Carte Santé : l’identification linguistique restée lettre morte

Montage ONFR+

TORONTO – Plus d’un après l’adoption à Queen’s Park d’une motion de la députée franco-ontarienne Amanda Simard demandant l’ajout de la préférence linguistique dans les données de la carte Santé, les patients francophones ne sont toujours pas identifiés.

Imaginez un monde, une province, dans lesquels on vous sert en français dans n’importe quel centre de santé, hôpital ou pharmacie, le tout sans que vous ayez à le demander, rien qu’en présentant votre carte Santé. Un monde idéal? Pas pour tout de suite.

L’Assemblée législative de l’Ontario a pourtant adopté à l’unanimité une motion de la députée de Glengarry-Prescott-Russell, Amanda Simard, en ce sens, dès octobre 2018. Une initiative saluée à l’époque par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) qui en faisait la recommandation numéro 1 de son Livre blanc sur la santé en français.

Seulement voilà, un an plus tard, rien ne s’est traduit dans les faits.

Très attendue dans la communauté, cette mention systématiquement intégrée dans le système électronique au moment de la création ou du renouvellement de chaque carte permettrait des avancées considérables dans le traitement des services en français.

Un outil pour diminuer les files d’attente

« Les mesures seraient bien plus précises et nous donneraient une photographie globale », explique Estelle Duchon, directrice générale de l’Entité 4. Son organisme de planification des services en français a pour mandat de faire des recommandations aux agences gouvernementales.

Les actions de planification des Entités se basent, pour l’heure, principalement sur les données socio-démographiques du recensement par sous-région, ainsi que sur des consultations thématiques réalisées auprès de population cibles.

« Le système pourrait non seulement nous dire à quels services les patients accèdent mais aussi où et quand ils y accèdent », envisage Mme Duchon. « On serait donc capable de savoir si des endroits ont besoin de plus de services en français et d’agir, par exemple, sur le temps d’attente. »

Diminuer les files d’attente est justement l’une des priorités du ministère de la Santé et des Soins de longue durée. Le gouvernement s’est notamment engagé à éliminer la médecine de couloir et, de façon générale, l’attente excessive avant de recevoir des soins.

La mise en œuvre d’une motion, pour laquelle Queen’s Park a donné son feu vert, ne souffre donc d’aucun obstacle politique.

Un indicateur en terme de pathologies

L’autre raison qui provoque une certaine impatience du côté des patients comme du côté des agents de planification, c’est que l’identification linguistique serait un indicateur très utile en terme de pathologies.

Actuellement, le système est en effet relié aux bases de données du ministère de la Santé et des Soins de longues durée. Ce dernier traite des données en quantité importante, sans toutefois être en mesure de dissocier les problèmes de santé selon la langue.

« La mise en œuvre de l’identification linguistique permettrait de faire un tri spécifique et de repérer des pathologies en particulier », explique la directrice générale de l’Entité 4. « À partir de ces informations, on pourrait améliorer la planification et faire des études. »

Sans cette variable, à terme, les équipes Santé Ontario, futurs regroupements de professionnels locaux interconnectés, continueront à traiter des données sans lentille francophone.

Des données exhaustives et instantanées

Intégrer la préférence linguistique systématique éviterait enfin un fastidieux travail de collecte des données à l’échelle de chaque fournisseur, d’autant que les agents de planification se font souvent dire « On n’a pas de patients francophones ici » dans des régions qui en comportent au-delà de 3 %.

Cela requiert que les patients eux-mêmes se signalent ou réclament des services en français, et aux fournisseurs de les enregistrer comme tels, selon leur bon vouloir. Difficilement réalisable, ce mécanisme ne résiste pas aux perspectives d’information instantanée qu’offre l’identification par la carte Santé. Sans compter l’aspect quantitatif qui dépasserait tous les objectifs fixés par les consultations, dont les résultats restent inégaux et partiels.

« Cela faciliterait le quotidien des patients, conscientiserait les fournisseurs et améliorait la planification des services en français », résume Estelle Duchon qui entrevoit dans ce futur outil une manière de développer l’offre active.

Le ministère prône un « examen approfondi »

Pour justifier le retard pris dans l’application de cette mesure, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée explique que « l’inclusion de l’identification linguistique dans le processus d’inscription et de renouvellement de l’Assurance-santé Ontario nécessite un examen plus approfondi. »

Son porte-parole, David Jensen, rappelle toutefois que, actuellement, pour chaque personne inscrite à l’Assurance-santé Ontario, une préférence linguistique en anglais ou en français est enregistrée.

« Ces informations, stockées sur la bande magnétique située à l’arrière de la carte Santé, sont utilisées pour déterminer la langue des avis ou autres correspondances envoyés aux clients par le ministère ou par ServiceOntario », détaille-t-il. « Les fournisseurs de soins de santé peuvent également y accéder. »