De meilleures méthodes d’apprentissage en français avec Alice Fomen

Alice Fomen est conceptrice pédagogique en Ontario français. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

TORONTO – Alice Fomen a fondé en 2017 l’Alliance pour une communauté éducative inclusive (ACEI), un organisme qui regroupe des enseignants issus de la minorité ethnoculturelle en Ontario. Aujourd’hui conceptrice pédagogique chez Seeva Éducation, elle mise tout sur l’éducation en français. Avocate de l’apprentissage et de la formation, elle fait partie des quelques conceptrices pédagogiques francophones en Ontario.

« Qu’est-ce qui vous a fait prendre conscience qu’il y avait un besoin en français dans la conception pédagogique?

En 2010, j’ai commencé dans un conseil scolaire de langue française de la région de Toronto. À cette époque, on allait chercher des ressources en France, en Belgique, en Suisse et dans d’autres pays francophones. Je me rappelle du site internet pepit.be. Je disais à mes élèves de se renseigner sur pepit.be, d’aller chercher des exercices éducatifs là-dessus alors que c’était une ressource belge. C’était il y a treize ans et on a bien évolué depuis. C’est dans ce contexte que j’ai imaginé des concepts et des ressources. Je trouvais l’accès aux ressources locales quelque peu difficile. Aujourd’hui et surtout avec la contrainte d’apprentissage en ligne depuis la pandémie, cet aspect s’est nettement amélioré.

Nous avons de plus en plus de ressources en français, mais dans le monde de la conception pédagogique en français, nous ne sommes pas très nombreux en Ontario. J’ai d’ailleurs enseigné dans un centre de formation francophone à Oshawa, pour les personnes qui veulent devenir coach ou consultant. Mon cours consistait à aider les consultants à vendre leur propre formation en ligne. Ils m’ont ensuite invitée à être marraine de la première promotion, ça a été une superbe expérience.

Quelles sont vos priorités dans l’élaboration de ses outils pédagogiques?

D’abord, je voulais créer des ressources pour les élèves. De fil en aiguille avec la pandémie, j’ai reçu des demandes pour les parents qui voulaient s’outiller. Mais en 2020, quand j’ai fondé mon entreprise Seeva Education, je voulais d’abord créer un maximum d’outils pour les élèves et surtout des ressources inclusives où ils se sentent représentés. Des ressources pour motiver l’apprentissage auprès de divers profils d’apprenant.

Alice Fomen a débuté en éducation en 2010 comme aide-enseignante à l’École élémentaire catholique Sacré-Coeur de Toronto. Gracieuseté

Votre travail consiste à redéfinir et à transformer l’apprentissage : dans quel contexte faisons-nous appel à vos services?

Je travaille avec des conseils scolaires francophones, mais aussi des organisations à but non lucratif (OBNL) qui se trouvent parfois même en dehors de l’Ontario, comme au Québec. Plusieurs organismes francophones désirent du matériel d’apprentissage, mais aussi des individus tels que les parents.

J’ai la charge d’élaborer des expériences d’apprentissage ou des formations par exemple, mais aussi des tâches d’évaluation, car les enseignants ont besoin de savoir si les élèves ont compris. L’idée, c’est d’avoir toutes les sortes de technologies et mécanismes pour apprendre et valider l’apprentissage.

Depuis votre entrée dans le système éducatif francophone en Ontario, qu’avez-vous constaté à propos des forces des écoles, de leurs outils?

Comme forces, je parlerais de l’accès à une éducation de qualité en français. Je pense que de nombreux services ont été développés pour que les élèves puissent bénéficier d’une diversité d’activités scolaires et parascolaires en français. Puis, je pense aux programmes d’accompagnement pour les enseignants francophones comme les stages de l’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF). J’ai été stagiaire de l’ACELF en 2019 et je peux vous assurer que cette expérience transforme réellement la pratique des enseignants francophones. Les programmes permettent de préserver le français, de promouvoir les cultures francophones.

Et quelles seraient les faiblesses du système a contrario?

L’un des défis majeurs de l’éducation en français est la tendance des élèves à penser que « le français, c’est juste à l’école ». Dans les couloirs des écoles, dans les cours de récréation, on entend beaucoup l’anglais. C’est donc un défi de taille – et qui n’est pas près de changer, car nous évoluons dans un milieu linguistique minoritaire – pour les enseignants qui doivent faire preuve de beaucoup de créativité au quotidien pour proposer des activités engageantes à leurs élèves afin de les inciter à parler en français tant à l’école qu’e hors de l’école qu’en dehors.

C’est un travail de veille constante que vous effectuez. En quoi est-ce important de faire évoluer les outils pédagogiques en français selon vous?

On est dans une logique de préservation de la langue. Lorsque je veux concevoir des ressources pour guider les parents afin qu’ils comprennent le système scolaire de langue française, c’est qu’à la moindre incompréhension, ils vont chez les anglophones. Si nous n’offrons pas assez de ressources chez les francophones, ils vont chez les anglophones.

