Controverse à l’U d’O : des professeurs dénoncent les propos anti-francophones

Le campus de l'Université d'Ottawa.
Le campus de l'Université d'Ottawa. Archives ONFR+

OTTAWA – Quelques jours après avoir signé une lettre de soutien à leur collègue Verushka Lieutenant-Duval, qui a été suspendue par l’Université d’Ottawa après avoir utilisé le « mot-n » dans un contexte académique, des professeurs dénoncent le climat actuel et les propos anti-francophones qu’ils ont reçus.

Les professeurs qualifient le climat de « malsain » et de « pourri », alors que plusieurs internautes appellent au « cyberharcèlement » sur les réseaux sociaux.

« J’ai reçu quelques messages très agressifs, méprisants et à la limite racistes, car je suis un francophone. Il y en a qui ont dit qu’on était carrément des fuckings Frogs. C’est paradoxal de voir des gens combattre le racisme en utilisant les mêmes armes », dénonce Marc-François Bernier, un signataire de la lettre et professeur en journalisme à l’Université d’Ottawa.

Dans cette missive publiée vendredi, les 34 signataires « expriment leur désaccord face au traitement réservé à la professeure Verushka Lieutenant-Duval ».

« Deux éléments nous semblent confondus dans cette malheureuse affaire : 1) le racisme sur le campus, les microagressions, la discrimination parfois inconsciente, mais quand même réelle dont sont victimes les minorités, et qu’il faut dénoncer; 2) le rôle de l’enseignement universitaire, des professeurs. e. s’ et des salles de classe qui est de nourrir la réflexion, développer l’esprit critique, permettre à tous et à toutes, peu importe leur position, d’avoir le droit de parole », était-il écrit dans le texte envoyé à divers médias francophones.

Le fait que la lettre comporte une grande majorité de francophones est dû à l’urgence de publier le texte et le fait qu’il existe plusieurs enseignants francophones au sein de la Faculté des arts, celle de Verushka Lieutenant-Duval, précise M. Bernier.

Certains professeurs pensent que le fait qu’une majorité de signataires soient francophones n’aide pas dans la situation où il y a un « clivage » et une « fracture » entre les deux groupes linguistiques.

« Ce n’est pas tout le monde, mais il y a certaines personnes à l’Université d’Ottawa qui ont l’impression de vivre sous une suprématie du français. Cette lettre de notre part est venue confirmer l’impression que les Canadiens français sont tous une bande de xénophobes et de racistes. Tout ça explique l’enflure verbale, ça explique aussi les réactions indignées », croit le professeur de la Faculté des sciences sociales, François Charbonneau.

Dans la situation actuelle, certains se disent chanceux d’avoir à enseigner de la maison et non sur le campus.

« Le fait que la session soit en ligne est un avantage, parce que s’il avait fallu enseigner, j’aurais été préoccupé. Je donne des cours à de grands groupes avec près de 400 étudiants, si j’étais rentré hier soir à 19 h dans l’amphithéâtre, je crains qu’il y aurait eu du grabuge à l’entrée de la salle », affirme Charles Le Blanc, un autre signataire de la lettre.

« Abandonnés » par le recteur

Les professeurs ne mâchent pas leurs mots envers le recteur Jacques Frémont après la publication d’une lettre, lundi matin, où ce dernier indique que l’évènement avec Mme Lieutenant-Duval « peut être perçu par plusieurs membres de la minorité comme étant profondément offensant ».

« C’est à ce moment-là (la publication du message) qu’il a dit aux gens « OK, vous pouvez les attaquer », au lieu de défendre le droit des professeurs d’aborder les sujets délicats de façon constructive, affectueuse ainsi que de façon critique et pédagogique. C’est à ce moment-là qu’il a jeté de l’huile sur le feu dans un petit incendie qui aurait pu se régler rapidement… Je m’attendais à plus de mon recteur qui nous a abandonnés », explique M. Bernier.

Les francophones pointent pourtant l’ironie dans les propos de Jacques Frémont lorsqu’il dit que « les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider ce qui constitue une microagression ».

« C’est assez drôle de voir le recteur qui parle de groupes dominants à des francophones. Comment peut-on être un groupe dominant, nous les francophones dans une marre de 350 millions d’anglophones sur le continent? », s’interroge le professeur Charles Le Blanc.

« Je pense que les étudiants anglophones ne le comprennent pas, pour eux ils vivent dans un environnement où le groupe dominant est une question raciale. Pour nous, c’est une question linguistique », ajoute le membre de l’U d’O.

Des messages de soutien

Les enseignants interrogés par ONFR+ affirment avoir reçu plusieurs messages de soutien.

« J’ai reçu des courriels d’étudiants que j’ai eus en 1993. Ça prouve à quel point l’affaire a eu de l’écho. J’ai aussi des collègues qui sont des chargés de cours qui m’ont contacté pour me dire qu’ils étaient d’accord avec nous… J’ai aussi reçu des messages d’enseignants qui auraient voulu signer la lettre », confie M. Le Blanc.

Certains professeurs craignent les conséquences dans le futur.

« Ça change beaucoup de choses. Je vais me présenter en classe et certains de mes étudiants vont avoir une image déformée de qui je suis. Ça va être plus difficile. Je vous donne un exemple : j’avais un vidéo à présenter en classe demain matin à mes étudiants, mais je ne vais pas le faire. J’ai des enfants, je ne veux pas qu’ils se fassent harceler à l’école », souligne François Charbonneau.

Sachant tout ce qui est arrivé, est-ce que les professeurs feraient la même chose que Verushka Lieutenant-Duval en utilisant le terme au complet dans la salle de classe?

« Oui, absolument et sans aucune réserve, car c’est fait dans un contexte qui est de l’enseignement. Les mots servent à penser, si on n’utilise pas les mots, on ne peut pas penser le réel », conclut M. Le Blanc.

Certains membres du corps professoral envisageraient de porter plainte à la police. Au moment d’écrire ces lignes, le Service de police d’Ottawa a confirmé à ONFR+ n’avoir reçu aucune plainte.