Christian Howald : l’engagement pour surmonter l’isolement

Christian Howald accompagné de sa famille et du député fédéral de Sudbury, Paul Lefebvre.

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

SUDBURY – Christian Howald, coordonnateur de projet du Réseau de soutien à l’immigration francophone du Nord de l’Ontario, est connu dans la communauté sudburoise pour son implication communautaire. À travers son parcours loin de l’ordinaire, il a surmonté son isolement en misant sur sa famille et sa communauté.

DIDIER PILON
dpilon@tfo.org | @DidierPilonONFR

« En tant que coordonnateur de projet du Réseau de soutien à l’immigration francophone du Nord de l’Ontario, quels sont les défis auxquels vous vous confrontez?

Les gens d’ici ne réalisent pas l’importance de l’immigration et la région est souvent invisible à l’étranger. Le Nord de l’Ontario représente 2 % de la population canadienne. Tous les projets gouvernementaux peuvent atteindre leur cible en ignorant la région. Mais ici, on a besoin de 50 000 immigrants qui s’établissent pour appuyer la population vieillissante.

Si on n’arrive pas à garder les gens ici, c’est parce que le Nord de l’Ontario est essentiellement une colonie : toutes les décisions économiques et politiques viennent de l’extérieur et 17 milliards de dollars de richesse naturelle sont exportés de la région. On ne fait aucune transformation ici. On a vidé le Nord de ses capacités de développement. Si l’on veut faire de la région une place plus riche et plus diversifiée, ça se fait seulement en diversifiant notre capital social, notre capital humain et notre capital économique.

Avez vous des exemples de l’impact de cette diversité sur les petites communautés du Nord?

Regardons à Terrace Bay par exemple. Depuis qu’une compagnie de l’Inde a acheté l’usine de pâte et papier, beaucoup d’immigrants indiens s’y sont installés. La directrice de l’école primaire est une madame africaine qui a eu le réflexe génial d’aller chercher les enfants allophones. Pour la première fois depuis longtemps, le nombre d’inscriptions à l’école francophone est à la hausse. L’école a aussi transformé le champ de baseball en terrain de cricket. Cette capacité de penser différemment a vraiment nourri la communauté.

Regardons aussi l’initiative de l’Association des Francophones du Nord-Ouest de l’Ontario (AFNOO) à Thunder Bay. Des artistes de France ont ouvert une galerie d’art. Ça fonctionne. * (Voir commentaire en bas de l’entrevue)

Vous êtes connu à Sudbury pour votre engagement communautaire. Comment êtes-vous venu à valoriser autant l’implication?

Je suis le plus jeune de six enfants, d’une famille immigrante. On a immigré de la Suisse en 1980 quand j’avais cinq ans et on a déménagé sur une ferme laitière à Verner, à mi-chemin entre Sudbury et North Bay. Je me sentais toujours isolé. On n’avait pas le temps d’avoir une vie sociale comme les autres enfants. Il fallait se lever tôt le matin pour traire les vaches, revenir après l’école pour les retraire une autre fois.

C’est en étant isolé que j’ai découvert l’importance de la communauté. C’est parce que je n’avais pas de famille ici que j’ai pu faire de la communauté ma famille. C’est une valeur que je voulais inculquer à mes enfants : si tu t’impliques dans la communauté, tu ne te sentiras jamais seul. En faisant du bénévolat, tu rencontres des gens qui ont les mêmes affinités que toi. Et c’est ça en fin de compte que je veux pour eux : qu’ils savent qu’ils font partie de quelque chose!

Vos enfants sont-ils aussi impliqués dans la communauté?

En Ontario, il faut faire 40 heures de bénévolat pour graduer. Lorsque ma fille a gradué, elle en avait fait plus de 700. Mon plus vieux fils en a fait 1 200 et le plus jeune est à 200 heures qui comptent juste en 9e année. À chaque fois que tu fais du bénévolat, tu te fais nourrir et tu te fais habiller. On te donne un t-shirt et un sandwich. Ça vaut la peine! (rires)

En même, lorsqu’on prend soin de notre communauté, notre communauté prend soin de nous. Ça fait 13 ans que mes fils et moi faisons beaucoup de bénévolat pour le YMCA. On enseigne le judo. L’an dernier, entièrement par surprise, mon plus vieux s’est rendu aux championnats nationaux du judo. Eh bien, c’est la communauté qui nous a aidés à payer tout ça. On a organisé un Porketta bingo, et maintenant il est 2e au Canada.

Quel rôle votre identité culturelle a-t-elle joué dans votre implication?

Mon réveil culturel en tant que francophone s’est fait lorsque j’ai eu des enfants. Je voulais leur chanter des chansons et j’ai remarqué que j’avais complètement oublié toutes les chansons que je connaissais quand j’étais jeune.

J’ai commencé à faire de la recherche. Je voulais apprendre les chansons alémaniques que ma mère chantait quand j’étais jeune. Ça a ouvert plein de portes. Maintenant, je chante l’opéra avec mon fils de 18 ans chaque année à l’événement Opera for a cause à Sudbury, qui ramasse de l’argent pour la soupe populaire Porte bleue de Sudbury et la Banque alimentaire des poupons de Sudbury. On a même fait des reprises de Broadway sur l’île Manitoulin.

