[LA RENCONTRE ONFR+]

OTTAWA – Il y a 25 ans avait lieu ce qui est considéré aujourd’hui comme l’un des plus gros rassemblements franco-ontariens : 10 000 personnes s’entassaient dans le Centre municipal d’Ottawa pour manifester contre la fermeture de l’Hôpital Montfort. Munie de son stéthoscope et de son drapeau franco-ontarien, la docteure Julie Lockman, tout juste sortie de l’université, y voyait une injustice dans la décision du gouvernement de Mike Harris. Elle fait partie de cette génération de médecins qui ont grandi avec cette cause.

« Expliquez-nous d’où a commencé votre expérience à l’Hôpital Montfort?

Je suis venu faire un stage à Montfort en 1993 et c’était un vrai coup de foudre. J’ai vraiment capoté sur l’esprit de famille qui régnait dans cet hôpital. Je pouvais faire un métier formidable comme celui dans lequel je m’engageais essentiellement, tout ça en baignant dans la culture franco-ontarienne. Je suis revenue en 1994 pour faire ma résidence et, à partir de là, j’ai décidé que j’y ferais carrière, car c’est là qu’était ma place.

Vous souvenez-vous du jour où l’on a annoncé la fermeture de Montfort?

Je m’en souviens. Je m’en allais vers ma clinique à Embrun et j’ai entendu ça à la radio. J’étais estomaquée. Quand je suis arrivée au bureau avec mes collègues, j’étais en larmes. C’était inconcevable, j’y pense encore aujourd’hui et je me dis  »Comment ont-ils pensé faire ça? ». Ma réaction initiale était de la tristesse et une grande déception pour moi et je savais que je n’allais pas pratiquer en anglais dans un autre hôpital. Je n’étais pas faite pour compromettre mes idéaux linguistiques. Pour moi, c’était un gros deuil, car c’était comme la fin de ma carrière hospitalière.

Mais vos larmes se sont vite transformées en colère…

Le deuil n’a pas duré longtemps. C’était la journée même. Je sentais qu’il y avait une sorte de lionne en moi qui avait brusquement été réveillée. Ça ne pouvait pas se passer comme ça et il y a eu un mouvement qui s’est créé assez rapidement et je me suis impliquée. C’était dans ma nature et je tiens ça de ma mère qui a toujours été une militante pour la cause franco-ontarienne. J’ai toujours eu ma langue et ma culture à cœur. C’était alors très naturel pour moi de me battre avec toute la population.

La Dre Lockman (a l’extrême droite) remettant un prix en compagnie du doyen de l’Université d’Ottawa de l’époque, dont elle avait dénoncé la position. Gracieuseté

Alors que vous étiez stagiaire à Montfort et étudiante à la faculté de médecine, vous n’avez pas hésité à aller à l’encontre de l’Université d’Ottawa publiquement en dénoncant leur position. Expliquez-nous?

J’étais un peu comme la jeune qui se révoltait (rires). Le doyen à l’époque disait que l’université pouvait facilement former les étudiants en français (si Montfort fermait) et je savais que c’était complètement faux. Je me suis dit  »Bien, voyons donc ». J’étais fraîchement sortie du système d’enseignement de la médecine à Ottawa et j’avais principalement travaillé à Montfort, mais aussi au CHEO (Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario), à l’Hôpital général qui était jadis associé au Campus civique de l’Hôpital d’Ottawa. C’était absolument inconcevable de penser qu’il y avait un moyen de former des étudiants en français (…) J’étais particulièrement consciente de la menace de l’anglais qui pesait sur nous, les Franco-Ontariens.

Ce ne sont pas toutes les jeunes docteures tout juste sorties de l’école qui auraient ainsi pris la parole publiquement. Craigniez-vous pour la suite de votre carrière en faisant cela?

Pas du tout. Je n’avais aucunement peur, car je savais que j’avais raison. J’ai toujours eu la force de mes convictions et j’ai toujours été prête à prendre des risques pour des choses qui me tiennent à cœur et c’était quelque chose qui me tenait à cœur. Je ne sentais aucune menace et je n’avais jamais senti que c’était un risque pour ma carrière. Je n’ai aucun regret encore aujourd’hui.

Étiez-vous présent lors du grand rassemblement du 22 mars 1997 au Centre municipal d’Ottawa?

