Crise linguistique : différents regards pour les immigrants membres des minorités visibles

Housseyn Belaiouer, Rym Ben Berrah et Jean-Marie Vianney.Montage #ONfr

Ils sont chaque année des centaines à tenter leur chance en Ontario. Pvtistes, résidents permanents, voire francophones issus d’une première immigration au Québec, ces nouveaux arrivants n’ont pas tous le même niveau d’engagement.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

On estime aujourd’hui à plus de 20 % le nombre de Franco-Ontariens nés en dehors du Canada. Un chiffre qui suscite débat, et qui devrait continuer de gonfler dans les années à venir. Derrière la France, principal pays d’immigration francophone en Ontario, on retrouve des nations comme Haïti, le Cameroun, le Congo, le Burundi ou encore l’Algérie. Une francophonie donc plus multiculturelle, voire ethnoculturelle, que jamais.

La crise linguistique, Housseyn Belaiouer la suit tous les jours. Cet immigrant avait quitté son Algérie natale en 2009 pour s’installer au Québec. L’an passé, le besoin d’un nouveau défi l’a conduit à Toronto.

« Cette situation avec le gouvernement ontarien est inacceptable », lance-t-il. « On pense forcément aux coupures qu’il risque encore d’avoir. La situation va devenir plus difficile. À Toronto, on ne trouve pas encore tous les services en français. Ces services doivent être adaptés au besoin de chacun! »

Aiguiller les immigrants algériens une fois sur place, les aider à trouver un emploi, c’est aussi le but l’Association algérienne du Grand Toronto dont il est aujourd’hui le président. « Il y a quelques jours, j’ai reçu le courriel d’une femme en Algérie, actuellement dans une démarche d’immigration, qui me demandait si elle pouvait s’intégrer de manière sécuritaire à Toronto. Je me suis dit que c’était par rapport à la situation que nous traversons actuellement! »

Méconnaissance du Commissariat aux services en français

Mais tous ne sont pas aussi engagés que M. Belaiouer dans le cercle de la francophonie. Mustapha Radi par exemple, résident d’Ottawa, est de ceux-là. Le jeune homme originaire du Maroc, qui vient tout juste d’obtenir sa citoyenneté canadienne, revient sur les compressions annoncées par Doug Ford le 15 novembre.

« J’ai découvert qu’il y avait un Commissariat aux services en français, je ne savais pas non plus qu’il y avait une Loi sur les services en français. Grâce à la crise, j’ai appris des choses et je me suis intéressé. »

Sur l’Université de l’Ontario français en revanche, le discours est tout autre. « J’entendais déjà parlé du projet quand j’étais au Maroc. En tapant sur Google pour des recherches, je tombais déjà dessus à l’époque. Maintenant que je suis installé en Canada, c’est intéressant de savoir le refus. Pour moi, c’est un gâchis considérable! »

Mustapha Radi, nouveau canadien depuis vendredi dernier. Gracieuseté

Fier de parler aujourd’hui quatre langues – l’anglais, le berbère, l’arabe et le français – M. Radi se considère comme un « sympathisant, pas plus engagé que ça ». À savoir si plus de leaders du mouvement La Résistance devraient être issus des minorités visibles, le néo-canadien hésite. « Ça fait partie d’une diversité culturelle. »

Suppression du poste de commissaire aux services en français de François Boileau ou encore annulation de l’Université de l’Ontario français, la formule consacrée que « les Franco-Ontariens sont tous sous le choc » serait donc à nuancer.

À Toronto, Joel Ymele Leki avoue lui aussi ne pas savoir que l’Ontario disposait d’un commissaire aux services en français, avant les événements.

