Chemin Roxham : plus de villes d’accueil en Ontario, « oui mais »

chemin Roxham
Autour de 40 000 demandeurs d'asile ont traversé la frontière canado-américaine via le chemin Roxham, l'an dernier. Crédit image: Drew Angerer/Getty Images

L’exploration de nouvelles villes canadiennes lancée par le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, pour accueillir plus de demandeurs d’asile en provenance du chemin Roxham, au Québec, trouve un écho favorable parmi les acteurs de l’immigration francophone en Ontario qui ne veulent plus connaître le chaos de Niagara Falls, Cornwall ou Windsor. Mais il faudra mieux inclure les communautés, convaincre les élus locaux et surtout trouver des solutions créatives de logement.

« Avoir des villes additionnelles va nous aider », estime d’emblée France Vaillancourt. La directrice du Centre de santé communautaire Hamilton-Niagara, un organisme en première ligne dans cette crise. 3 000 demandeurs d’asile occupent des chambres d’hôtel à Niagara Falls, dont environ 160 francophones.

« Si on veut que cela réussisse avec d’autres villes, il faut en revanche que la communauté se rallie pour répondre à cette urgence humanitaire et qu’il y est un véritable plan d’action, car c’est ce qui nous a manqué au Niagara », nuance-t-elle. « On a été surpris au départ pour s’organiser, et on ne s’attendait pas à ce que ça dure aussi longtemps. »

Alors que le sentiment anti-Roxham s’amplifie au Québec – des partis politiques réclamant la fermeture du passage controversé –, en Ontario au contraire, la perspective de faire venir de futurs travailleurs est perçue comme une aubaine, en pleine pénurie de main-d’œuvre, particulièrement francophone.

France Vaillancourt, directrice générale du Centre de santé communautaire Hamilton/Niagara. Crédit image : Rudy Chabannes

Depuis le début des transferts organisés en autobus par le ministère fédéral Immigration, Réfugiés et Citoyenneté CanadaI (IRCC), ce sont d’ailleurs les organisations francophones qui se montrent les plus agiles dans la prise en charge des nouveaux arrivants.

« Nos petites organisations ont les moyens de bouger plus rapidement que nos partenaires anglophones. Ce n’est pas une surprise qu’on soit à la hauteur », justifie Daniel Giroux, président du Collège Boréal, un des principaux acteurs de l’intégration socio-économique des immigrants dans la province, via ses formations et centres d’emploi.

Logements insuffisants, services sociaux débordés

Dès lors, chacun espère que ces nouveaux arrivants de langue française, une fois régularisés, resteront à terme en Ontario. Mais tout n’est pas si simple.

D’abord parce que des maires se montrent réticents à l’idée d’en accueillir après les expériences vécues à Niagara Falls et Cornwall. Certains n’hésitent plus à émettre publiquement des réserves à l’approche de la saison touristique et des besoins en chambres d’hôtel qu’elle implique.

Ensuite, parce que se pose le problème du manque de logement abordable et de ressources pour les structures d’aide. « Ce qu’on vit depuis de début de l’année démontre qu’il y a une capacité très limitée pour absorber tous ces gens », observe Didier Marotte.

Didier Marotte, directeur général du Centre communautaire francophone de Windsor-Essex-Kent. Crédit image : Rudy Chabannes

Celui qui est directeur général du Carrefour communautaire francophone de Windsor et du Centre communautaire francophone de Windsor-Essex-Kent décrit « des familles placées dans des chambres 24 heures sur 24, sept jours sur sept, avec les enfants qui courent dans les couloirs. Ce n’est pas une solution ».

Sur les 720 personnes transférées dans trois hôtels de Windsor, une quarantaine serait francophone. « Nous n’avons tout simplement pas de logement à des prix raisonnables pour eux et les services sociaux comme Ontario Works sont débordés, faute de ressources humaines suffisantes. Quand on résout un problème, on en crée bien souvent un autre. »

Aucun recensement linguistique en amont

D’autres critiquent la lourdeur du processus administratif d’immigration qui n’est pas propice à un traitement assez rapide pour endiguer un mouvement migratoire aussi soudain. « Les démarches vont à leur rythme, c’est-à-dire pas suffisamment vite, et les familles sont coincées avec leurs enfants dans des hôtels archi pleins. C’est vraiment très pénible », dépeint Fété Kimpiobi pour qui désengorger Niagara Falls devient pressant.

La directrice générale de SOFIFRAN, un organisme à but non lucratif qui offre des services sociaux, économiques et culturels aux femmes et familles immigrantes francophones du Niagara, explique qu’elle reçoit régulièrement de nouveaux arrivants à son bureau et que la première chose qu’elle leur apprend, face à la lenteur du processus d’immigration, est la patience.

Fété Kimpiobi, directrice générale de SOFIFRAN. Crédit image : Rudy Chabannes

« On les aide à trouver un appartement, une école pour leurs enfants, en attendant leur papier brun puis leur permis de travail, mais ils affrontent tellement de difficultés en même temps. Sans compter que leur pécule ne leur permet pas de se loger, se nourrir, s’habiller, vu les prix », rapporte-t-elle.

Des leaders de terrain aimeraient que, pour faciliter les choses, IRCC identifie avant leur transfert la langue des demandeurs d’asile afin de l’aiguiller plus directement vers les services en français ceux qui en ont besoin. « C’est un problème de longue date et il y a encore beaucoup de chemin à faire là-dessus », rappelle M. Marotte.

Au-delà du gouvernement fédéral, l’ajout de villes d’accueil doit susciter aussi une plus forte implication des autres paliers de gouvernement, croient plusieurs intervenants. « Ça doit venir de partout », clame M. Giroux, en prévision d’une nouvelle vague de demandeurs d’asile.

Un apport francophone qui serait bénéfique à l’économie locale

« On aimerait beaucoup les garder, d’autant qu’il y aura des emplois en masse pour eux, une fois qu’ils auront reçu un permis de travail, mais le problème est le logement abordable. J’espère que les autres villes vont y penser », ajoute M. Marotte. Il n’est pas le seul à estimer que les prochaines destinations retenues par IRCC devront faire preuve de créativité et de solidarité pour trouver un toit.

« Plus les communautés sont petites en Ontario et plus il y a ce désir d’accueillir des francophones pour contrecarrer le déclin démographique, mais moins il y a d’hôtels et d’infrastructure pour y répondre », résume une bénévole du Sud-Ouest ontarien.

Alain Dobi, directeur du RIFCSO. Crédit image : Rudy Chabannes

« Ce qu’on apprécie c’est qu’IRCC a reconnu que c’était chaotique, notamment à Niagara Falls, et que maintenant le ministère va solliciter, consulter les communautés pour savoir lesquelles sont prêtes à recevoir des demandeurs d’asile », recontextualise Alain Dobi, directeur du Réseau de soutien Immigration francophone du Centre-Sud-Ouest de l’Ontario.

« On espère que des communautés vont se porter volontaires et obtenir l’accompagnement nécessaire d’IRCC pour bien desservir ces personnes. »

« Si le gouvernement fédéral signe des ententes avec les autres villes, on peut s’attendre à une approche plus stratégique et concertée », abonde Mme Vaillancourt.

« On va avoir des mois devant nous encore très problématiques et je ne vois pas de solution à court terme », campe M. Marotte. « On va tout faire pour les aider, leur trouver un toit, des vêtements et intégrer les enfants dans nos écoles le plus rapidement possible. C’est un commencement de stabilité et de réhabilitation dans la société. »