Comment l’école à distance a relancé le rôle des technologies en éducation

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En l’espace de trois mois, le visage de l’école s’est métamorphosé. Les tablettes et les applications ont remplacé le tableau et les cahiers. Pandémie oblige, l’école à la maison a accéléré le recours aux nouvelles technologies et imposé une adaptation radicale de la pédagogie qui pourrait se poursuivre la rentrée prochaine et influencer le modèle éducatif de demain, à condition de mieux appréhender des inégalités persistantes.

Bien sûr, les ordinateurs et les téléphones intelligents faisaient déjà partie du quotidien des élèves. Mais pas vraiment pour des raisons éducatives. Accusés de tous les maux comme distraire, donner accès à des contenus insécuritaires, voire nuire à la socialisation, ils ont longtemps été décriés.

Peu de temps avant la crise sanitaire, l’usage des cellulaires en classe a avait même été interdit par le premier ministre Doug Ford et l’enseignement à distance obligatoire faisait l’objet d’un bras de fer entre enseignants et gouvernement.

Paradoxalement, ces outils sont devenus la passerelle exclusive entre élèves et enseignants que la pandémie a privés de classe, ce creuset de l’apprentissage traditionnel.

Christine Lachapelle (conseil scolaire Monavenir) , Gertha Sambour et Angèle Ruder (Conseil scolaire Viamonde). Gracieuseté

« L’usage de la technologie est devenu un incontournable pour tous, du jour au lendemain. Non seulement les enseignants ont dû apprendre rapidement comment utiliser les plateformes mais aussi amener leurs élèves à s’en servir », explique Christine Lachapelle, directrice du service de la programmation au conseil scolaire catholique MonAvenir.

Pour réussir cette migration vers l’apprentissage dématérialisé, les conseils scolaires ontariens ont dû équiper les élèves, former les enseignants et, surtout, repenser leur pédagogie.

« On a numérisé un maximum de ressources pour les rendre accessibles en tout temps aux enseignants qui ont suivi des tutoriels pour se familiariser à Teams – la plateforme de Google – et se sont entraidés via un réseau de formation, un programme quotidien sur YouTube et un balado hebdomadaire d’appui à l’enseignement », relate Angèle Ruder, directrice des services pédagogiques à Viamonde.

La révolution des applications

Les enseignants les plus « connectés » ne sont toutefois pas cantonnés à Teams. Ils ont défriché, comme jamais, le terrain des logiciels et des applications les mieux à même d’atteindre leurs objectifs, partageant leur usage avec les collègues les moins à l’aise devant les technologies.

Padlet, FlipGrid, ClassDojo, Canva, Kahoot, ActivInspire… Si ces applications font dorénavant partie du vocabulaire des enseignants, c’est parce que chacune d’elle revêt un intérêt pédagogique : interagir, planifier, évaluer, partager un portfolio, créer des contenus ou des leçons numériques… Les enseignants les ont apprivoisées en un temps record dans le seul but de maintenir un climat d’apprentissage.

Les applications sont devenus le terrain de jeu des enseignants les plus à l’aise avec les technologies. Montage ONFR+

« Maintenir le même niveau d’attention et d’engagement des élèves qu’en classe est une de nos préoccupations majeures », confie Gertha Sambour, directrice de l’École secondaire Ronald-Marion, à Pickering. « Grâce à ces outils, les enseignants ont su entraîner les élèves avec eux, créer un flux via des quizz, des vidéos, des suivis personnalisés et d’autres formats. »

Mais certains ont essayé d’éviter le cours en prétextant des pannes techniques ou des micros défectueux, reconnaît le personnel. Une minorité selon les cadres des conseils scolaires, évoquant de forts taux de participation. Sollicité par ONFR+, le ministère de l’Éducation n’a pas été en mesure de fournir de données objectives sur l’absentéisme.