C’était une priorité pour vous de renouer avec vos racines?

Le besoin d’avoir des racines, c’est le besoin d’appartenir à quelque chose. Je suis quelqu’un qui valorise beaucoup l’histoire. Il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va.

Je n’ai pas été fier de mon héritage jusqu’à l’âge de 24 ans. Je prononçais mon nom à l’anglaise quand je me présentais aux gens. Mais à un certain moment, j’ai commencé à m’affirmer. À l’époque, je vivais en Alberta et on a menacé de me congédier si je parlais en français au travail. « C’est le Canada, parle en anglais ici! » Mais c’était ironique parce qu’ils parlaient en néerlandais entre eux. (rires)

Qu’est-ce qui vous a amené en Alberta?

J’étais allé en Alberta pour tricher le système : devenir riche dans les puits de pétrole sans avoir à faire des postsecondaires. Mais c’est là que le prix du baril de pétrole avait chuté à 20 $. Tout le monde était mis à porte. J’avais de l’expérience sur une ferme laitière donc c’est ce que j’ai fait. Je trayais 275 vaches tous les jours à partir de 3h 30 le matin. J’ai fait un burn-out.

Encore une fois là-bas, on était extrêmement isolé. La chaleur communautaire, je ne la voyais pas. C’était plus important de faire plus d’argent que son voisin.

C’est en allant voir ailleurs que j’ai vu à quel point c’est beau ici. Il y a la nature, un lac à chaque 10 km et plein d’activités de plein air. On fait du kayak, de la randonnée, du camping. Ici, nous avons décidé de faire moins d’argent, mais d’être plus impliqué dans notre communauté. J’appelle ça échanger du capital économique pour du capital social.

Quel a été votre parcours professionnel avant de travailler au Réseau de soutien à l’immigration francophone?

J’ai commencé dans l’armée. J’ai fait deux ans avant que quelqu’un me dise que j’allais devenir millionnaire à vendre de l’assurance de porte à porte. Je l’ai cru et ça l’a duré deux ans avant que je me fasse mordre les fesses par deux chiens. C’est tellement cliché!  J’ai dû frapper à toutes les portes du Nord de l’Ontario.

Ensuite, ma femme est moi avons commencé une entreprise de nettoyage. C’est nous qui nettoyions le K-Mart du Nouveau Sudbury. Mais les produits chimiques étaient nocifs et après quelques fausses couches, on avait besoin de nouveau.

Ça n’avançait pas ici, donc on est parti en Alberta. Quand nous sommes revenus, je travaillais dans le domaine de la construction. Mon contremaître m’a dit un jour : « Tu es jeune, tu es intelligent, si tu ne veux pas paraître comme moi dans 10 ans, retourne aux études. »

Après toutes ces années à éviter le postsecondaire, vous être finalement retourné aux études?

J’ai dû passer huit ans aux études. J’ai commencé avec un diplôme en massothérapie. Ensuite je suis allé à l’Université Laurentienne en sociologie avec le rêve de rentrer en médecine. J’ai eu l’entrevue, mais je n’ai pas été accepté. C’est là qu’un professeur m’a dit de faire une maîtrise en développement économique, social et communautaire du Nord de l’Ontario.

En terminant, si vous étiez à la place de Justin Trudeau, quelle serait votre première mesure pour les francophones?

Si on veut vraiment faire une différence au Canada, pas juste pour les francophones, mais pour tout le monde, il y a trois choses qu’il faut faire.

Ça doit être illégal pour les étrangers de spéculer sur le logement au Canada. Si nos enfants ne sont plus capables de s’acheter des maisons, c’est parce que des investisseurs étrangers les gardent vides pour jouer le marché.

Ça doit être illégal pour les étrangers de spéculer sur les terres agricoles. Les terres agricoles canadiennes sont sous-évaluées selon le marché international et augmentent en valeur de manière plus stable que le marché boursier. Mais le gouvernement est aveugle à ça. Ça doit être illégal de spéculer sur la nourriture. »

 * À la suite de la publication de l’entrevue, la présidente du Club francophone de Thunder Bay, Audrey Debruyne, a tenu à réagir aux propos de M. Howald : « L’AFNOO n’est aucunement à l’initiative de ce genre de projet et aucune galerie d’art n’a été ouverte. Des artistes originaires de France, résident à Thunder Bay, Céline Mundinger et Sébastien Hardy, grâce à une subvention du Conseil des Arts de l’Ontario et le soutien du Club culturel francophone de Thunder Bay ont réuni 14 artistes francophones et francophiles pendant trois jours fin mars, à Urban Abbey à Thunder Bay pour présenter leurs réalisations; 200 visiteurs en trois jours, une grande variété de créations (photographie, sculpture, peinture, graphisme, installation vidéo, céramique, art textile, céramique). »


LES DATES-CLÉS DE  CRISTIAN HOWALD

1975 : Naissance à Morat (Suisse)

1980 : Immigration à Verner

2005 : Retour à Sudbury et début de ses études universitaires

2010 : Début de sa carrière en développement des coopératives

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada