Dans le ventre du Congo, l’amitié malgré les différences

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.

[CHRONIQUE]

Dans le ventre du Congo, de l’auteur Blaise Ndala, il y a une histoire, ou plutôt des histoires. Des histoires de princesse perdue, de pas esquissés de rumba, de pouvoir politique qui s’effrite, d’amour étouffé, d’amitié qui se tisse, mais aussi d’humiliation amère, de pays confisqué et beaucoup plus.

Dans les années 1970, j’ai grandi avec le nom d’un pays appelé Zaïre. Nous utilisions ce nom fréquemment dans nos jeux enfantins, preuve d’un pays qui commence par la lettre « Z ». Nous n’avions aucune idée sur l’histoire de ce pays ni les raisons de cette appellation et, entre temps, nous consommions goulûment les aventures de Tintin écrites par le dessinateur belge Hergé. Tintin et son chien Milou qui se baladent d’un pays à un autre en s’arrêtant au Congo.

Ne sachant pas que ce Congo belge n’est nul autre que le « Congo Kinshasa » que le président Joseph-Désiré Mobutu rebaptise en 1971 Zaïre. Et que c’est ce même Mobutu qui fut une fois invité par Habib Bourguiba, le Combattant Suprême, président tunisien de mon enfance, pour une visite en Tunisie alors que je ne suis pas encore née. Deux dictateurs en herbe qui savent mutuellement s’apprécier.

C’est en pénétrant Dans le ventre du Congo que j’ai finalement pu mettre les points sur les « i » et rapiécer mon ignorance ou compléter mon éducation inachevée. Non pas que le livre de Ndala est un livre sur l’histoire du Congo mais un roman avec des évasions historiques racontées successivement par deux femmes fortes ou plutôt deux princesses, Tshala Nyota Moela et sa petite nièce, Nyota Kwete, dont le sang royal a été à la fois sacrifié et lavé respectivement par le poids du patriarcat et de la tragédie.

Douloureuses contractions de l’Histoire

En lisant le récit de ces deux femmes séparées par le temps et la géographie, la lectrice que je suis a l’impression que l’Histoire ne fait que se répéter dans ses contractions douloureuses. Le colonialisme qui n’a jamais quitté cette terre africaine, le racisme qui se métamorphose d’un projet colonialiste dans une terre lointaine en une migration indésirable des habitants des anciennes colonies vers les anciens « empires ».

L’exposition universelle de Bruxelles en 1958 qui en un temps fut une occasion au pays hôte d’exhiber ses avancées technologiques, quitte à montrer un village africain, butin de la guerre coloniale, jusqu’au salon de l’automobile moderne qui affiche ses nouveaux modèles de voiture de luxe. Et le parallèle qui se poursuit entre l’ancien et le moderne entre la tante qui s’affranchit à sa manière de l’oppression paternelle et la nièce qui veut retrouver ses racines enfouies et presque disparues.

Depuis le roi du royaume belge, Léopold II, qui s’approprie le Congo et ses habitants, y compris les rois des tribus, les forêts, les rivières, les hommes et les femmes jusqu’au stade du Roi Baudoin à Bruxelles où plusieurs joueurs de soccer originaires de ce même Congo vont dribler le ballon rond pour le compte des équipes belges. Tout devient propriété des Belges, même l’histoire des peuples, leurs diversités, leurs us et coutumes, leurs langues et les histoires.

Car c’est ça la tragédie du colonialisme. C’est la disparition des histoires, dans leurs subtilités et dans leurs complexités. Tout devient fade, tout devient uniforme, ressemblant à celui qui détient les rênes du pouvoir. Même les femmes noires se frottent le visage avec des crèmes dites magiques pour se rapprocher de la beauté blanche.

Dans le ventre du Congo est un hommage à l’amitié. L’amitié qui malgré les différences de cultures et de lieux géographiques peut se former et continuer à travers les générations. C’est aussi à un hommage à notre humanité commune, à tout ce qui reste en nous après la disparition des frontières et des rapports de force.

Aujourd’hui dans un monde de plus en plus dominé par les médias sociaux, j’ose espérer que ces amitiés, dont Ndala fait l’éloge dans son roman, que nous tissons au courant de nos vies puissent durer au-delà de notre bref passage terrestre et créer des lignes de résistance contre la méchanceté des hommes et de la superficialité des « j’aime » que nous échangeons sur les plateformes virtuelles.

La littérature, lieu de mémoire et de vérité

Même si certains personnages sont brièvement mentionnés Dans le ventre du Congo, je ne peux m’empêcher d’aimer le petit clin d’œil historique que fait l’auteur à Patrice Lumumba, un homme politique de la première heure du Congo, élu démocratiquement.

Béchir Ben Yahmed, journaliste et homme politique tunisien et fondateur du célèbre magazine Jeune Afrique, avec lequel j’ai grandi en lisant pour mieux comprendre ce monde, avait dit dans ses mémoires que dans sa vie, il n’a pleuré que trois hommes. Lumumba est l’un d’eux. Un homme que je connais mal et dont l’apparition dans le roman de Ndala m’a fait beaucoup de bien à savoir que la littérature est un lieu de mémoire et de vérité aussi.

Comme quoi, les peuples africains ne sont pas voués ou damnés à la pauvreté et au sous-développement, mais que le machiavélisme de certains de leurs dirigeants et la complicité des colons d’hier devenus amis des despotes d’aujourd’hui écartent ceux qui ont des visions patriotiques et radicales de l’avenir de leurs nations.

Dans le ventre du Congo, il y a de tout. Depuis l’économie, le caoutchouc, que Ndala appelle « ce produit de malheur » jusqu’aux relations humaines en passant par la politique locale et internationale, la lectrice ne cesse d’apprendre sur le Congo, la Belgique, les missionnaires, la finance et même le soccer!

Ndala est non seulement un conteur éloquent mais aussi un enseignant. Il nous livre un super cour magistral en histoire et en politique dans un monde qui ne cesse de se renfermer sur lui-même en ravivant les flammes du racisme et du chauvinisme.

Blaise Ndala nous ouvre sur un monde ancien riche qui a été malheureusement effacé par le rouleau compresseur du colonialisme en nous faisant croire ou même oublier qu’avant l’arrivée des colons dans ses contrées africaines, et avant l’apparition des contes de fées à la « Walt Disney », il y avait aussi des princesses Kuba qui portent de jolis colliers, des rois qui règnent et surtout de la vie et de l’amour.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.