Collaboration, sous-financement, manque de programmes : les défis de l’art à Sudbury

Les panélistes Hélène Dallaire, Philippe Mathieu, Robert Paquette, France Huot et Réjean Grenier étaient issus de différentes générations d'artistes. Crédit image : Dominique Demers

SUDBURY – Après une première soirée à guichets fermés à la Place des Arts, le 50e de La Nuit sur l’étang s’est poursuivi au Collège Boréal où avait eu lieu samedi un panel sur les arts en français à Sudbury. Hélène Dallaire, pédagogue, comédienne et metteuse en scène, Philippe Mathieu, enseignant, journaliste et musicien, France Huot, comédienne et autrice, Robert Paquette, auteur-compositeur-interprète et Réjean Grenier, éditorialiste et co-fondateur du festival ont participé à cette discussion organisée par ONFR+.

« Je suis très émue. C’est beau de revoir ces moments et ces gens qui font encore vivre l’art aujourd’hui », a débuté avec émotion Hélène Dallaire en réaction à la projection du documentaire d’ONFR+ Les Draveurs, qui est revenu sur l’histoire de l’incontournable troupe de théâtre du même nom pour laquelle celle-ci a fortement contribué.

Le ton était lancé pour la suite de ce panel intitulé les arts à Sudbury : 50 ans de création et de combat. Point de départ de la discussion : la genèse de La Nuit sur l’étang, festival fondé à l’Université Laurentienne.

Hélène Dallaire apparaît dans le documentaire Les Draveurs qui rend hommage à Hélène Gravel, fondatrice de la troupe de théâtre du même nom en 1971. Crédit image : Dominique Demers

Parmi ceux qui l’ont vu naître et grandir, Robert Paquette explique que le festival répondait à un besoin de la communauté : « Tout le monde a embarqué. C’est la force du Nord : ce n’était pas institutionnalisé, mais on avait le droit de faire n’importe quoi, quelque chose qui nous ressemblait. »

Réjean Grenier complète en ajoutant que, venant d’une plus petite ville de la route 11, le festival était aussi le lieu de réunion pour les francophones de la ville de Sudbury : « Ici, Franco-Manitobains, Québécois, acadiens, on s’est rencontrés là avec la même vision, avec des revendications comme partout ailleurs dans le monde à cette époque. »

 « Ce n’est pas pour rien que La Nuit sur l’étang existe depuis 50 ans, ce n’est pas nécessairement les artistes ou les organisateurs, mais la communauté qui est derrière », conclut Robert Paquette.

Au-delà de la Place des Arts

Retour vers le présent avec la Place des Arts dont l’ouverture l’an passé est encore célébrée aujourd’hui.

France Huot dit avoir reçu beaucoup de commentaires de la part du public sur les pièces du Théâtre du nouvel Ontario (TNO), un des sept organismes culturels logeant à la Place. Elle se réjouit d’avoir un lieu d’échange francophone stratégiquement situé en plein centre-ville.

De même pour Réjean Grenier, qui s’est ensuite exprimé sous les applaudissements : « Avec la Place des Arts, les francophones ne sont plus cachés, ils sont dans ta face. »

Pour autant, selon Mme Huot, même si la cohabitation des organismes présente encore des enjeux, il est essentiel pour eux d’avoir une synergie afin de résoudre les problèmes sévissant actuellement dans le milieu des arts.

Il faut avoir encore plus d’espaces dédiés à l’art francophone à Sudbury, a-t-elle ajouté.

Plusieurs figures phares de la scène culturelle ont répondu présent à l’événement malgré une grosse tempête. Crédit image : Rudy Chabannes

Durant la soirée, Philippe Mathieu expliqua que l’un des défis, aujourd’hui, est de remplir les salles de spectacle, depuis la pandémie qui a vu une certaine évolution dans les habitudes des consommateurs.

Fossé générationnel

Pour l’ensemble des participants, s’il est beau de parler des 50 dernières années, il est essentiel de repenser ensemble l’avenir des arts à Sudbury.