Arrivé au Canada depuis le Cameroun, il y a 11 ans, M. Ymele Leki semble prendre tout ça avec recul. « Je trouve que c’est dommage, mais je me dis que j’ai toujours l’anglais sur lequel me reposer. J’ai appris l’anglais, je peux gérer. »

S’il s’informe lui aussi des événements, le torontois Moustapha Leyé Diop est dubitatif sur la diffusion de la nouvelle de la crise linguistique au-delà des cercles traditionnels de la francophonie. « En dehors de mon environnement de travail, dans mon entourage, personne n’est au courant qu’il y a une crise linguistique! »

Originaire de France, mais né au Sénégal, M. Leyé Diop ne se sent pas plus que ça représenté par les groupes francophones. « Il n’y a pas une voix forte à la francophonie. Pour les gens qui cherchent des institutions francophones, il n’y a pas une connexion entre les organismes et la communauté qui est là. Le Centre francophone de Toronto est probablement le plus connu, ici, mais c’est tout! »

Le débat sur la représentativité des porte-paroles

Du côté des leaders des communautés ethnoculturelles, la crise linguistique est aussi l’occasion de réfléchir à la question de la représentativité. Car l’événement intervient seulement quelques semaines après des débats houleux sur le sujet dans les coulisses. C’est dans ces conditions que la Coalition des Noirs francophones de l’Ontario a vu le jour au cours de l’été.

Jean-Marie Vianney, son principal responsable, préfère en tout cas mettre les vieilles guéguerres de côté, le temps de la lutte. « La mobilisation doit d’abord primer, on parlera des autres choses après. La collaboration doit être de mise. »

Visage familier de la francophonie ontarienne, M. Vianney promet de revenir à la table des discussions plus tard, quand les tensions entre Doug Ford et la communauté franco-ontarienne seront apaisées. « Il faut s’interroger sur la participation des minorités ethnoculturelles, que les opportunités offertes reflètent le changement démographique. »

Rachel Déscoste d’origine haïtienne, elle, ne mâche pas ses mots en entrevue. De tous nos intervenants, elle est la seule non-immigrante, car née au Canada. « J’étais la seule noire dans ma classe en 1981, maintenant 30 à 40 % des élèves sont parfois issus des minorités visibles. Autant dire que les porte-paroles choisis par La Résistance ne sont pas représentatifs de la francophonie. »

Carol Jolin, Ronald Caza, Gisèle Lalonde, Royal Galipeau, Bernard Grandmaître… Pour Mme Déscoste, cette liste de leaders qu’elle énumère « n’est pas à notre image ». Experte en diversité, elle regrette aussi la prudence des autres leaders ethnoculturels sur cette question.

« Je comprends la prudence, mais c’est une position perdante. Il n’y a pas de mouvement qui ne froisse pas les gens. Il faut se souvenir qu’il y a dix ans, nous avons adopté une Définition inclusive de la francophonie. D’un autre côté, je me sens mal d’aller demander à ces porte-paroles de La Résistance de m’inclure. »

À noter que le mouvement lancé après les annonces du 15 novembre comprend tout de même quelques immigrants parmi ses représentants. Pour preuve, la présence de la présidente de l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO Ottawa), Soukaina Boutiyeb.

« En tant qu’immigrant, on ne se réfère plus aux épingles à chapeaux »

Autre leader immigrante et membre des minorités visibles sur le devant de la scène : Rym Ben Berrah. Samedi, c’est encore elle qui co-animait, micro en main, le grand rassemblement franco-ontarien au centre-ville d’Ottawa.

« Personnellement, tout dépend du niveau d’implication et d’éducation et de la conscience des droits et des acquis en tant que Franco-Ontarien (…) Maintenant, on parle d’un historique commun avec les besoins des immigrants actuels, comme l’Université ou le Commissariat. Ce sont des référents communs importants qui unissent les gens. En tant qu’immigrants, on ne se réfère plus aux épingles à chapeaux de la crise du Règlement XVII, qui malgré l’importance, ont moins d’impact en tant que référent historique pour les gens de notre génération d’immigrants. »

Née en Algérie, c’est après de longues années en Tunisie que Rym Ben Berrah est arrivée au Canada à 15 ans. « D’année en année, je constate un désir supplémentaire d’inclure tout le monde et une meilleure acceptation. Je trouve qu’on tend vers quelque chose de meilleur. Il n’y qu’à voir la diversité des artistes présents sur la scène lors du rassemblement de samedi! »


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