Christopher Karas, un combat sang pour sang contre la discrimination

Le militant Christopher Karas. Gracieuseté: Barreau de l'Ontario

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

TORONTO – Depuis bientôt quatre ans, Christopher Karas veut infléchir la règle interdisant les dons de sang des hommes ayant eu une relation sexuelle avec un autre homme. Un combat judiciaire qu’il espère gagner. Mais pour ce Franco-Ontarien parajuriste, l’essentiel est au-delà. Sa mission première : donner une force supplémentaire à la représentation des LGBTQ+.

« Première question, mais en quoi consiste votre travail de parajuriste au juste?

Je travaille dans le domaine de loi et des droits. J’agis principalement dans les petites créances et les droits de la personne. Mais il y a certaines restrictions, par exemple la Cour supérieure, et le domaine familial.

Cette profession, est-elle une manière justement de mieux intégrer vos convictions?

Oui, car j’ai subi beaucoup d’obstacles. Ça a encouragé mon parcours dans l’activisme. Maintenant, c’est toujours un parcours que je trouve important, et dans lequel je veux continuer.

Quels sont ces obstacles?

Ça a commencé à l’école secondaire. J’étais à l’École secondaire catholique Sainte-Famille à Mississauga. J’ai voulu mettre des posters du militant Harvey Milk [homme politique et militant pour les droits des homosexuels américains] à l’école, mais le Conseil scolaire de district catholique Centre-Sud n’a pas voulu. Ensuite, je voulais créer le concept d’alliance gays-hétéros (AGH) dans mon école, c’est-à-dire des « espaces de tolérance », mais le conseil n’a pas voulu non plus, et avec l’école, ils ont bloqué l’initiative.

J’ai gradué sans bénéficier de ce groupe. J’aurais voulu avoir une opportunité de l’avoir, mais finalement le groupe a commencé son existence après mon départ. Quant aux affiches d’Harvey Milk, elles n’ont jamais été mises.

Comment on l’explique?

Au cœur de cet enjeu, c’était la religion. Le conseil scolaire ne comprenait pas pourquoi c’était tellement important. Je crois qu’avec ce litige et mes efforts, ils ont finalement commencé à se pencher sur cette question. Ce cheminement commence, mais j’aurais voulu voir beaucoup plus de progrès quand j’étais étudiant.

Pensez-vous que ça aurait été différent dans une école publique?

Ça aurait pu être meilleur, mais finalement, j’ai décidé, quand j’étais élève à Sainte-Famille, que c’était important que je reste dans ce conseil scolaire, que je sois à cette école.

Si j’avais décidé de changer d’école, je ne crois pas qu’il y aurait eu ce progrès. Je pense qu’il y a eu ce progrès général, car mes expériences ont été rapportées dans les médias. Ça a eu un effet sur ceux qui ont suivi ce cheminement.

Christopher Karas et le militant Ronald Dielman en 2014. Source : Facebook Ronald Dielman

Parlons maintenant de ce grand combat que vous menez, depuis 2016, contre la Société canadienne du sang. Pourquoi un tel engagement?

Tout a commencé lorsque j’ai voulu donné mon sang, et ils (la Société canadienne du sang) n’ont pas voulu prendre mon sang, car leur politique, à l’époque, était que j’aurais dû, en tant qu’homosexuel ayant eu des rapports avec des hommes, avoir un délai de cinq ans d’abstinence pour pouvoir donner mon sang. En 2016, l’interdiction a été réduite à un an, puis à trois mois l’an passé. Mais cette annonce n’a toujours pas pris effet, et même trois mois, cela reste très discriminatoire.

La médiation entre vous, Santé Canada et la Société canadienne du sang n’a pas abouti. La plainte est maintenant devant le Tribunal des droits de la personne. Pouvez-vous nous en dire plus?

En fait, la Commission canadienne des droits de la personne a référencé ce litige au Tribunal des droits de la personne. Seulement un jugement a pour l’instant été entendu, et nous attendons d’être appelés pour témoigner. C’est en cours!

Combien de personnes travaillent sur ce dossier?

Pour notre équipe judiciaire, c’est moi et l’avocat James Hill, de HillCowan Legal Services. Autre que ça, il y a une coalition qui a été faite entre plusieurs organismes incluant les différents Festival de la Fierté et plusieurs organismes du VIH-Sida, qui se sont mis ensemble pour plaidoyer. Plus récemment, j’ai fait une autre plainte à l’Organisation des Nations Unies (ONU). On met vraiment tous nos efforts pour que les discriminations soient éliminées.

Quelle est l’utilité d’une plainte devant l’ONU?

