Franco-Torontoise d’origine, Abigail Alves Murta sait à quel point il est difficile de maintenir son français dans un milieu anglophone. Si c’est un défi pour les francophones, qu’en est-il des anglophones qui souhaitent devenir bilingues et réussir à maîtriser la langue de Molière ? À travers les expériences de quatre anciens élèves d’immersion française, on se demande si c’est vraiment possible de passer de zéro à bilingue lorsque l’anglais s’infiltre de partout.
Avec Mimi Scowen, Eleanor Dennis, Yamari Martin-Halsall, Luke Gagliardi, Chantal Bourbonnais, Matthew Hayday, Liam O’mara et Sylvie Roy.
Merci à CTV News / Bell Media et Société Radio-Canada pour l’utilisation de leurs archives sonores.
Transcription audio
PRÉSENTATEUR :
J’en perds mes mots.
Un balado d’ONFR+.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
S’adressant au public de l’émission
En anglais, ça s’entend tout de suite que j’ai un accent français. Dans les soirées, c’est toujours le même scénario.
Une ambiance de fête se fait entendre, avec un extrait de conversation.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
Hey. Nice to meet you.
HOMME :
Oh, are you French ?
L’extrait prend fin.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
S’adressant au public de l’émission
La première chose qu’on me dit, c’est : « Hein, tu parles français ? » Puis chaque fois que je leur renvoie la question : « Toi, tu parles français ? », j’ai la même réponse.
Un autre extrait de conversation est présenté.
HOMME :
Avec un accent anglophone
Un petit peu.
Not really. I learned it, but
I don’t really speak it anymore.
L’extrait prend fin.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
S’adressant au public de l’émission
Classique. Et assez normal quand tu vis dans une ville anglophone. Mais ce qui me frappe le plus, c’est que parmi ces gens que je rencontre, bien, il y en a beaucoup qui ont passé presque toute leur scolarité
en immersion française. Je m’appelle Aimé Majeau Beauchamp et dans l’épisode d’aujourd’hui, ma collègue…
ABIGAIL ALVES MURTA :
Abigail Alves Murta.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
… fait enquête sur ces écoles si prisées au Canada anglais.
De la musique joue, puis elle est remplacée par des rumeurs de ville. ABIGAIL ALVES MURTA s’adresse à des finissants d’écoles d’immersion en entrevue.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Oui, c’est bon ? Je peux commencer ? Super. OK. Donc, salut, tout le monde. Bonsoir. Alors, je suis super contente de vous accueillir chez moi aujourd’hui…
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Quand je pense à la langue française, je pense à sa prose sophistiquée, comme celles de Voltaire, Camus, Proust, Saint-Exupéry. Vous voyez ce que je veux dire. Une langue si impeccablement construite qu’elle donne envie à tous ceux qui la croisent de l’incarner. Bref, ça donne envie de parler le bon français, l’affranchir sans faire de fautes.
Des finissants d’écoles d’immersion, YAMARI MARTIN-HALSALL, LUKE GAGLIARDI, MIMI COWEN et ELEANOR DENNIS, témoignent.
ELEANOR DENNIS :
Moi, j’ai une mauvaise habitude de mélanger l’anglais et le français parce que… Alors, à McGill, par exemple, comme, j’avais une mauvaise habitude : commencer en français et puis terminer en anglais ou l’inverse.
YAMARI MARTIN-HALSALL :
À mon emploi, on utilise le français. Je travaille dans un centre d’appel. Alors, il y a des fois que j’oublie un mot ou il y a comme des problèmes de vocabulaire qui sont, comme, très précis. Mais aussi, subjonctif, il y a des fois que… Oh mon Dieu !
MIMI COWEN :
Je me souviens même pas c’est quoi, le subjonctif. Alors, j’ai beaucoup de troubles à écrire en français et la conjugaison, mais aussi le vocabulaire. J’oublie beaucoup de
mots qu’on a… learned.
Elle rit.
MIMI COWEN :
Je sais même pas le mot pour learned.
LUKE GAGLIARDI :
Les fautes pour moi, c’est comme…all of them.
Il rit.