J’étais membre de l’équipe médicale s’il y avait une urgence, donc je travaillais si on veut. C’était complètement euphorisant. De voir les autobus arriver avec les gens, c’était complètement irréel, on ne s’attendait pas à ça. De voir le centre municipal se remplir ce jour-là me donnait les larmes aux yeux… Je n’étais pas dans le comité, mais à chaque fois qu’il y avait une manifestation, j’étais là avec mon drapeau.

La Dre Lockman a vécu les événements de 1997 au plus près. Gracieuseté

Vous travailliez au même moment où la cause était portée devant la Cour et sur la scène publique. Les patients vous en parlaient-ils beaucoup?

Au tout début, oui, mais une fois que l’équipe avait été montée pour aller s’obstiner à Queen’s Park, disons que non, car on laissait ça entre les mains de Ronald Caza et sa bande. La vie continuait, on avait du boulot à faire. J’étais très présente à l’hôpital, car j’étais impliquée dans divers départements, en plus de ma pratique à Embrun, alors ça roulait. Ça n’avait rien changé… Je crois que les gens appréciaient qu’on se batte et on l’entendait particulièrement dans Prescott Russell, qui était très francophone à l’époque.

Le 7 décembre 2001, la Cour d’appel de l’Ontario donnait raison à la cause de Montfort. Quelle a été votre réaction ce jour-là?

Je m’en souviens certainement. La bataille avait été gagnée, mais il y a toujours un petit quelque chose qui faisait en sorte qu’on ne pouvait pas pleurer de joie, car on savait que c’est toujours à recommencer en tant que minorité linguistique. C’était excitant, mais en même temps on se rendait compte qu’on était vulnérable et on se demandait quelle serait la prochaine insulte au peuple. Donc oui, c’était super excitant et c’était un soulagement, car ça faisait plusieurs années que ça trainait, mais il y avait un petit côté craintif.

Vous avez dit que l’annonce de la fin de Montfort en 1997 signalait un deuil pour vous. Aviez-vous peur de perdre cette cause?

Quand tu as Ronald Caza dans ton équipe, tu ne peux quasiment pas douter d’une défaite. Il avait toute une équipe à l’époque avec lui, notamment Michel Gratton, qui était tout un stratège, et Gérald Savoie. C’est dans ma nature, j’ai toujours eu confiance. Je me disais qu’avec l’équipe qu’il y avait, si on ne réussissait pas à gagner, ça serait fini pour de bon et ça n’a jamais été une option que tout soit fini pour de bon (…) Au début, on parlait de faire de Montfort une clinique externe. Ce n’était donc absolument pas une victoire tant qu’on n’avait pas récupéré tous nos acquis.

La docteure Julie Lockman
Pour la docteure Julie Lockman, il est important de garder en mémoire cette crise. Gracieuseté

Vous avez aussi votre propre cabinet de pratique privée à Embrun, mais êtes-vous encore investie dans les activités de l’Hôpital Montfort?

Je suis encore membre associée. J’ai continué à faire de l’obstétrique jusqu’à il y a deux ans passés, donc j’ai accouché des enfants pendant 24 ans et après ça, la pandémie s’est déclarée. J’ai alors travaillé à la clinique COVID-19 de Montfort. Donc oui, suis restée fidèle à mes premiers amours.

Entretenez-vous l’espoir que la cause de Montfort ne tombe pas dans l’oubli pour les futures générations?

Je l’espère ardemment. Je pense que c’est important qu’on garde ces souvenirs-là dans notre imaginaire collectif et c’est important que les jeunes sachent ça. Les jeunes vont dire  »Regardez la vieille avec ces histoires d’il y a 25 ans passés », mais je vais continuer à le marteler et c’est ultra important là. C’est sûr, je le souhaite. »

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LES DATES-CLÉS DE JULIE LOCKMAN :

1968 : Naissance à l’Hôpital Montfort (Ottawa)

1993 : Début de son stage à l’Hôpital Montfort

1996 : Création de sa clinique de pratique privée à Embrun

1996 : Devient médecin de famille à l’Hôpital Montfort

1998 : Devient présidente du conseil des médecins de l’hôpital

2022 : 25 ans de la crise SOS Montfort

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.