui touche à la manière dont on s’identifie se construit dans la durée.

Quand je suis arrivé dans la région, j’ai habité cinq ans à Hull. Je n’avais pas vraiment de raison de me sentir franco-ontarien. C’est une fois que j’ai traversé la rivière, avec le temps, que je me suis beaucoup intéressé à la minorité linguistique à laquelle j’appartenais dorénavant, en m’intéressant à ses luttes, aux gens qui se sont battus avant moi pour avoir droit aux soins de santé en français, des enjeux tellement forts que je ne connaissais pas du tout quand j’habitais au Québec.

Ça m’a ouvert à une vision beaucoup plus globale sur les enjeux de la francophonie en général. Bien entendu, lorsque je suis devenu auteur en habitant à Ottawa, j’ai compris ce que ça voulait dire être francophone dans une province largement anglophone.

Alors oui, aujourd’hui je me sens franco-ontarien. Je considère les batailles, les luttes et les défis que vit cette communauté comme étant des questions qui me touchent particulièrement.

Dans vos romans, vous critiquez pas mal la société occidentale et vous vous attaquez aux vices de la société africaine, par extension ici la région africaine des Grands Lacs. L’intention est-elle de dénoncer?

Je ne sais pas si je dénonce, ce que je fais c’est de montrer un portrait de la société qui n’est pas glorieux certes, mais je le fais sous une forme littéraire bien connue qu’on appelle la satire. J’essaye de montrer les traits d’une société qui marche sur la tête. Je voulais montrer comment les drames peuvent être instrumentalisés, en particulier dans ces sociétés qui exercent une sorte d’hégémonie médiatique sur le reste du monde. Mon but était de montrer comment l’utilisation des images et de la narration de ces conflits aboutit à une sorte d’avilissement des peuples concernés, qui vivent la pauvreté, etc. sans qu’eux-mêmes aient la possibilité de les peindre ou de raconter leurs guerres. C’est plus de l’ordre du portrait que de la dénonciation.

Blaise Ndala au Salon du livre de l’Outaouais. Crédit image : Salon du livre de l’Outaouais

Qu’est-ce que ça vous fait d’être également lu dans les programmes d’étude en Europe et aux États-Unis?

C’est une marque de reconnaissance de mon travail, d’autant plus que ça vient d’un milieu où la rigueur est la norme. Cela veut dire qu’on me reconnaît une certaine pertinence.

Quels sont les écrivains qui vous ont le plus influencé?

C’est difficile pour un auteur de prendre la plume et de vouloir écrire comme untel. Je pense que quand on a beaucoup lu, lorsqu’on se met à écrire, ça devient la somme des ingrédients de plusieurs influences, à laquelle s’ajoute une part qui vient de notre propre âme.

Dans mon cas, jeune, je lisais les classiques de la littérature française, de Jean de La Fontaine à Antoine de Saint-Exupéry en passant par Lamartine. Mais les auteurs qui m’ont ébranlé et qui ont suscité chez moi l’envie de créer, c’est Valentin-Yves Mudimbe de la République démocratique du Congo et Sony Labou Tansi du Congo-Brazzaville.

À quand un troisième roman?

(Rires) J’y travaille encore! Je ne peux pas vous confirmer la date, tout ce que je peux vous dire, c’est que ça sera au courant de l’année 2020. »


LES DATES-CLÉS DE BLAISE NDALA :

1972 : Naissance à Lusanga, en République démocratique du Congo

2003 : Départ pour la Belgique

2007 : Arrivée au Canada

2014 : Parution de son premier roman, J’irai danser sur la tombe de Senghor, aux Éditions L’Interligne

2015 : Arrivée en Haïti comme chef de mission pour Avocats Sans Frontières Canada

2017 : Parution de son deuxième roman, Sans capote ni Kalachnikov, aux éditions Mémoire d’encrier

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.