Là encore, les enfants évoluent à l’ère numérique. Il faut donc des outils hautement engageants et interactifs. Depuis 2016, mon défi, a été de créer des expériences d’apprentissage captivantes et de mieux comprendre l’intelligence artificielle ou la réalité augmentée par exemple. En somme, d’intégrer la technologie.

Qu’est-ce qui vous plaît dans la stratégie pédagogique?

Je suis quelqu’un qui s’ennuie très rapidement! J’aime les défis et chercher de nouvelles pistes pour engager les élèves.

Avec la pénurie d’enseignants francophones en Ontario, les outils numériques peuvent-ils devenir un substitut?

Les outils numériques ne peuvent pas être un substitut. Il faut s’appuyer sur les superpouvoirs des enseignants. Si un enseignant donne la technologie à l’élève et que celui-ci doit se débrouiller, on n’y arrivera pas. C’est en fonction de l’outil qu’on utilise et des objectifs d’apprentissages que les ressources numériques seront utiles.

La conceptrice pédagogique a fondé son entreprise Seeva Éducation en 2020. Gracieuseté

Les francophones sont-ils à la pointe dans ce type d’enseignement?

Oui, je le crois, même s’il y a plus de concepteurs anglophones. Il y a plusieurs organes rattachés au ministère de l’Éducation qui se chargent de créer ces outils, tels que (le diffuseur public francophone) TFO, le Centre francophone ou encore le Consortium d’apprentissage virtuel de langue française de l’Ontario (CALVFO).

En travaillant sur un projet avec TFO, j’ai constaté qu’il y avait un énorme potentiel et que le domaine de la formation attire de plus en plus de monde. Les coachs et les entrepreneurs ont du talent. Il y a énormément d’expertise. Les écoles francophones grandissent et s’implantent ici et là.

En quoi pouvons-nous appuyer l’inclusion et la diversité dans les classes? Par la technologie peut-être?

La technologie n’est pas la solution à l’inclusion, mais on peut s’appuyer dessus pour mieux inclure. Par exemple, les élèves qui ont des difficultés d’apprentissage. On va utiliser des outils de transcriptions pour un élève qui n’est pas scripteur. Je pense par contre qu’il y a un gros enjeu dans la représentativité du personnel enseignant. La diversité dans les écoles ne doit pas seulement se voir chez les élèves, mais aussi se refléter dans la population enseignante.

Comment, d’après vous, le système éducatif doit intégrer la diversité des populations enseignantes?

La réalité, c’est que beaucoup d’enseignants francophones viennent de pays d’Afrique et cela va croître. Lorsqu’on parle d’avenir du français, on parle souvent de ces pays de l’Afrique francophone. Maintenant, je pense que les formations à l’enseignement et les facultés doivent accompagner les enseignants et les conseils scolaires en donnant des stratégies pour mieux inclure la diversité qu’ils voient chez eux.

En situation de pénurie, nous devons nous assurer que les enseignants soient bien formés et outillés pour aller dans les salles de classe. Les enseignants issus de l’immigration apportent une grande richesse en termes de culture et de philosophie éducative. Au Canada, on est dans une logique socioconstructiviste, mais les enseignants qui arrivent ont beaucoup à offrir. 

En 2017, Alice Fomen lance l’ACEI, pour bâtir un système scolaire plus équitable et plus inclusif. Gracieuseté

Vous terminez actuellement un doctorat en technologie éducative. Quel est le sujet de vos recherches?

Je travaille sur une thèse depuis cinq ans et j’essaie de comprendre comment on accompagne un enseignant qui vient d’un environnement, d’un contexte où il y a une fracture numérique, comment on l’accompagne à mieux exploiter la technologie.

Pour mon cas, j’ai découvert l’ordinateur à l’université. J’ai dû apprendre parce que je sortais d’un contexte où je n’avais pas forcément accès en permanence à ces outils. Avec ma casquette communautaire et au sein de l’ACEI, j’ai essayé, auprès des enseignants, de démystifier la technologie.

Dans quels autres projets vous impliquez-vous?

Actuellement à l’ACEI, on réalise un projet de recherche qui vise à comprendre quels sont les défis des enseignants immigrants francophones qui exercent dans des écoles FLS (français langue seconde). Enseigner le français à des francophones, c’est différent de l’enseigner à des personnes qui ont le français comme seconde langue. On s’intéresse aux enseignants en école d’immersion et le but est de développer des outils pédagogiques pour ces enseignants spécifiquement.

Les enseignants en école d’immersion sont isolés même en termes d’accès aux ressources. » 


LES DATES-CLÉS D’ALICE FOMEN :

1985 : Naissance à Dschang au Cameroun

2010 : Début de carrière dans l’éducation à l’École élémentaire catholique Sacré-Coeur de Toronto

2017 : Lancement officiel de l’Alliance pour une communauté éducative inclusive (ACEI)

2020 : Obtention du statut de membre agréé de l’Association canadienne des concepteurs et des conceptrices pédagogiques

2021 : Nommée marraine de la première promotion des consultants du CFCI (Centre de formation et de coopération internationale, Oshawa)

2022 : Ouverture du premier bureau de Seeva Éducation à Mississauga

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.