Bureau de la traduction : « Ça va craquer! »

OTTAWA – Confrontés à un manque d’effectif et de moyens chroniques selon eux, les représentants de l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP) tirent la sonnette d’alarme quant à l’avenir du Bureau de la traduction.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Le comité permanent des langues officielles poursuivait, lundi 11 avril, son étude sur le Bureau de la traduction. Un mois après la présidente-directrice générale de l’organisme, Donna Achimov, c’était notamment au tour des représentants syndicaux de se prononcer sur la situation du Bureau de la traduction.

Une chose est sûre, l’ACEP, qui représente notamment les 925 traducteurs, interprètes, terminologues de la fonction publique fédérale, ne fait pas la même lecture que Mme Achimov.

Les abolitions de quelque 400 postes par attrition les quatre dernières années et les 144 autres prévus d’ici 2017-2018 ont mis une pression insoutenable sur les fonctionnaires, selon le vice-président de l’ACEP, André Picotte.

« On approche le point de rupture! Le maintien de la qualité du travail du Bureau de la traduction se fait au détriment de la santé de nos membres. Il y a beaucoup de stress, les délais sont trop serrés, ils sont poussés à bout. Cela va encore empirer avec les autres départs prévus. Ça va craquer! »

Ce dernier explique que si rien n’est fait rapidement, l’expertise accumulée depuis 1934 sera perdue.

Avec la présidente nationale de l’ACEP, Emmanuelle Tremblay, M. Picotte a donc plaidé pour un investissement du gouvernement au sein du Bureau de la traduction afin de lui permettre d’exercer son mandat de contribuer à protéger la dualité linguistique. L’ACEP souhaiterait aussi que le Bureau de la traduction devienne le service gouvernemental responsable de l’activité de traduction dans l’appareil gouvernemental fédéral.

En entrevue avec #ONfr, M. Picotte précise que le problème ne date pas d’hier.

« Les problèmes ont commencé dans les années 90, quand le gouvernement libéral a procédé à l’examen des programmes, y compris celui de traduction. C’est à la suite de cet exercice, en 1995, qu’il a décidé de faire du Bureau de la traduction un « organisme de service spécial », sorte d’organisme autonome du ministère. Le Bureau de la traduction s’est alors retrouvé déchiré entre son mandat de protéger la dualité linguistique canadienne tout en devant désormais recouvrer une partie de ses coûts. »

Mis en concurrence avec le secteur privé auquel les ministères et organismes fédéraux pouvaient alors recourir, le Bureau de la traduction se serait alors « éloigné de son mandat de base », selon M. Picotte.

« Le problème actuel, c’est qu’il est très difficile de prévoir adéquatement le travail qu’aura le Bureau de la traduction d’une année sur l’autre car on ne connaît pas la demande. Selon leurs réalités financières, les ministères et les organismes peuvent décider de faire des économies et c’est souvent la traduction qui est coupée en premier. C’est ce qui s’est passé en 2012, à la suite des compressions budgétaires de M. Harper. Combinées à la vision utilitariste du gouvernement conservateur, cela a accéléré la détérioration de la situation », analyse Mme Tremblay.

À l’opposé du discours de Mme Achimov visant à rationaliser le Bureau de la traduction, les deux représentants de l’ACEP ont remis en cause cette logique économique.

« Le Bureau de la traduction joue un rôle fondamental pour traduire, bien sûr, mais aussi pour défendre la qualité de la langue. Il a un rôle culturel et se trouve au centre de la dualité linguistique canadienne. Le gouvernement a un choix à faire entre le coût et le mandat. Sous les conservateurs, la seule obsession, c’était la rentabilité! »

Un outil de compréhension, pas de traduction

Alors que la mise en place de l’outil de traduction automatique au sein de la fonction publique fédérale a été reportée de quelques semaines, les représentants du Centre de recherche en technologies langagières (CRTL) en ont vanté les mérites, mais aussi reconnu les faiblesses devant le comité.

« Selon les chiffres de Mme Achimov, les fonctionnaires fédéraux ont utilisé Google translate plus de 1 million de fois l’année dernière. Cela pose un problème de sécurité car ça signifie que des textes du gouvernement canadien se retrouvent désormais sur le serveur d’une compagnie étrangère qui peut en disposer à sa guise. C’est une des raisons qui a poussé à la création d’un outil de traduction canadien », a expliqué Donald Barabé, président du conseil d’administration du CRTL.

Ancien employé du Bureau de la traduction où il a travaillé pendant 35 ans, M. Barabé a été un des instigateurs du fameux outil qui sera bientôt mis en place.

« C’est un outil qui peut être très utile car il permet de traduire instantanément, cela peut permettre certains gains de productivité. Toutefois, c’est un outil qui ne produit pas de la qualité et qui ne devrait être utilisé que pour gagner du temps et aider une personne qui ne maîtrise pas la langue à avoir une idée de ce dont le texte qu’elle lit parle. C’est la raison pour laquelle il est important qu’il soit encadré et respecte quatre conditions : ne pas être utilisé pour des textes qui ont des codes de sécurité, être utilisé pour un usage personnel, qu’en cas de diffusion d’un message traduit par l’outil, celui-ci soit révisé par un traducteur professionnel et enfin, que l’outil lui-même soit régulièrement révisé. »

M. Barabé contredit ainsi Mme Achimov qui parlait d’un outil pouvant servir notamment à l’interne, dans les échanges de courriels entre collègues.

« Il est nécessaire d’expliquer que ça ne peut pas servir à quelque communication que ce soit, car cela ne respecte pas le principe de l’égalité des langues officielles. C’est un outil de compréhension, pas de traduction! »

Travailler dans sa langue

Pour Mme Tremblay, la polémique autour de l’outil de traduction automatique est surtout l’arbre qui cache la forêt.

« L’outil de traduction automatique a été l’élément déclencheur, un révélateur de la situation. Mais ça reste mineur dans l’ensemble de l’œuvre des conservateurs quant à l’érosion du Bureau de la traduction. Le Bureau de la traduction, c’est celui qui garantit aux Canadiens de recevoir des services dans une langue de qualité et aux employés de la fonction publique fédérale de pouvoir continuer à travailler dans la langue de leur choix. »

Car la volonté de faire des économies a eu une conséquence directe sur ce droit prévu dans la Loi sur les langues officielles, selon les représentants de l’ACEP.

« Pour économiser, la pratique a été instaurée de ne plus traduire les documents de travail, mais seulement les documents finaux. Cela veut dire que quand les fonctionnaires travaillent sur ces documents, ils travaillent en anglais automatiquement. »

Optimistes, Mme Tremblay a bon espoir d’avoir été entendue.

« Il y a eu de l’intérêt de la part des députés. Aujourd’hui, le français n’est plus une langue seconde, c’est une langue secondaire. Il faut arrêter ça et je pense qu’ils le comprennent! »