Dans l’antichambre d’une université « par et pour », le combat de la représentativité

Le RÉFO à l'initiative d'un rassemblement devant Queen's Park en 2016 pour la création d'une université francophone.
Le RÉFO à l'initiative d'un rassemblement devant Queen's Park en 2016 pour la création d'une université francophone. Gracieuseté

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, le récit d’immigrante de Rym Ben Berrah, francophone engagée.

[CHRONIQUE]

Il s’en est passé des choses dans l’univers post-secondaire en Ontario français depuis une décennie. Me voilà donc diplômée du secondaire de De La Salle, en quête d’une éducation qui bâtirait les fondations de mon avenir, assurerait mon intégration dans le marché de travail de la société canadienne et dont la satisfaction d’obtention égaliserait la sueur de front de mes parents dans leur démarche d’immigration. Les enjeux étaient clairs et la tâche était ardue.

Une université c’est bien plus qu’une scolarité, un nom, un papier. Dans la construction identitaire d’un.e jeune sortant du secondaire, ce lieu, tout d’abord physique, est le laboratoire du maillon qu’il deviendrait dans la société, en tant que membre actif et membre de famille.

Voyez-vous cela, une petite Rym Ben Berrah qui s’inscrit à l’éducation en français à l’Université d’Ottawa et qui se retrouve nez-à-nez avec une énorme brique d’équations en anglais pour son cours obligatoire de mathématiques – offert en français. C’était à l’époque, il y a une dizaine d’années, que j’ai été confrontée à ma première injustice de francophone minoritaire dans un Ontario qui se veut bilingue.

Je me souviens encore de ma conversation avec le professeur après avoir échoué mon premier
examen. J’essayais de lui expliquer que j’étais immigrante et que je n’avais reçu aucune éducation en anglais, encore moins en mathématiques avancées. J’avais foi que le corps professoral et mon milieu d’enseignement étaient là pour favoriser ma réussite et non pas me prendre dans un piège sans issue : celui où les enjeux qui me concernent le plus étaient les moins traités car ils étaient ceux de la minorité.

C’est à ce moment-là qu’a commencé à se démystifier l’idée en moi de la fierté universitaire et du gage de réussite grâce à la motivation : j’ai compris que le système était fait pour les privilégiés.

Me voilà donc à 21 ans, trois tentatives de sessions sous le bras, avec des cours infranchissables car leur matériel didactique était en anglais. Dans ma tête et dans mon quotidien de jeune adulte venue d’ailleurs, j’étais confrontée à cette constante frustration : « C’est dommage parce que je suis vraiment une meilleure étudiante en français », « c’est dommage, je suis plus intelligente en français ». L’argent investi dans cette quête était égal à celui d’un.e autre qui avait plus de chances que moi, de par son privilège, sa position, son lieu de naissance.

Le temps passait et je sentais cette fougue de m’accaparer mon avenir diminuer, oppressée par tous les obstacles qu’une université non-francophone ou bilingue « que sur papier » imposait.

Le Regroupement étudiant franco-ontarien : l’union fait la force

Ma rencontre avec le RÉFO a été des plus intrigantes car, vu les circonstances, l’arrivée de cet organisme dans ma vie était une nécessité et est devenu le berceau de mon identité militante franco-ontarienne. Alain Dupuis : quel homme, quel être humain, quel esprit brillant, quel cœur engagé. Alain Dupuis, à l’époque directeur général et porteur de la verve du flambeau du RÉFO, avait – avec son équipe – une vision pour l’avenir : une université franco-ontarienne. J’ai fait la rencontre de personnes admirables qui m’ont tant appris sur la vie, l’engagement et l’Ontario français : mes années de coprésidence avec Geneviève Latour, Geneviève Souligny, Myriam Vigneault et Josée Joliat.

Le RÉFO opérait avec brio avec ce qu’il avait. Il mettait en avant les besoins des francophones du milieu post-secondaire et agissait comme un pont entre plusieurs structures, autant politiques, qu’éducatives ou gouvernementales. Je me suis retrouvée, tout d’abord comme participante, accueillie et écoutée. Je me suis rendue compte que beaucoup de jeunes et de moins jeunes subissaient les mêmes tourmentes que moi dans leurs cheminements. La représentation ainsi que la représentativité comptent vraiment pour des personnes qui manquent de repères.

Alain Dupuis, ex-directeur du RÉFO, et Rym Ben Berrah devant l’Assemblé législative de l’Ontario. Gracieuseté

Lorsque j’ai été élue coprésidente, j’avais ce désir ardent d’œuvrer dans l’intérêt des étudiant.e.s qui subissaient des dilemmes et des oppressions, être plus proche d’eux et bâtir des lieux fictifs et non-fictifs afin de se rassembler et de construire, ensemble. Les symposiums, les États Généraux, les tables de concertation : on prenait le pouls de la vitalité estudiantine.

Tout le monde était d’accord sur une chose : nous voulons notre propre université franco-ontarienne. Il a fallu faire preuve de beaucoup de diplomatie, afin de montrer aux établissements déjà existants que cela ne va pas à l’encontre de ce qu’ils ont à offrir, mais que c’est un lègue crucial pour les générations futures, vu l’état et l’avancement de la francophonie
ontarienne, canadienne et internationale.

Je me souviens encore lorsque tout n’était qu’une idée, des opinions diverses gribouillées sur des post-it par des participants lors d’ateliers, de brainstormings ou d’animations. « Je veux une garantie que mon éducation se déroule en français dans ma région ». « Je ne veux pas être aussi loin de ma famille pour étudier ». « Je veux avoir les mêmes chances en tant que nouvel arrivant qu’une personne née ici ». « Je veux être un atout positif à ma communauté d’accueil ». « Je veux rencontrer du monde franco-ontarien et pas juste dans les événements provinciaux du RÉFO ». « Je veux que les autres organismes se rallient à notre cause ». « Je veux que le gouvernement investisse dans son avenir : nous ». Des rêves, certes, mais cette fougue qui nous nourrissait provenait de tous les éléments de nos réalités confondues.

L’Université de l’Ontario français n’était pas qu’un lieu pour nous, un bâtiment et un corps professoral. C’était la matérialisation de la conscientisation du peuple franco-ontarien qu’il méritait son université bâtie par et pour lui. Plus besoin de glisser des points de vote pour des détails de cours francophones, de budgets maniés selon d’autres priorités d’année en année, de bulles de consultation pour essayer de répondre à une demande qui manquait d’inclusion et de diversité, de démantèlement des sources de vigueur du futur franco-ontarien.

Les élections sont enclenchées en Ontario et les analyses fusent de tous côtés. Les enjeux des francophones demeurent-ils les mêmes une élection après l’autre? Continuons-nous à prospérer dans notre rôle de citoyens engagés à de faire de l’Ontario français un milieu de vie, d’éducation et d’épanouissement digne de la mosaïque et de la riche histoire qui nous constitue? Parlons à nos futurs élus.

À suivre…

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.