Crise linguistique en Ontario et la situation au Nouveau-Brunswick, même combat?

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La crise linguistique que vit l’Ontario français depuis deux semaines peut-elle se comparer à la situation au Nouveau-Brunswick? Pour plusieurs intervenants, elles ont des bases communes.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Depuis fin septembre, les Acadiens retiennent leur souffle. La balance du pouvoir est entre les mains des trois députés de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick, un parti qui s’est positionné ouvertement contre le bilinguisme tel que pratiqué dans la seule province officiellement bilingue du Canada.

S’ils espéraient davantage d’ouverture, les Franco-Ontariens essaient actuellement d’inverser les décisions de leur gouvernement progressiste-conservateur d’abolir le Commissariat aux services en français et d’abandonner le projet d’université franco-ontarienne.

Pour l’avocat spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet, les situations ont quelque chose de similaire.

« Il y a des parallèles à faire. Mais l’approche au Nouveau-Brunswick est beaucoup plus sournoise. On voit depuis de nombreuses années un affaiblissement du Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick avec un budget qui, depuis 2002, n’a augmenté que de 500 000 $ à 514 000 $ [le dernier budget du Commissariat aux services en français en Ontario était de 2,9 millions $]. Si bien que le commissaire n’a pas les ressources de faire son travail. »


« On a nos défis, ils ont les leurs! » – Michel Carrier, commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick


Pour le principal intéressé, il faut toutefois se méfier des comparaisons.

« On n’est pas dans la même situation que l’Ontario, car nous avons des garanties constitutionnelles qui empêchent, par exemple, de se débarrasser du poste de commissaire aux langues officielles », soutient le titulaire du poste par intérim, Michel Carrier.

Un mal pour un bien?

Ce dernier dit avoir eu l’assurance du premier ministre, Blaine Higgs, que ce n’est pas l’intention du gouvernement progressiste-conservateur.

« Je ne pense pas qu’il puisse y avoir un effet boule de neige avec ce qui se passe en Ontario, même s’il faut toujours être aux aguets. Les élus au Nouveau-Brunswick trouvent que M. Ford est allé trop loin et avec les réactions à travers le pays, c’est peut-être un mal pour un bien, car ça va réveiller les gens », pense-t-il.

M. Doucet se montre moins optimiste.

« Le gouvernement nous dit qu’il n’y a pas de coalition avec l’Alliance, mais se montre prêt à mettre en œuvre certaines politiques de ce parti qui considère que les droits linguistiques sont inutiles, comme pour Ambulance Nouveau-Brunswick. »

Bases communes

Le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, en poste jusqu’au 1er mai, trouve des bases communes dans la situation des deux provinces.

« Il y a une espèce de liberté sur les médias sociaux qui décuple la parole de ceux qui sont « anti ». On dirait que ça leur donne une voix et quand on intègre cette voix au niveau politique, ça les légitimise. »

Son homologue néo-brunswickois rappelle toutefois l’appui très majoritaire au bilinguisme.

« C’est une toute petite partie de la population, souvent des anglophones, qui s’y oppose. Il faut rejoindre ces gens-là pour défaire les mythes et leur expliquer la question de la vitalité et de la survie des communautés francophones en contexte minoritaire. Je n’ai jamais rencontré un anglophone au Nouveau-Brunswick qui ne parle plus anglais, mais je connais beaucoup de francophones qui ont été assimilés. »

Rôle politique

Pour M. Boileau comme pour M. Carrier, les tensions linguistiques sont les conséquences d’un certain manque de courage politique.

« Il faut faire davantage ressortir les avantages du bilinguisme et sa valeur pour le pays. On n’a pas toujours été assez vocal là-dessus et ce n’est pas juste le travail des commissaires. C’est le rôle des gouvernements », estime le chien de garde des droits des Franco-Ontariens.

L’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick, Brian Gallant, a lui-même reconnu récemment qu’il aurait dû en parler davantage, souligne M. Carrier, qui insiste sur la valeur économique, sociale et culturelle du bilinguisme.

« Il faut se souvenir des attaques de M. Gallant et des libéraux contre la commissaire aux langues officielles [à l’époque Katherine d’Entremont] quand ils étaient au pouvoir », rappelle toutefois M. Doucet. « À part peut-être Kevin Arseneau [député provincial vert] qui apporte une fraîcheur nouvelle dans ce dossier-là, personne, tous partis confondus, ne veut aborder de front la question des droits linguistiques! »


« Je me dis parfois qu’il aurait peut-être été préférable qu’on abolisse le poste de commissaire aux langues officielles au Nouveau-Brunswick pour que les gens se mobilisent » – Michel Doucet, avocat


L’avocat acadien regrette que la situation de sa province semble être moins prise au sérieux que celle de l’Ontario.

« En Ontario, la situation est plus réelle. On a coupé le poste de commissaire et l’argent pour l’université franco-ontarienne. Le Nouveau-Brunswick y réagit fortement et certains organismes davantage qu’à ce qui se passe chez nous. La francophonie canadienne doit être solidaire, mais elle doit aussi regarder ce qui se passe au Nouveau-Brunswick, car c’est très inquiétant. »

D’autres cas ailleurs au pays

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada estime que la francophonie canadienne ne vit pas des heures sombres que dans ces deux seules provinces.

En Nouvelle-Écosse, la communauté acadienne lutte depuis six ans pour le retour de ses circonscriptions électorales protégées. Au Manitoba, la restructuration du Bureau de l’éducation française, qui s’est traduite par l’abolition du poste de sous-ministre adjoint, inquiète. En Colombie-Britannique, les causes francophones devant les tribunaux s’accumulent, ces dernières années.

« Des crises linguistiques, des remises en question de la dualité linguistique, il y en a ailleurs qu’en Ontario. Il faut agir fort et avec solidarité avant que ce qui arrive en Ontario se passe ailleurs », prévient le président de la FCFA, Jean Johnson.