Budget fédéral : la part du lion pour l’Ontario

Le chantier de l'autoroute 412 dans la région de Durham. Ministère des Transports de l'Ontario

OTTAWA – Le gouvernement fédéral de Justin Trudeau trempera sa plume dans l’encre rouge en 2016 pour financer des investissements records de 11,9 milliards $ dans l’infrastructure, dont plus du tiers dans les transports en commun et la résilience au changement climatique, et dont l’Ontario obtiendra la part du lion.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
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BENJAMIN VACHET
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ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
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Le déficit annuel prévu par Ottawa est de 29,4 milliards $, soit trois fois plus que le « modeste » manque à gagner que le clan libéral avait laissé entrevoir avant les dernières élections.

« Ce budget accorde la priorité aux gens et accorde l’aide dont les Canadiens ont besoin dès maintenant. Mais il ne s’agit pas seulement du moment présent, loin de là. Il s’agit d’une étape essentielle qui s’inscrit dans un effort soutenu et stratégique visant à rétablir la prospérité et l’optimisme », a déclaré le grand argentier fédéral Bill Morneau lors du dépôt de son premier budget à la Chambre des communes, mardi 22 mars.

L’Ontario obtiendra 1,5 milliard $ pour ses transports collectifs, soit près de la moitié de l’enveloppe fédérale pour des bus et des rails. Le fédéral se dit prêt à financer jusqu’à 50% des coûts de certains grands chantiers, comme la deuxième phase d’un projet de train léger à Ottawa et l’acquisition de nouveaux wagons de métro et de tramways à Toronto.

Le gouvernement libéral à Queen’s Park a accueilli favorablement les nouveaux investissements dans l’infrastructure, qu’il réclamait depuis quelques années déjà.

« Nous partageons les mêmes valeurs. Nous avons des priorités communes. Je suis satisfait des propositions pour la classe moyenne et pour permettre d’avoir un Canada et un Ontario forts », a réagi le trésorier ontarien Charles Sousa lors d’un point de presse à Toronto, peu après le dépôt du budget fédéral.

La première ministre Kathleen Wynne avait réclamé d’Ottawa en 2014 des investissements annuels de 12 milliards $ dans l’infrastructure, soit l’équivalent de ce qu’elle dépense elle-même chaque année pour bâtir et retaper les routes et les ponts de sa province.

Les néo-démocrates à Queen’s Park ont dit reconnaître dans le budget fédéral « une occasion » pour le gouvernement Wynne de « combler les lacunes de son propre budget » et ainsi mettre un frein à des compressions dans la santé et l’éducation et à la privatisation du fournisseur d’électricité Hydro One.

« Nouvelle ère »

L’investissement des conservateurs de Stephen Harper dans l’infrastructure s’élevait depuis 2013 à environ 5 milliards $ par année pour l’ensemble du pays.

« Le budget fédéral d’aujourd’hui est une très bonne nouvelle », a partagé le maire Jim Watson, de la Ville d’Ottawa. « La partie la plus importante de ce budget est l’engagement renouvelé du fédéral à financer des projets d’infrastructure comme le transport en commun et le logement abordable. C’est exactement ce que (nous) et d’autres municipalités demandions depuis un an. »

Le fédéral pense investir près de 1,5 milliard $ dans la rénovation et la construction de logement abordable au cours de la prochaine année.

Pour la Fédération canadienne des municipalités (FCM), ce premier budget de Bill Morneau inaugure « une nouvelle ère » de collaboration entre le fédéral et les villes. « En travaillant ensemble, nous créerons de l’emploi, assurerons des logements abordables pour tous, améliorerons les transports collectifs et protégerons l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons », s’est réjoui le président de l’organisation, Raymond Louie.

Signe d’un virage « vert », le clan Trudeau prévoit investir 518 millions $ dans des projets liés à l’adaptation et à la résilience de l’infrastructure au changement climatique, comme des rénovations écoénergétiques.

Il ne serait pas question pour l’instant de taxer les émissions polluantes à l’échelle nationale mais plutôt, comme première étape, d’octroyer du « financement stratégique » pour des technologies propres.

Premières nations

Le premier budget libéral depuis une décennie à Ottawa ne donne cependant pas d’indication claire du gouvernement dans le sens d’une bonification du Régime des pensions du Canada (RPC), alors que M. Morneau repousse d’ici la fin de l’année la prise d’une « décision collective » à ce sujet avec les provinces et les territoires.

L’Ontario a décidé de retarder d’un an le lancement de son propre régime d’épargne-retraite pour essayer une fois de plus de s’entendre avec le fédéral sur un RPC amélioré.

Une enveloppe d’un peu plus de 4 milliards $ sur cinq ans serait dédiée à l’éducation des Premières nations, notamment la construction d’écoles et l’embauche d’enseignants. Ce financement serait « conforme à l’esprit » de l’accord de Kelowna, conclu par l’ancien premier ministre libéral Paul Martin et 2005 et déchiré par Stephen Harper l’année suivante.

Les Premières nations doivent aussi recevoir une part importante des investissements d’Ottawa dans l’infrastructure, soit 2,2 milliards $ pour la gestion de leurs eaux usées et leurs déchets, et 1,2 milliard $ dans les installations sociale des populations autochtones et inuites.

Le premier budget de l’ère Trudeau propose par ailleurs d’allonger 78,1 millions $ pour rouvrir des bureaux de services pour les Anciens combattants que l’ancien gouvernement avait récemment fermés à Thunder Bay et Windsor, en Ontario, et dans sept autres communautés à travers le pays.

En revanche, le clan libéral à Ottawa souhaite décaler de quatre ou cinq ans des investissements de 3,7 milliards $ de la Défense nationale pour le renouvellement du parc d’avions de chasse et la flotte de navires de guerre.

« Classe moyenne »

Le ministre Bill Morneau a dit prévoir un retour à l’équilibre budgétaire « dans à peu près cinq ans ». Son plan économique, très axé sur les investissements dans la « classe moyenne », pourrait cependant alourdir la dette canadienne de 648 milliards $ à plus de 732 milliards $ au cours de la même période.

L’opposition aux Communes a critiqué l’ébauche budgétaire des libéraux des deux côtés de l’échiquier politique, le 22 mars.

« Ce que les libéraux semblent ne pas comprendre est que l’argent emprunté devra être remboursé », a fustigé la chef conservatrice par intérim Rona Ambrose. « C’est une situation malheureuse compte tenu du fait que le Parti libéral a hérité des finances du pays avec un budget équilibré, le fardeau fiscal le plus bas en 50 ans et un excellent bilan de création d’emplois. »

Pour les néo-démocrates fédéraux, ce budget serait plutôt « une occasion ratée » de réduire des inégalités économiques au Canada. Le document n’offrirait « pas le changement promis par le premier ministre de réduire l’écart entre les riches et la majorité des Canadiens », selon le chef de la deuxième opposition Thomas Mulcair.

Le Parti vert s’est dit, pour sa part, déçu que le budget libéral ne prévoit aucun mécanisme de taxation du carbone, ni aucune réduction des subventions à l’industrie des combustibles fossiles.