Produits de la relève artistique de Sudbury, Philippe Mathieu et France Huot craignent tous deux de voir naître un fossé générationnel à cause de la coupe de programmes artistiques à la Laurentienne survenue il y a presque un deux ans jour pour jour et des programmes sur le soutien technique en gestion de scène et en techniques et gestion de scène du Collège Boréal en 2017.

Pour Hélène Dallaire, la solution se trouve du côté de l’encadrement des enseignants à nourrir la flamme artistique chez les plus jeunes.

« Être excellent dans les arts n’est pas aussi gratifiant qu’être excellent dans le sport », a exprimé avec regret Philippe Mathieu.

« Si les francophones sont divisés entre eux-mêmes, soyons honnêtes, on ne perd pas nos jeunes à d’autres conseils, mais à l’école anglophone et l’immersion », a dénoncé audacieusement depuis l’audience l’auteur-compositeur-interprète et médiateur culturel en éducation autochtone Stef Paquette.

Stef Paquette est intervenu avec vigueur au cours de la discussion. Crédit image : Dominique Demers

Celui-ci regrette aussi que la jeune génération ne souhaite plus prendre le temps d’apprendre à jouer d’un instrument et envisage plutôt de devenir influenceurs, ce que Philippe Mathieu finit par confirmer de sa propre expérience de travailleur en éducation.

Des failles institutionnelles

Selon France Huot, les artistes de Sudbury sont au service des institutions : « On mériterait comme artistes d’avoir un accompagnement, pour se faire reconnaître au sein de nos communautés, mais aussi pouvoir en sortir. »

Réjean Grenier soulève, par ailleurs, que le marché de Sudbury est petit et manque d’agents et d’imprésarios : « Si tu veux gagner ta vie, tu dois sortir de Sudbury. » Pour Robert Paquette, les artistes du Nord doivent souvent jongler avec plusieurs emplois pour pouvoir survivre.

Réjean Grenier a tenu à lancer un message d’espoir à la jeune génération. Crédit image : Dominique Demers

« De moins en moins de jeunes s’intéressent aux arts, car ils ne voient plus de débouchés et les programmes ne sont plus là. Ils vont ailleurs faire d’autres choses », s’est alarmée Hélène Dallaire.

Michel Laforge, artiste et concepteur sonore, est intervenu pour affirmer que, malgré les coupes évitées dans le budget provincial déposé jeudi dernier, le financement des arts est largement insuffisant, surtout en contexte d’inflation.

D’ailleurs, « il ne faut pas un 70%, mais un 100%! », a lancé avec conviction Robert Paquette qui revendique que la totalité des fonds que les artistes réclament dans leurs demandes de subventions leur soit accordée.

Enfin, France Huot s’est risquée à soulever que l’Union des artistes, un organisme syndical des artistes francophones canadiens, était trop centré sur le modèle du Québec.

« Souvent les institutions en Ontario, ce sont les artistes qui s’en occupent et s’organisent entre eux », complète Rachel Crustin, journaliste culturelle à ONFR+ et animatrice du débat.

Rêver l’avenir

Et que rêver pour l’avenir des arts à Sudbury? « Je souhaite que la Place des Arts soit tout le temps remplie, mais que ça ne s’arrête pas là, qu’on ait toute sorte de projets artistiques qui jaillissent partout », a répondu Hélène Dallaire.

Robert Paquette, quant à lui, estime que la balle est dans le camp des Franco-Ontariens qui doivent se « repolitiser » comme ils le faisaient il y a quelques décennies, quand le milieu culturel franco-ontarien était en pleine ébullition.

L’événement s’est conclu par une activité de réseautage. Crédit image : Dominique Demers

Réjean Grenier demeure optimiste : « Je suis sûr que vous allez trouver des moyens de faire les choses, pas à notre façon, mais mieux encore. »

« Je souhaite des occasions où on peut échanger entre générations, car c’est vraiment enrichissant. C’est important pour ne pas se sentir seul devant nos défis », croit à son tour France Huot.

Enfin, au terme de ce panel, le plus jeune participant, Philippe Mathieu a clos la discussion en suggérant : « Ça serait génial de créer un grand programme parascolaire où on pourrait encourager les élèves et leur présenter une version professionnalisante de l’art. »