Daniel Gingras ou l’esprit de combat francophone

Daniel Gingras Crédit image: Étienne Fortin-Gauthier

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

SUDBURY – Daniel Gingras a remporté, cette semaine, le Prix de la francophonie de l’Association canadienne-française du grand Sudbury (ACFO Sudbury). Très tôt dans sa vie, il a réalisé l’importance de lutter pour ses droits en tant que francophone. Le développement d’une culture philanthropique franco-ontarienne est pour lui un cheval de bataille. 

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Vous êtes habité par un esprit de combat et croyez que les francophones doivent lutter pour leurs idéaux. D’où vous viennent ces convictions?

C’est de famille. Ma tante Yvonne enseignait dans une école de rang à Kitigen, près de Kapuskasing. Elle enseignait illégalement le français avec des catalogues des magasins Eaton, en raison du Règlement 17. Enfant, je l’ai entendu raconter comment dans le passé, elle se faisait avertir par une autre tante de l’arrivée des inspecteurs pour qu’elle puisse cacher les catalogues et sortir les manuels officiels en anglais. Ça m’a toujours habité.

Vous dites également que la haine de certains à l’endroit des francophones vous a motivé à sauter dans l’arène…

Je déteste les injustices, surtout quand ça concerne les francophones. Je suis le premier à me lever. J’en ai moi-même été victime. Après être devenu coordonnateur de l’ACFO de Nipissing, j’ai été demander aux candidats à la mairie de North Bay si on pouvait rendre la Ville bilingue. Des citoyens ont commencé à me crier : « Speak White! » Il a fallu que je sorte. C’est la première fois que ça m’a frappé : il y a des gens qui s’opposent à nous.

Dans votre jeunesse, vous êtes descendus dans la rue pour faire entendre la voix des francophones. Mais rapidement, vous semblez vous êtes rendu compte qu’il fallait aller un pas plus loin, n’est-ce pas?

Oui, j’ai participé à des manifestations pour qu’on obtienne une école secondaire francophone à Hearst. Après l’élection scolaire, on l’a obtenue, car les francophones ont pris le contrôle du conseil scolaire. Quand on est décideur, les bonnes choses arrivent pour nous.

C’est d’ailleurs devenu un peu votre phrase fétiche?

Oui, car quand on est dans des postes décisionnels, que ça soit un conseil d’administration ou au parlement, ça change tout. Quand on est plusieurs francophones, on fait avancer les dossiers, on peut les influencer. Les francophones ne s’impliquent pas assez. Il faut s’attacher à un parti politique, peu importe lequel pour influencer les choses. Dans les années 80, je suis devenu un petit adjoint de ministre. Mais j’ai pu l’influencer, ça ne prend pas grand-chose quand tu es bien placé.

En 1986, la Loi 8 est adoptée. Le gouvernement est forcé de nommer des coordonnateurs des services en français. Vous obtenez le poste au sein des services correctionnels. À la blague, vous dites que « même les petits bandits francophones ont besoin de services en français ». Comment avez-vous vécu ce chapitre de votre vie?

Quand j’ai commencé, il y avait aucun directeur de prison qui parlait français. En fait, l’Ontario allait encore engager en Angleterre pour ces postes! Quand on arrivait pour faire appliquer la Loi 8, on n’était pas accueilli avec des fleurs, mais on s’imposait. Je suis fier de ce qu’on a pu faire. On a pu désigner des postes bilingues. C’est important que tous les niveaux de société aient des services en français. Le jeune délinquant francophone, s’il veut se replacer, mais qu’il n’a aucun service dans sa langue, ça n’arrivera pas.

Votre nouveau combat est de stimuler l’esprit de solidarité entre les francophones. Nous ne sommes pas assez généreux?

Dans le Nord de l’Ontario et chez les francophones, il n’y a pas de culture philanthropique. On n’est pas porté à donner. On sait qu’il y a bien des francophones qui en ont de l’argent! Il faut plus donner, que ça soit dans le domaine de l’éducation, de la santé ou des arts.

Vous êtes président des dons majeurs pour la future Place des Arts de Sudbury, vous espérez que la communauté va entendre votre message?

Absolument. Nous allons annoncer bientôt quelques grands donateurs et on espère qu’il va y avoir un mouvement qui va en encourager d’autres à donner. Je me rappellerai toujours mon premier projet philanthropique : l’objectif était de ramasser 5 millions pour des bourses au Collège Boréal. J’ai recruté un président de campagne, Gaston Malette, et on a ramassé le 5 millions dans le temps de le dire. Il appelait tous ses amis, c’est ça la clé.

Vous avez joué un rôle crucial dans la réalisation de nombreux projets francophones. Mais vous refusez d’être à l’avant-scène, vous n’accordez habituellement pas d’entrevue et vous êtes inconnu du public. Pourquoi rester dans l’ombre?

Tous les projets où je suis impliqué, je les fais en coulisses. Je n’aime pas cette attention. Je laisse les autres prendre le devant. Cependant, je les forme et leur donne les outils de communications. Aujourd’hui, je fais une exception avec vous!

Ça m’inquiète. Pourquoi les jeunes francophones choisissent toujours d’aller vers une institution postsecondaire en anglais? On dirait que la fierté diminue. C’est inquiétant. Mais en même temps, je vois une relève. Nous on s’est toujours battu pour notre collège, notre hôpital… les jeunes ont tout. C’est acquis. Leur défi est de conserver ces acquis et de se battre pour en avoir plus. Mais j’ai espoir. »


LES DATES-CLÉS DE DANIEL GINGRAS :

1955 : Naissance à Hearst

1982 : Devient coordonnateur de l’ACFO de Nipissing

1983 : Obtient le poste d’adjoint de Jean-Jacques Blais, député fédéral de Nipissing et ministre de la Défense nationale

1986 : Coordonnateur des services en français pour l’ensemble des services correctionnels ontariens

2017 : Nommé président des dons majeurs pour la future Place des Arts de Sudbury

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.