Changement de cap au milieu de la tempête pour l’Ontario

Le ministre des Finances, Rod Phillips. Archives ONFR+

[ANALYSE]

TORONTO – Sous le gouvernement Ford, les énoncés économiques laissent souvent plus de traces et d’impacts que les dépôts budgétaires. En pleine crise de la COVID-19, cette mise à jour des comptes de dépense provinciale, publiée mercredi dernier, va dans ce sens. À priori seulement, elle semble même un tournant majeur.

Doug Ford et son ministre des Finances, Rod Phillips, ont mis définitivement de côté l’idée d’équilibrer le budget provincial en 2023. Et pour cause, des 9,1 milliards de dollars de déficit annoncés à l’automne, le chiffre grimpe maintenant à 20,5 milliards dollars. La raison : les mesures exceptionnelles pour relancer une économie au ralenti depuis l’arrivée de l’épidémie en Ontario.

Récapitulons. Quelque 3,3 milliards de dollars seront consacrés à des ressources supplémentaires aux soins de santé. Une enveloppe dans laquelle 935 millions iront directement dans le secteur hospitalier

À cela s’ajoutent quelque 3,7 milliards de dollars aux particuliers et aux entreprises, mais surtout un report de 10 milliards de dollars d’impôts. En réalité, le gouvernement n’investit pas totalement, mais allège de manière provisoire la fiscalité des entreprises et des consommateurs. Vu sous cet angle, le plan de 17 milliards de dollars est moins généreux que sur le papier.

Un interventionnisme à nuancer

C’est un coup de barre en pleine tempête, mais en aucun cas un tournant majeur. Sur la forme, le gouvernement n’a pas d’autre choix que de fournir plus de moyens au système hospitalier, mais aussi de relancer l’économie réelle malmenée par le choc du coronavirus. Sur le deuxième point, c’est le aussi le choix qu’a fait le gouvernement fédéral et de nombreuses nations occidentales.

Sur le fond pourtant, le gouvernement conservateur n’a pas vraiment changé son fusil d’épaule. Si le coronavirus a bousculé les idéologies et modifié les priorités des différents gouvernements, les choix de MM. Ford et Phillips montrent qu’un interventionnisme plus soutenu n’est pas pour demain. À l’aune de cet énoncé économique, les réductions d’impôts restent le levier principal du fordisme.

À cet égard, le gouvernement Ford qui promet d’autres annonces n’a pas éteint les doutes des petites et moyennes entreprises dorénavant dans le rouge. Certains Ontariens sur le point de perdre leur emploi attendent aussi des réponses concrètes…

À l’argument sempiternel des néo-démocrates de plus d’investissements, les progressistes-conservateurs regardent quant à eux du côté d’Ottawa. La province pourrait, par exemple, emboîter le pas à l’annonce du fédéral d’un financement de 75 % du salaire des employés des PME touchées par la pandémie.

Le pire de l’épidémie est à venir

Sur le terrain, la situation sanitaire est aujourd’hui grave. Dans quelques jours, elle sera encore plus grave. La barre des 1 000 cas de coronavirus a été franchie dans la province. Le nombre de patients atteints grimpe quotidiennement, et la plupart des hôpitaux n’ont ni les ressources humaines, ni le matériel à l’instar des masques ou des respirateurs, pour contrer l’épidémie. Cette véritable faillite collective va bien au-delà des frontières de l’Ontario et du Canada.

Dans ces conditions, on peut s’interroger si les 75 millions de dollars en fournitures médicales essentielles promis par le gouvernement conservateur sont bien à la hauteur de cet enjeu considérable.

En effectuant un changement de cap, Doug Ford et son ministre des Finances ont donné une réponse adéquate. Mais l’ampleur de cette crise immaîtrisable pourrait contraindre le gouvernement à une réponse plus forte. Le tout plus rapidement que prévu…

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 30 mars.