Crise linguistique : comment les institutions ont formé les résistants

La manifestation à Ottawa, le 1er décembre 2018. Archives ONFR+

[ANALYSE]

Plus de 14 000 personnes présentes, des centaines de drapeaux verts et blancs déployés, le « nous sommes, nous serons » entonné par des foules entières aux quatre coins de la province. Si Doug Ford a pris les Franco-Ontariens par surprise le 15 novembre dernier, les francophones se sont aussi surpris quelque peu. Les objectifs chiffrés des rassemblements ont tous été dépassés.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

On disait pourtant çà et là qu’un ralliement du type de celui de Montfort, en 1997, était devenu impossible. Que les ravages de l’assimilation avaient freiné tout esprit de révolte des nouvelles générations. Que la participation somme toute relative aux États généraux de la francophonie à Ottawa en 2012, puis à ceux du postsecondaire l’année suivante, corroborait ce désintérêt. Que nenni!

Mais comment en est-on arrivé là? La première explication est vieille comme le monde. La mobilisation est souvent plus massive en cas de perte d’un acquis que de conquérir un nouveau bienfait. La possible fermeture de Montfort, comme l’annulation de l’Université de l’Ontario français et la fin de l’indépendance de François Boileau indignent.

Pas besoin non plus d’être politologue pour deviner le rôle actif des médias sociaux. Sur Facebook ou Twitter, les colères sont maintenant partagées et canalisées d’Ottawa à Thunder Bay, en passant par Sudbury et Sarnia. L’absence de référence francophone lors des élections fédérales de 2015 avait donné le mot d’ordre #nouscomptons. Il y a quelques semaines, les propos de Denise Bombardier ont enflammé de Vancouver à Saint-Jean de Terre-Neuve. La table était donc mise.

Les écoles, une vraie force depuis 20 ans

Mais un autre phénomène sous-estimé, c’est la force des écoles élémentaires et secondaires. En janvier 1998, l’officialisation des 12 conseils scolaires francophones avait consacré leur indépendance. Vingt ans plus tard, ils sont désormais 10 000 de plus à fréquenter ces établissements. Les esprits chagrins diront que l’anglicisation gagne même les couloirs des écoles, en revanche, la masse critique produite a gagné en poids.

Le projet de l’université franco-ontarienne relancé en 2012 est avant tout l’œuvre de cette génération, sous l’impulsion du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO). Une génération, conscientisée dans les écoles, avide de justice sociale et baignée dans l’esprit de la Charte canadienne des droits et libertés, qui consacre l’éducation dans les deux langues. Ce qui était acceptable dans les années 1960, « limite » dans les années 1980, ne l’est plus aujourd’hui.

Cette masse déjà importante est alimentée beaucoup plus qu’auparavant par l’immigration francophone. Ces nouveaux arrivants éduqués, originaires de France, du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, ont fui bien souvent les rigueurs de leur pays d’origine. Pour eux, l’égalité et le progressisme vont naturellement de soi.

Amanda Simard et les autres issus de ces institutions

Cette même génération se retrouve dès lors en avant-plan dans cette riposte. Érigée comme l’icône du mouvement, Amanda Simard, 29 ans, incarne bien cet esprit. Avant de devenir la députée frondeuse du caucus progressiste-conservateur, l’élue de Glengarry-Prescott-Russell avait passé l’essentiel de sa scolarité dans ces mêmes institutions franco-ontariennes gagnées, pour ne pas dire arrachées, avec le temps.

Très présents sur les tribunes depuis le 15 novembre, les intellectuels Stéphanie Chouinard et Serge Miville, tout comme les leaders d’organismes Lydia Philippe (FESFO), Marie-Pierre Héroux, Radi Shahrouri, et Kelia Wane (RÉFO) pour ne citer qu’eux, représentent cette génération plurielle et ouverte sur le monde.

Ces nouveaux citoyens, fruits des institutions franco-ontariennes, sont passés à l’étape de faire l’histoire. Les lendemains ne peuvent qu’en être prometteurs.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 10 décembre.