De mettre pression sur le gouvernement du Canada! Aussi, mettre plus de profondeur sur ces questions. C’est une question qui va être analysée par un rapporteur, qui va détailler les enjeux des questions et émettre des recommandations au gouvernement pour rectifier les enjeux.

On parle du Canada, mais d’autres pays ont-ils une législation plus avancée en matière de don du sang?

Plusieurs pays ont éliminé cette politique et utilisent des méthodes qui n’identifient pas les donneurs de sang à leur orientation sexuelle. C’est le cas de l’Italie, de l’Espagne, mais plus étonnement de la Russie ou encore de l’Afrique du Sud!

En voulez-vous au gouvernement Trudeau pour son inaction dans le dossier?

Je crois que le gouvernement Trudeau ne va clairement pas assez loin, et spécialement parce qu’ils ont fait des promesses électorales sur le sujet. Plusieurs personnes ont voté pour le gouvernement Trudeau, en croyant que cette politique de discrimination sur le don du sang prendrait fin!

Vous êtes membre de la communauté LGBTQ+, mais aussi Franco-Ontarien, et d’origine égyptienne. Comment parvenez-vous à gérer ces multiples identités?

Avec plus d’une identité, on se trouve à plusieurs intersections. Le plus d’intersections on a, le plus on va vivre des moments très difficiles en tant que personne LGBTQ. Beaucoup vivent des moments qui ne sont pas clairs pour elles. Je trouve qu’on doit amplifier ces personnes et comprendre les enjeux.

Justement, en Ontario, avons-nous assez de ressources pour demander des services LGBTQ+ en français?

Non! Il n’y a pas assez de financement dans le domaine francophone. Souvent, je me rapproche des organismes anglophones auxquels je demande des services, des ressources, lesquelles vont m’aider, par exemple, à plaidoyer.

Avec les organisations francophones, ces ressources humaines et services ne sont pas toujours là. Je crois que c’est important que les gouvernements le fassent et investissent dans les droits de la personne pour les Premières Nations et d’autres personnes marginalisées. Ces groupes, historiquement, n’ont pas reçu de fonds.

Vous êtes aussi le vice-président d’Action positive VIH/sida, un organisme torontois venant en aide aux personnes séropositives. Quels sont les autres défis dans la communauté torontoise pour les personnes francophones et LGBTQ+?

Il n’y a pas de réseau ou de communauté auxquels pourraient réseauter les personnes plus vieilles.

Il manque aussi des ressources et des lieux LGBTQ+ pour les aînés. Elles se remettent dans le placard bien souvent avec l’âge, donc elles ne se sentent pas les bienvenues. La plupart du temps, ces personnes sont dans des espaces qui sont centrés autour des personnes hétéros.

Malcolm Mercer, Nadia Effendi, Vicky Ringuette, Christopher Karas, et Gérard Lévesque, lors d’une discussion sur les nouveaux développements en matière de droits linguistiques, en septembre 2019. Gracieuseté : Barreau de l’Ontario

Vous êtes d’origine égyptienne. Vous considérez-vous, par ailleurs, comme une minorité visible?

Oui, du côté de mon père. Il est le seul de sa famille qui n’est pas né en Égypte. Ils ont tous immigré au Canada. C’est une identité très importante pour moi. Dans certains cas, je peux passer pour une minorité non visible. À d’autres moments, je suis « tout visible ». Je pense qu’il y a beaucoup à faire pour combattre le racisme, l’oppression et la marginalisation. Il faut, bien sûr, améliorer l’emploi et les services pour ces personnes.

Avez-vous déjà été victime de discrimination pour votre couleur de peau?

C’est la manière dont les personnes agissent envers moi. Mais j’aimerais mieux ne pas aller avec des exemples. Je ne suis pas prêt à en parler encore!

On sait que le réseautage est très important dans la communauté LGBTQ+. Comment avez-vous donc vécu les mesures de confinement?

Je n’aurais jamais cru me retrouver au centre d’une pandémie comme ça. C’est un moment qui amplifie beaucoup des tendances que l’on avait vues avant la pandémie. Par exemple, les besoins de dons du sang ont été amplifiés pendant la pandémie.

On voit aussi que cette pandémie a des effets plus approfondis sur les communautés marginalisées. Plusieurs problématiques ou enjeux sont liés. C’est un moment exceptionnel que l’on a jamais vu auparavant. »


LES DATES-CLÉS DE CHRISTOPHER KARAS :

1995 : Naissance à Guelph

2014 : Première plainte au Tribunal des droits de la personne après un litige avec son école secondaire

2016 : Commence son combat judiciaire pour un don du sang ouvert pleinement aux homosexuels

2018 : Devient membre du Barreau de l’Ontario

2018 : Élu vice-président d’Action positive VIH/sida

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.