Miser sur les compétences transférables

« Le produit remis par les élèves est de meilleure qualité », pense Dounia Bakiri. La directrice de l’École élémentaire Dyane-Adam, à Milton, a trouvé les élèves « plus concentrés au niveau de la tâche parce que le focus est mis sur l’essentiel ».

Aller à l’essentiel s’est imposé comme un préalable dans la stratégie des conseils scolaires.

« Quand vous avez cinq heures de littéracie, c’est beaucoup moins qu’en temps normal. Il a fallu accepter qu’on ne peut pas faire tout ce que l’on pouvait faire en classe et proposer des activités simples, courtes, accessibles », raconte Christine Lachapelle.

Certains conseils scolaires ont adopté une approche asynchrone (cours et activités enregistrés), notamment pour les niveaux élémentaires, permettant une certaine souplesse (écouter et réécouter à tout moment, en fonction des contraintes de la maison).

D’autres ont mis l’emphase sur le direct, surtout au palier secondaire, pour favoriser l’échange. Un système hybride mélangeant les deux approches s’est naturellement imposé, avec des cours et ateliers le matin, puis des rétroactions et suivis individualisés l’après-midi.

Dounia Bakiri, directrice de l’École élémentaire Dyane-Adam, à Milton. Gracieuseté

À distance, les élèves développent d’importantes compétences transférables telles que la communication, la collaboration ou encore la pensée critique. L’accès à beaucoup d’information en ligne et le recours à des activités pratiques qui utilisent l’espace autour des élèves a aussi favorisé des qualités recherchées comme l’autonomisation, l’autorégulation et la création.

La plus grande menace pour les enseignants était la rupture de la relation éducative, ce lien essentiel, jusqu’ici noué en classe.

« Maintenir une relation élève-enseignant forte est primordial », insiste Christine Lachapelle, « car elle détermine le niveau d’engagement de l’élève et a de multiples conséquences sur sa concentration et ses autres capacités cognitives. Une fois passé le cap des obstacles technologiques, on a pu insister sur ce lien et la qualité des apprentissages ».

Équité devant les technologies, une fracture à résorber

Avant la pandémie, « l’intégration des technologies était très différente d’une classe à l’autre et d’un enseignant à l’autre », note Megan Cotnam-Kappel, chercheur à l’université d’Ottawa.

« Tout à coup, le recours à de nouveaux outils s’est imposé pour faciliter l’enseignement à distance », dit-elle, prenant l’exemple de la visioconférence via Google Classroom qui recrée virtuellement la salle de classe et favorise la collaboration.

Dans cette période sans précédent, « les enseignants ont appris en même temps que les élèves », constate celle qui mène un programme de recherche sur l’équité numérique en Ontario.

Megan Cotnam-Kappel, chercheur à l’université d’Ottawa. Gracieuseté

Le plus grand défi reste certainement celui de l’égalité devant ces technologies. Si en classe la question ne se posait pas, à la maison le masque des inégalités est brutalement tombé. Le gouvernement ontarien s’est engagé à investir 15 millions de dollars dans l’achat de 35 000 ordinateurs de classe pour réduire cette fracture qui reste un enjeu important.

Tout comme l’accès internet à haut débit dans le Nord demeure l’enjeu d’un rapport de force entre le ministère de l’Éducation ontarien et le gouvernement fédéral.

Un avant et un après-COVID?

« Il y a eu une grande courbe d’apprentissage », analyse Mme Bakiri. « Personne ne sera prêt à revenir en arrière. Au contraire, on a créé de nouveaux contenus motivants et repensé notre rapport à l’environnement en remplaçant le papier et le crayon par des outils interactifs. Ces nouvelles façons de faire ne disparaîtront pas complètement. »

« Il y aura beaucoup de rattrapage à faire au niveau des apprentissages essentiels », nuance Mme Lachapelle. « Je vais amener mon équipe à réfléchir sur ce qu’on a appris dans l’appui aux enseignants depuis la maison et sur l’utilisation de la technologie pour continuer à bâtir les relations avec les élèves. »