Ce que l’identification linguistique sur les cartes Santé pourrait changer

Image de la carte Santé ontarienne. Montage ONFR+

TORONTO – Entrer dans un hôpital ou un centre de santé communautaire, présenter sa carte Santé, et être automatiquement servi en français, un monde idéal? Le projet d’identification linguistique de la carte Santé refait de nouveau surface dans l’Ontario français. Cette fois, c’est le Nouveau Parti démocratique (NPD) qui tente d’obtenir ce gain.

Le député néo-démocrate, Guy Bourgouin, a déposé mardi un projet de loi visant à renforcer et à améliorer l’accès aux services de santé en français en Ontario.

Objectif? Incorporer les variables linguistiques dans les collectes de données des clients du système de santé afin d’identifier les francophones et « améliorer la planification des services ».

Le projet de loi de M. Bourgouin combine l’identification linguistique de la carte Santé à l’ajout de signes phonétiques, tels que les accents et les cédilles.

L’idée n’est pas sans rappeler l’ajout de ces mêmes signes sur les permis de conduire ontarien, validé par le gouvernement de l’Ontario l’an passé. Depuis septembre 2020, les Franco-Ontariens peuvent demander gratuitement un permis de conduire affichant leur nom en caractères français, le tout au moment de remplacer leurs anciens documents.

Le député néo-démocrate Guy Bougouin à l’Assemblée législative de l’Ontario. Capture écran.

« Nous avons eu effectivement des annonces sur les permis de conduire, mais sur la carte Santé, rien n’a été fait. Il s’agit de respecter nos droits pour qu’on soit plus reconnu », laisse entendre Guy Bourgouin, en entrevue pour ONFR+. « Présentement, nous n’avons rien qui puisse prendre les données pour qu’on puisse identifier les patients francophones. »

Le député de Mushkegowuk-Baie James a « bon espoir » que le projet soit adopté. « La balle est maintenant dans le camp du gouvernement », estime-t-il.

Contacté par ONFR+, le bureau de la ministre aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, ne se prononce pas. « Il est encore tôt dans le processus législatif. Nous étudions le projet de loi avec intérêt. Nous avons hâte d’entendre les opinions de tous les députés, sans préjuger des avis et des conclusions qui résulteront du débat », nous dit-on dans un échange de courriels.

Pas la première fois

Ce n’est pas la première fois que le projet sur l’identification linguistique de la carte Santé revient dans l’arène de Queen’s Park.

En octobre 2018, l’Assemblée législative de l’Ontario avait pourtant adopté à l’unanimité une motion en ce sens de la députée de Glengarry-Prescott-Russell, Amanda Simard.

Une initiative saluée à l’époque par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) qui en faisait la recommandation numéro 1 de son Livre blanc sur la santé en français.

Mais Amanda Simard, alors députée conservatrice, vivait ses dernières semaines dans sa famille politique d’origine. Après sa démission consécutive à la crise linguistique, la motion ne s’est jamais transformée en un projet de loi.

La même année, au printemps, le Parti libéral alors dirigé par Kathleen Wynne, avait semblé faire un pas en faveur de l’identification linguistique. Dans son dernier document budgétaire présenté en avril 2018, le gouvernement affirmait vouloir « saisir l’identité linguistique francophone dans le système gérant la carte de santé de l’Ontario ».

Encore, là, le projet était resté sans suite.

Des hôpitaux conscients de l’identité linguistique des patients 

L’identification linguistique, voilà un projet sur lequel se penchent les entités de planifications en français depuis plusieurs années. Ces groupes, chargés d’identifier les besoins de la communauté et planifier les services en français, réclament le changement depuis longtemps.

« Les entités sur le terrain pourraient obtenir que les fournisseurs des services, c’est-à-dire essentiellement les hôpitaux et les centres de santé communautaires, puissent identifier les francophones, et que l’aspect linguistique puisse être pris en considération », laisse entendre Constant Ouapo, à la tête de l’Entité 3, qui conseille le milieu de la santé dans le Grand Toronto. « Cela nous offrirait une vue plus complète de la démographie. »

Et de poursuivre : « Pour le moment, les fournisseurs de santé ne peuvent pas nous dire combien de francophones sont identifiés. D’un autre côté, les francophones nous disent que cela ne sert à rien de demander les services en français, car ils pensent que ceux-ci n’existent pas. On est dans un cercle vicieux. »

Les actions de planification des entités se basent, pour l’heure, principalement sur les données socio-démographiques du recensement par sous-région, ainsi que sur des consultations thématiques réalisées auprès de populations cibles.

M. Ouapo pense que l’identification linguistique renforcerait les services en français offerts par « d’éventuels infirmières et sages-femmes » par exemple, tout en développant parallèlement l’offre active.

Constant Ouapo, directeur général d’Entité 3, agence torontoise de planification des services de santé en français. Gracieuseté

Patholigies spécifiques et urgence 

Son homologue Diane Quintas, directrice du Réseau du mieux-être du Nord de l’Ontario (une autre entité), abonde dans le même sens.

« Les données sont toutes analysées ensemble, mais on ne sait pas si les francophones ont plus par exemple de taux de cancer, et donc il est impossible de planifier les soins pour les francophones. »

Chaque échantillon de population est susceptible de développer des pathologies spécifiques, parfois liés à une région, soutient Mme Quintas. Or, rien n’existe encore pour les francophones. Si les accents et cédilles n’ont pas d’influence selon elle, l’identification linguistique changerait bel et bien la donne. 

 « On sait que pour le Nord-Ouest de l’Ontario, le problème du diabète est par exemple plus grand qu’ailleurs, car la population autochtone a un taux plus élevé de diabète. En ayant la donnée francophone, on serait aussi capable de compiler la langue, l’âge, la région, et ainsi de mieux planifier. On fait souvent l’hypothèse que les francophones plus âgés peuvent développer certaines pathologies, mais nous n’avons pas la confirmation. C’est justement ces informations que permettrait l’identification linguistique. »

Pour la directrice générale, cette information directement accessible grâce à la carte offrirait par ailleurs une meilleure prise en charge dans des situations d’urgence.

« Si une personne francophone s’évanouit par exemple, et est transportée par son conjoint anglophone à l’hôpital, alors on va supposer à tort que cette personne malade est anglophone. En colligeant l’information sur la carte Santé, on pourrait alors offrir immédiatement un service de santé en français à cette même personne. »

Mme Quintas espère maintenant que les choses « bougent » à Queen’s Park. « Les six entités avions fait une déclaration de principe commune de 2013 pour l’identification linguistique. Cela commence à faire longtemps! »