Budget fédéral : l’industrie du livre reléguée en bas de page?
TORONTO – Le budget fédéral laisse peu de place au monde du livre, avec un investissement de 6 millions de dollars au Conseil des arts du Canada (CAC) bien en deçà des attentes du milieu. Le secteur littéraire reçoit un appui limité ce qui déstabilise les acteurs de la chaine de production des livres.
L’espoir des organismes culturels de création de recevoir un financement de 140 millions de dollars a été rapidement éclipsé par une enveloppe qui a tendance à se réduire au fil des ans. « 6 millions de dollars sur 3 ans, à compter de 2026-2027, au Conseil des arts du Canada afin d’aider les artistes professionnels et les organismes artistiques », lit-on dans le communiqué du gouvernement.
Le budget n’a prévu aucun renouvellement pour le Fonds du livre du Canada (FLC) dont les 10 millions de dollars reçus l’an passé s’épuiseront d’ici mars 2026.
« Ce n’est pas du tout à la hauteur de ce qui avait été souhaité en fonction des besoins », affirme Stéphane Cormier, qui observe que le financement de base du FLC stagne depuis près de vingt ans.

Ce dernier, qui assure la co-direction des Éditions Prise de parole à Sudbury, explique que l’investissement en question n’épongera pas les coûts qui augmentent à tous les niveaux de la chaîne de production d’un livre. La fermeture temporaire de la Librairie Panache cet été, illustre bien les enjeux auxquels se heurte le secteur du livre franco-canadien dans son ensemble, bien que ces 6 millions soient destinés notamment aux maisons d’édition.
Des subventions qui stagnent pour les éditeurs
D’un côté, la fluctuation des coûts d’impression, de distribution et des contrats avec les auteurs selon l’inflation et de l’autre, l’invariabilité du montant des subventions perçues réduit leur impact auprès des éditeurs.
« Ce n’est pas un petit renflouement de 6 millions au Conseil des arts du Canada qui va changer cette situation », déplore Stéphane Cormier qui ajoute que pour la très grande majorité des maisons d’édition, ces montants sont restés presque inchangés ces 8 dernières années.
Non seulement l’inflation contribue à l’appauvrissement du milieu éditorial francophone, mais la multiplication de nouvelles maisons d’édition face à un soutien financier qui stagne, réduit l’effet de ces subventions. « Même certaines nouvelles maisons d’édition professionnalisées n’arrivent même pas à accéder aux demandes de subventions de base », avertit l’éditeur.
Un accompagnement limité pour les auteurs
Du côté des auteurs, alors que le budget mentionne la révision d’un meilleur encadrement du droit d’auteur pour l’industrie audiovisuelle, le livre « a été oublié », considère la présidente de l’Association des auteures et des auteurs de l’Ontario français (AAOF), Marie-Josée Martin.
De plus, nombre de créateurs littéraires s’accordent sur le manque de bourses octroyées. Le taux de réponses favorables aux demandes demeure faible : « Parfois les bourses du CAC, c’est vraiment le seul moyen de se consacrer à l’écriture », confie Piedad Sáenz, directrice générale du Regroupement des éditeurs franco-canadiens.
Visiblement relégué en bas de la page du budget fédéral, le secteur littéraire tire la sonnette d’alarme face au risque de sa trajectoire déclinante qui menace directement la création de contenus francophones.

À l’échelle nationale, la Coalition pour la diversité des expressions culturelles (CDEC) qui soutient depuis longtemps la demande d’une rémunération équitable des créateurs en encourageant les institutions éducatives locales à puiser leurs ressources littéraires auprès des libraires locaux, martèle également la nécessité de protéger la souveraineté culturelle du secteur et baliser l’intelligence artificielle.
« C’est important de rappeler que si on n’investit pas dans le milieu du livre ou dans tous les secteurs de la culture, on risque de perdre notre souveraineté culturelle », souligne Christian Laforce qui participe au comité exécutif de la CDEC.

« Il faut des mesures destinées au milieu culturel pour justement apprivoiser l’IA et limiter les pertes de revenus pour les créateurs », explique le représentant de la CDEC.
La présidente de l’AAOF évoque même la notion d’un « pillage numérique » des œuvres littéraires francophones par l’IA, rappelant le piratage de livres francophones par Meta plus tôt cette année afin d’alimenter une de ses applications.
« Ça fait 25 ans que suis dans le milieu du livre, ça fait 25 ans que le milieu est sous-financé », dénonce M. Cormier qui rejoint le consensus du milieu éditorial qui s’accorde sur une visible mise au second plan du secteur littéraire et de la culture de la création.
« Le livre, c’est vraiment le parent pauvre qui a été un peu laissé pour compte », constate également M. Laforce. Le secteur espère encore le renouvellement du budget du FLC.