Carrefour francophone de Toronto : pas avant 2027

Logo de l'Université de l'Ontario français. Archives ONFR+

TORONTO – Depuis plusieurs décennies, des Franco-Torontois rêvent de la naissance d’un épicentre francophone, qui regrouperait plusieurs organismes sous un même toit. Le carrefour de la future Université de l’Ontario français (UOF), qui incarnait en partie cet idéal, ne verra pas le jour avant au moins 2027, révèlent maintenant ses instigateurs. Face à ce constat, le projet de Maison de la francophonie renaît de ses cendres et l’aide du gouvernement fédéral est demandée.

Les dirigeants de l’Université de l’Ontario français ont reçu 1,9 million de dollars en 2019 pour des « travaux préliminaires envers la mise en place d’un Carrefour francophone du savoir et de l’innovation », indiquait le communiqué du bureau de Mélanie Joly, en janvier 2019.

Un an a passé. Et depuis, l’Université de l’Ontario français a obtenu le financement tant espéré des deux niveaux de gouvernement.

La présidente du conseil de gouvernance de l’Université de l’Ontario français, Dyane Adam. Crédit image : Jackson Ho

« L’urgence ce n’est pas le Carrefour, c’est l’Université. Le Carrefour est devenu une priorité, parce que ça a été la source de financement de l’Université de l’Ontario français », affirme dorénavant Dyane Adam, présidente du Conseil de planification de l’Université de l’Ontario français.

« Beaucoup de gens confondent le Carrefour avec l’Université. La vraie nouvelle est que l’Université ouvre en 2021, alors que le Carrefour est un projet à long terme. C’est un projet de dix ans », complète-t-elle.

Le Carrefour imaginé par Dyane Adam et son équipe rassemblerait une vingtaine de partenaires qui participeraient au projet éducatif de l’Université, en permettant aux étudiants de faire des stages ou en contribuant aux programmes universitaires.

Même si ces partenaires ne pourront pas déménager tous ensemble au sein d’un même lieu avant longtemps, Dyane Adam compte miser sur leur expertise dès 2021.

« Au départ, on va faire de la mobilisation des connaissances avec tous nos partenaires peu importe où ils seront. Le Centre francophone peut, par exemple, établir un bureau satellite et offrir des services », renchérit Dyane Adam.

Le directeur de l’Université de l’Ontario français, Jean-Luc Bernard, affirme qu’un site physique regroupant l’ensemble des partenaires est essentiel, à terme.

« Le but ultime, c’est que les francophones puissent être rassemblés, puissent travailler ensemble et aient un guichet unique, plutôt que d’avoir à courir partout. L’Université pourrait exister sans Carrefour, mais ça ne serait pas une université du 21e siècle, qui pourrait sortir des sentiers battus », dit-il.

« Mais ce n’est pas gagné, c’est encore une bataille prolongée », confie-t-il, rappelant que le Carrefour n’a pas encore obtenu de financement.

La Maison de la francophonie originale revit

En apprenant que le Carrefour de l’Université de l’Ontario français ne verrait pas le jour d’ici un horizon de 7 à 10 ans, des acteurs francophones de Toronto ont relancé des discussions pour déménager ensemble plus rapidement. Et ils demandent l’aide du gouvernement fédéral pour obtenir plusieurs millions de dollars.

Une demande de financement a été envoyée en décembre au ministère du Patrimoine canadien, au terme de plusieurs mois d’échanges avec les fonctionnaires, selon les informations obtenues par ONFR+.

Plusieurs organismes communautaires ont « des besoins immédiats » et doivent se relocaliser d’ici 18 mois, selon la demande.

Cette Maison de la francophonie regrouperait d’abord une demi-douzaine d’organismes communautaires, en plus d’une garderie, dans un espace de 8 000 à 10 000 pieds carrés. Parce que l’immeuble serait acheté grâce à des fonds publics, le loyer exigé aux organismes communautaires serait moindre que les prix du marché, promet-on.

L’ancien site internet de la Maison de la francophonie. Archives ONFR+

Depuis plusieurs décennies, le projet de la Maison de la francophonie de Toronto a été défendu successivement par différents acteurs franco-ontariens.

Depuis huit ans, Kip Daechsel et Richard Kempler ont pris les rênes du projet. C’est eux qui sont à l’origine de la demande faite au fédéral, mais ils ne souhaitent pas commenter publiquement le dossier.

À leur initiative, en 2014, l’ancien premier ministre Jean Chrétien a même participé à une soirée de financement pour le projet attirant 700 personnes. 100 000 $ avaient alors été récoltés.

Patrimoine canadien est-il prêt à financer le projet de Maison de la francophonie, qui lui a été soumis? « Le Gouvernement du Canada reconnaît l’importance d’appuyer la prestation de services aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, comme la communauté francophone de Toronto, afin de permettre l’épanouissement de communautés fortes, animées et engagées, et des citoyens ouverts sur les langues officielles », a affirmé le ministère dans une déclaration.

« Toujours intéressée. À suivre! », a pour sa part lancé Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles, lorsqu’interrogée sur la question, en mêlée de presse.

Une « crise des infrastructures francophones » à Toronto

Le Théâtre français de Toronto doit déménager dans le futur Carrefour de l’Université de l’Ontario français. Son directeur artistique, Joël Beddows, se dit prêt à attendre encore de « 7 à 10 ans » avant d’y prendre place.

« Le Théâtre français de Toronto est la dernière compagnie hors-Québec à ne pas avoir de salle de spectacle! J’ai une impatience, mais j’essaye de la gérer pour poser des gestes stratégiques », lance-t-il.

Mais il est d’avis que les organismes francophones de Toronto ont payé le prix d’un sous-financement de leurs infrastructures au cours des dernières décennies.

Joël Beddows , directeur artistique du Théâtre français de Toronto. Archives ONFR+

« La francophonie torontoise est en pleine croissance et ça va augmenter au cours des prochaines années. Pourtant, depuis de nombreuses années, il y a une crise des infrastructures francophones à Toronto. Et, malheureusement, je ne ressens pas de mobilisation nationale ou de sentiment d’urgence chez les décideurs », se désole-t-il.

La victoire de l’Université de l’Ontario français est néanmoins significative, croit-il.

« Ça fait tellement longtemps qu’on se bat pour ça. Mais maintenant que l’argent est-là, le travail commence. Nous avons 200 ans à rattraper, par rapport, à une institution comme McGill, qui est aussi en situation minoritaire », confie M. Beddows.

Il rêve au jour où son théâtre aura sa salle, mais se fait réaliste.

« Un projet immobilier prend en moyenne huit ans au Canada. Si je regarde d’autres projets culturels, comme la Nouvelle Scène ou le Conservatoire, à Ottawa, ça a pris ce temps-là », dit-il, philosophe.

Article écrit la collaboration de Benjamin Vachet