LUKE GAGLIARDI :
Je suis trop de temps sans pratique et… La grammaire était toujours une…
Il pousse un soupir de frustration.
LUKE GAGLIARDI :
What’s the French word
for « nightmare » ?
ABIGAIL rit.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Cauchemar.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Ici, au Canada, un pays officiellement bilingue, les anglophones qui le souhaitent peuvent apprendre le français à l’école. Et pour eux, ce qui est encore plus impressionnant, c’est quelqu’un qui maîtrise le français autant que l’anglais.
Un extrait de discours de PIERRE ELLIOT TRUDEAU est présenté.
PIERRE ELLIOT TRUDEAU :
J’en appelle solennellement à tous les Canadiens des autres provinces…
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Pour les Canadiens anglais, s’il y a une personne qui représente cette maîtrise de ces deux langues, c’est Pierre Elliot Trudeau. Eh oui, notre ancien premier ministre est bilingue par excellence.
Le discours continue.
PIERRE ELLIOT TRUDEAU :
Nous voulons du changement. Nous mettons nos sièges en jeu pour avoir du changement.
Des acclamations se font entendre, puis l’extrait prend fin.
La rumeur d’une cour d’école se fait entendre.
ABIGAIL ALVES MURTA :
S’adressant au public de l’émission
Il y a différentes façons d’apprendre le français à l’école. Il y a les programmes de base de français, comme « Core French », les programmes intensifs « Extended French », et bien sûr, le célèbre programme d’immersion en français, « French Immersion ».
Une cloche d’école retentit.
ABIGAIL ALVES MURTA :
S’adressant au public de l’émission
C’est un programme recherché par des milliers de parents anglophones à travers le Canada. C’est vu comme le Saint-Graal, l’outil suprême vers lequel ils se tournent dans l’espoir de rendre leurs enfants bilingues. Mais acquérir, voire maîtriser le français au Canada anglais, ça comporte son lot de défis.
ABIGAIL poursuit son entrevue avec les finissants.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Et puis, quand vous étiez en cours, dans les couloirs, en salle de classe, est-ce que vous parliez entre vous en français ?
TOUS :
Jamais.
ELEANOR DENNIS :
Non, jamais.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Les gens que vous entendez, c’est des diplômés d’écoles d’immersion en Ontario. J’accueille Mimi Scowen, Eleanor Dennis, Yamari Martin-Halsall et Luke Gagliardi dans ma cour arrière à Etobicoke. Luke et Yamari ont passé 12 ans dans le programme, 6 dans le cas de Mimi et Eleanor. Comme eux, j’ai passé toute ma scolarité en milieu minoritaire francophone. Ma langue maternelle vient de mon père français, mais aussi des écoles de langue française de Toronto. Et bien que ces écoles françaises soient différentes des écoles d’immersion, l’anglais finit toujours par s’infiltrer. Dans nos salles de classe, les corridors, pendant la récréation, et même dans nos pensées. Mais même si j’y ai jamais mis les pieds, la réalité des élèves d’immersion n’est pas si loin de la mienne, parce qu’en milieu minoritaire, dès qu’on sort de l’école, tout est en anglais, ou presque. C’est pourquoi je trouve le terme « immersion » un peu fort. Après tout, le mot « immersion », ça signifie le fait de plonger dans un milieu particulier, d’être entouré par ce milieu, non ? Et pour être franche, j’ai toujours eu l’impression que la majorité des finissants d’immersion ont de la difficulté à s’exprimer en français. À travers ce balado, je veux comprendre le système d’immersion. Je veux mettre la lumière sur ce système tant prisé au Canada anglais. Est-ce qu’il mène vraiment les jeunes Canadiens de zéro à bilingues ? Lorsqu’on parle des difficultés du système d’immersion, la première chose qu’on entend, c’est qu’il n’y a pas assez d’enseignants francophones pour la demande, que la pénurie serait au coeur du problème. Depuis des années au Canada, il n’y a simplement pas assez de profs qui peuvent enseigner en français. Et pourtant, dans les cinq dernières années, il y a une croissance fulgurante de demandes d’admission.
Une cloche d’école retentit.
ABIGAIL ALVES MURTA :
S’adressant au public de l’émission
Par contre, cette pénurie ne touche pas seulement l’immersion, mais toutes les écoles qui offrent des cours en français. Les raisons sont nombreuses. Mais en ce qui concerne l’immersion, la principale, c’est qu’il y a peu de gens qui choisissent cette carrière. Pour comprendre l’impact de cette pénurie, j’ai rencontré Chantal Bourbonnais. Elle est directrice générale de l’Association des professeurs d’immersion française au Canada.
CHANTAL BOURBONNAIS s’exprime en entrevue.
CHANTAL BOURBONNAIS :
C’est certain que la pénurie d’enseignants vient pas nous aider. Parce que, quand on a une pénurie, bien, ce qui arrive, c’est qu’on va dire : « Ah, bien, toi, t’as fait l’immersion, tu parles un peu français », donc on va te dire, bien : « viens enseigner en immersion », sans donner les outils nécessaires à l’enseignant pour bien réussir. Donc, c’est certain qu’on se retrouve avec des gens qui sont peut-être par assez qualifiés pour le faire.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Pourtant, ça n’a pas toujours été le cas. Parce que c’est au Québec qu’a été créé le système d’immersion française. Eh oui, en plein bassin francophone. J’ai remonté plusieurs décennies dans les pages de l’histoire canadienne avec Matthew Hayday, historien canadien et spécialiste en études de langues officielles. Il m’explique que le programme voit le jour à l’époque de la Révolution tranquille au Québec.
MATTHEW HAYDAY s’exprime en entrevue.
MATTHEW HAYDAY :
Le système d’immersion, ça a ses origines pendant les années 60 et c’est une période de bien des conflits au Canada, bien des questions sur l’unité nationale. Les francophones au Québec prennent le pouvoir. Le slogan du parti libéral était « Maîtres chez nous ». C’est pour renverser toute cette histoire de domination par la minorité anglophone. Et au Québec, à l’époque, il y avait l’idée que peut-être, pour une population anglophone minoritaire, il faut qu’elle soit capable de communiquer en français aussi. Et donc, on a eu l’idée d’avoir un projet pilote où on introduit un programme où la langue d’enseignement sera le français, mais les étudiants ont l’anglais comme langue maternelle.
AIMÉ et ABIGAIL discutent ensemble.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
Bonjour, Abigail.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Salut, Aimé.
Alors, si je comprends bien, la première école d’immersion, c’était seulement aux élèves anglophones du Québec qu’elle était destinée ?
ABIGAIL ALVES MURTA :
Acquiesçant
Hum-hum. Oui. Alors, pour être plus précise, c’était aux élèves anglophones de la ville de Saint-Lambert au sud de Montréal. L’école avait été créée en 1965 par Olga Melikoff, Valerie Neale et Murielle Parkes, et celles que l’on surnomme aujourd’hui comme les mères fondatrices du système d’immersion.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
Puis, qu’est-ce qui était différent dans cette école-là qu’il n’y avait pas dans les autres écoles de l’époque ?
ABIGAIL ALVES MURTA :
Alors, c’était une approche plus immersive de l’enseignement. C’est-à-dire que ses élèves, ils ne se faisaient adresser qu’en français par les enseignants et les enseignantes, soit en cours ou à l’extérieur pendant leur récréation. Et j’ai justement réussi à trouver une archive de cette époque.
Un extrait d’archive est présenté. Une cloche d’école retentit.
JOURNALISTE :
Depuis quand, tu apprends le français, toi ?
GARÇON :
Hum… depuis quand je suis à 5 ans.
JOURNALISTE :
Depuis que tu as 5 ans. Quel âge as-tu maintenant ?
GARÇON :
8 ans.
JOURNALISTE :
Est-ce que tu aimerais mieux aller à l’école anglaise ?
GARÇON :
Non.
JOURNALISTE :
Qu’est-ce que ça te fait, toi, de venir à l’école et d’apprendre tout en français ? Aimes-tu ça ?
GARÇON :
Oui.
JOURNALISTE :
Pourquoi tu penses que tu aimes ça ?
GARÇON :
Parce que je veux apprendre un autre langage.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
L’école Saint-Lambert, pour plusieurs familles de l’époque, c’est devenu le paradis qui, enfin, permettrait aux anglophones de devenir bilingues. Les enseignants ne venaient pas juste du Québec, mais de partout dans la francophonie.
C’est un moment tournant pour l’éducation canadienne. Et soudainement, le reste du pays veut en faire partie.
MATTHEW HAYDAY poursuit son témoignage.
MATTHEW HAYDAY :
Les résultats étaient très positifs, très encourageants. Et c’est à cause de ça que ça a servi comme le modèle pour d’autres communautés, comme à Ottawa ou à Vancouver qui ont voulu répliquer l’expérience de Saint-Lambert.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Quelques années plus tard, en 1969, le gouvernement fédéral introduit la Loi sur les langues officielles. En gros, ça oblige le gouvernement fédéral à fournir des services en anglais et en français dans certaines régions, là où le nombre le justifie. Plusieurs postes exigent dorénavant une connaissance des deux langues officielles. Et pour beaucoup de Canadiens, ça donne l’impression que pour avoir un bon travail payant au niveau fédéral, il faut être bilingue. Les parents voient tout de suite les bénéfices d’envoyer leurs enfants dans les écoles d’immersion. Non seulement ça ouvre des portes, mais en plus, des études démontrent les bienfaits d’apprendre une deuxième langue sur le plan social et psychologique. Mais il y a une autre motivation qui perdure depuis plusieurs décennies.
MATTHEW HAYDAY poursuit son témoignage.
MATTHEW HAYDAY :
À part de tous les autres bénéfices d’apprendre une deuxième langue, il y avait des gens qui disaient : « Ah, c’est un moyen d’avoir un peu l’expérience d’une école privée pour nos enfants, de les mettre dans un programme spécial ». Il y a ce discours élitiste qui n’a pas été promu par… les gens qui dirigent les écoles. Mais ça circule parmi les parents.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Il y avait cette impression parmi les parents que l’enseignement dans les classes d’immersion était meilleur que celui du programme régulier.
MATTHEW HAYDAY poursuit son témoignage.
MATTHEW HAYDAY :
Dans la plupart des provinces, on ne fournit pas de soutien pour les jeunes élèves ayant des difficultés d’apprentissage. Et il y a un système qui n’est pas officiel, mais qui existe, qui dirige tout enfant ayant des difficultés d’apprentissage, même si ça n’est pas lié avec la langue. On les dirige tous dans le programme régulier anglophone. Donc, le système de l’immersion française est perçu comme un programme avec tous les meilleurs élèves n’ayant pas de difficultés avec l’apprentissage. Même si le gouvernement de l’Ontario a introduit une politique qui dit : « Non, il faut fournir tout le soutien possible dans les programmes d’immersion », ça reste encore une des raisons pour lesquelles les parents envoient leurs enfants aux écoles d’immersion. Ce n’est pas pour dire qu’ils ne veulent pas que leurs enfants deviennent bilingues, mais ce n’est pas la seule motivation.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Rapidement, tout le monde veut envoyer son enfant en immersion. Et résultat : le système devient le plus recherché au pays. Aujourd’hui, il y a environ 460 000 élèves en immersion au Canada et l’offre ne répond toujours pas à la demande.
Un extrait de reportage en anglais est présenté.
JOURNALISTE :
Nanaimo parents hoping to enroll their children in early French immersion in September spent the weekend camping out in the cold.
PÈRE :
According to the list, we are sitting at number 5. So, as long as we don’t leave the parking lot, we hold our spot at number 5.
JOURNALISTE :
At L’école Hammond Bay, just 17 spots are open in the French immersion kindergarten class, meaning the first…
AIMÉ et ABIGAIL discutent ensemble.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
Ce qu’on entend, c’est des parents qui font la file la nuit dehors en plein hiver pour s’assurer que leurs enfants aient une place dans ces écoles d’immersion ?
ABIGAIL ALVES MURTA :
Eh oui, ils font beaucoup de sacrifices pour mettre leurs enfants dans ces écoles. Dans ce reportage, on entend que les files sont de plus en plus longues.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
Donc, c’est vraiment premier arrivé, premier servi et tant pis si on n’a pas de place ?
ABIGAIL ALVES MURTA :
Bien, oui et non. Pour contrer les problèmes d’équité, éviter que les parents aient à attendre en file, certains conseils scolaires ont décidé d’adapter un système de loterie. Mais il n’y a pas de garantie qu’un parent ait l’école de son choix. Donc, ça peut vouloir dire que ces enfants, ils auront à faire plusieurs heures d’autobus par jour pour se rendre à leur école.
MATTHEW HAYDAY poursuit son témoignage.
MATTHEW HAYDAY :
Il y avait des loteries qui datent d’au moins jusqu’aux années 80. Et je crois qu’elles existaient avant les années 70. Il n’y avait jamais assez d’espace dans les programmes pour le nombre de parents qui voulaient inscrire leurs enfants dans les programmes.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
À l’époque, Canadien Parents for French avaient identifié les enjeux de sa popularité croissante. CPF, c’est l’association qui fait la promotion des programmes d’immersion au Canada. Ils sont un peu comme les chiens de garde, les défenseurs du bilinguisme et des écoles d’immersion.
MATTHEW HAYDAY poursuit son témoignage.
MATTHEW HAYDAY :
Pour les organismes comme Canadian Parents for French qui étaient, dès 1977, un organisme au niveau national, provincial, local, pour les parents qui veulent ce programme, le défi, c’est qu’il n’y a jamais assez d’espace dans les programmes pour tous les parents. Et donc, les systèmes de loterie existent en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick, dans les conseils scolaires d’Ontario. Le problème pour les parents, c’est que l’accès à l’enseignement en immersion, ce n’est pas un droit. Ça n’a pas été couvert par la Charte des droits, par la section 23.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Selon l’article 23 de la Charte, les minorités linguistiques ont droit à un enseignement dans leur langue maternelle. Mais on ne donne pas les mêmes garanties aux anglophones qui veulent apprendre le français.
MATTHEW HAYDAY poursuit son témoignage.
MATTHEW HAYDAY :
La plupart des provinces n’ont jamais voulu garantir qu’il y avait de l’espace dans les programmes d’immersion pour chaque parent qui le veulent pour leurs enfants. Les loteries ont existé pendant des décennies à cause de ça. Pas dans tous les districts scolaires, mais on les voit partout pendant 40 années.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
OK. Revenons à l’essence de ces écoles. Ç’a l’air de quoi, une école d’immersion ? Eh bien, en immersion française, le curriculum varie selon la province. Généralement, les élèves reçoivent un enseignement en français dans une variété de matières, comme la géographie, les mathématiques et les sciences. Le programme commence typiquement en première année, mais dans certains conseils scolaires, comme celui de Toronto, les élèves peuvent commencer dès la maternelle. Au niveau primaire, toutes les matières sont enseignées en français, jusqu’à ce qu’on arrive à la quatrième année. Et de là, l’enseignement des cours s’alterne entre le français et l’anglais. Et puis, arrivés au secondaire, les élèves doivent généralement accumuler au moins dix crédits de cours en français pour obtenir le célèbre certificat bilingue.
Une cloche retentit.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Mais l’objectif final reste toujours le même.
CHANTAL BOURBONNAIS poursuit son témoignage.
CHANTAL BOURBONNAIS :
Le but des programmes d’immersion, c’est pas nécessairement d’en faire des locuteurs natifs. Le but, c’est de rendre ces élèves-là fonctionnels au niveau de leur bilinguisme. Alors, ça, c’est le premier but en immersion, c’est de rendre les gens bilingues.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Si le but est de rendre les gens bilingues, comment ça se traduit dans la salle de classe ? J’ai posé cette question aux finissants.
ABIGAIL interroge les finissants en entrevue.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Parmi les écoles que vous avez fréquentées, qu’est-ce que vous avez appris ?
MIMI COWEN :
Les verbes qui sont conjugués avec « être ».
LUKE GAGLIARDI :
Oui, le Bescherelle.
MIMI COWEN :
Le passé composé.
ELEANOR DENNIS :
On a fait un peu aussi l’histoire, bien, de la Nouvelle-France, bien sûr, comme on a fait l’histoire canadienne du point de vue français. On a fait un voyage en huitième année aux Laurentides. Alors, on a fait un peu d’apprentissage sur, comme, les communautés près de là-bas.
YAMARI MARTIN-HALSALL :
Et à mon école, ils ont comme centralisé sur la grammaire, la lecture, l’histoire des Français au Canada. Lycée, c’était comme le monde francophone. Alors, comme l’Afrique et la Martinique.
LUKE GAGLIARDI :
Beaucoup de l’histoire, les coureurs des bois, comme, chaque année, étaient le… Je sais pas pourquoi. Mais, comme, de l’histoire du Québec.
MIMI COWEN :
Pour le français, je pense qu’on a seulement appris le passé composé, le… j’ai oublié le nom, mais le… impar… Non. Imp… Non. Impératif ?
ELEANOR DENNIS :
Imparfait.
MIMI COWEN :
Imparfait ! Et… C’est tout. C’est pas beaucoup d’histoire, par beaucoup de culture.
LUKE GAGLIARDI :
Beaucoup de conjuguer les verbes.
MIMI COWEN :
Beaucoup de dictées. Beaucoup de test de « conjugation ».
Chaque semaine.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Chaque semaine, les dictées, conjugaison et le Bescherelle à répétition. Et pourtant, plusieurs d’entre eux continuent à avoir des difficultés. D’un côté, je les comprends. Bien que ce soit essentiel pour établir la base, mémoriser le Bescherelle, hum, c’est pas toujours la meilleure méthode pour tomber en amour avec une langue. Encore moins pour la parler. Et c’est exactement ce qui est arrivé à Luke. Comme vous l’avez remarqué, Luke est le seul du groupe qui ne parle pratiquement plus le français.
LUKE GAGLIARDI témoigne.
LUKE GAGLIARDI :
When I started becoming a better student in my English courses, it was because I really just
fell in love with literature.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
L’amour qu’il a développé pour la littérature anglaise, il n’a jamais pu la trouver en français.
LUKE poursuit son témoignage.
LUKE GAGLIARDI :
Like, French has some of the most amazing books ever written and we just didn’t… They were never pushed on us. And having read some translations of great French literature, like, I wish I had, you know, the skills to read that in French and enjoy it at the level that I could enjoy it in English.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Luke aurait aimé voir les grands classiques de la littérature française faire partie de ses cours. Mais lorsqu’on pense à des auteurs comme Camus, Victor Hugo ou Maupassant, est-ce qu’on peut s’imaginer des élèves d’immersion apprécier une prose aussi complexe ?
La musique d’une table de Pinball se fait entendre.
HOMME :
Wow !
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Qui de mieux qu’un enseignant pour répondre à cette question ?
Un enseignant, LIAM O’MARA, s’adresse à une classe.
LIAM O’MARA :
Oh ! Qui veut parler de ses loisirs ?
Les élèves rient.
LIAM O’MARA :
Surtout en temps du coronavirus. Qu’est-ce que vous faites pour vous amuser, là ?
ÉLÈVE :
Jouer de la guitare.
LIAM O’MARA :
Jouer de la guitare ! Jouer de la guitare. Est-ce que tu…
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Liam O’Mara est enseignant d’immersion de la dixième et onzième année depuis quatre ans au sein du TDSB, le conseil scolaire public de Toronto. Il parle bien. Et en tant qu’ancien élève d’immersion et du campus Glendon, il est carrément le modèle de réussite de quelqu’un qui a maîtrisé son français en plein environnement anglophone.
LIAM s’exprime en entrevue.
LIAM O’MARA :
Pour ma tâche culminante en onzième de l’immersion, c’est L’étranger d’Albert Camus. Alors, et en fait, au niveau de la langue, je dirais, c’est pas si avancé que ça au niveau de la langue. C’est surtout les idées, la philosophie et tout ça. Et le fait de pouvoir lire, par exemple, un Marc Levy, un Guillaume Musso, même si ce ne sont pas des grands classiques, entre guillemets, c’est quand même vraiment une expérience francophone. Dans le sens qu’on s’assoit avec un bon livre, c’est pas le plus difficile à lire et on s’amuse en lisant. Problème étant : on ne peut pas toujours les acheter, surtout pas pour une classe entière. Toute cette question de présenter des textes actuels, là, qui sont intéressants au niveau culturel, c’est un défi gigantesque d’une question budgétaire.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Même si on les voit souvent comme une alternative aux écoles privées, leur budget est à peu près que le même que les écoles publiques anglophones. Oui, il y a des fonds additionnels pour les programmes de langue seconde. Par exemple, le TDSB reçoit environ 35 millions par année pour l’ensemble de ses programmes de français. Mais cet argent ne va pas nécessairement en priorité à l’achat de nouveaux manuels et livres en français. Au niveau de l’aspect culturel de l’enseignement, le curriculum commence à mettre plus l’accent sur la diversité de la francophonie.
LIAM poursuit son témoignage.
LIAM O’MARA :
Alors, dans mon rôle en tant que chef de département, en fait, c’est un de mes… disons un de mes projets de développer un peu ce côté-là, présenter la francophonie de différentes perspectives. Alors, déjà, c’est bien là dans le curriculum. Mais c’est comment, comment est-ce qu’on présente cela ?
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Aussi, selon une récente étude du TDSB, la majorité des élèves souhaite des cours en français plus collaboratif. Ils veulent du contenu plus engageant, axé sur la communication, afin de développer leurs compétences orales. Les témoignages des finissants que j’ai rencontrés vont dans le même sens.
ABIGAIL poursuit son entrevue avec les finissants.
ELEANOR DENNIS :
Je pense qu’il faut que ce soit, comme, amusant. C’est un peu… Je reprends ce que Luke a dit : il faut qu’on développe un amour pour la langue. Et on le voit comme un outil de communication avec le monde et avec, comme, des groupes divers auxquels on aurait pas nécessairement eu accès si on ne parlait pas français. Je pense que, peut-être, cet élément manque un peu. C’est-à-dire que ça ouvre des portes dans ton boulot, peut-être, bien sûr. Mais aussi, comme, ça ouvre des portes « sociaux » qu’on n’aurait pas… Sociales. Sociaux ? Ça ouvre… Bien, ça ouvre des portes pour pouvoir communiquer avec divers groupes. Et je pense que ça, c’est quelque chose qui n’est pas aussi valorisé que ça aurait dû l’être.
YAMARI MARTIN-HALSALL :
Peut-être comme plus de choix de cours en français. Alors, c’était comme très difficile de pouvoir avoir un vocabulaire très, comme, grand, de différents comme thèmes.
MIMI COWEN :
Je pense que s’il y avait moins de concentration sur les règles, les exceptions dans la grammaire et tout ça, et plus de focus sur les conversations et juste parler et comprendre et juste plus de…
ELEANOR DENNIS :
Liberté ?
MIMI COWEN :
Oui, plus de liberté. Parce que, je pense que la meilleure façon d’apprendre une langue, c’est mieux de parler, pour les enfants, je pense. Si tu… You know, stand debout de ton class et dit : Je vais aller à « un » ferme et le professeur te dit : C’est « une » ferme ! You know. Ce n’est pas… Ça ne foster pas beaucoup de confiance à parler une langue que tu ne parles pas.
LUKE GAGLIARDI :
Like, I’ve studied English extensively and I’m a big fan of slang…
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Luke est un lecteur vorace. Il aurait aimé étudier les différents jargons, les différents dialectes du français à travers la littérature. Mais on n’en faisait jamais mention dans ses cours.
LUKE poursuit son témoignage.
LUKE GAGLIARDI :
That’s going to be with you your whole life and…
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
OK. Donc, l’immersion française n’a pas répondu à toutes leurs attentes, mais leur français en a quand même bénéficié. Sauf peut-être pour Luke. Est-ce que l’immersion est le seul facteur qui a eu un impact sur leur français ? Pas tout à fait.
AIMÉ et ABIGAIL discutent ensemble.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
Comment ça se fait que leur niveau de français est aussi différent, les uns des autres ?
ABIGAIL ALVES MURTA :
Tu sais, je me suis posé cette même question, surtout parce que Luke, par exemple, il a passé 12 ans en immersion, plus que Mimi et Eleanor. Mais encore, il y a certains facteurs à l’extérieur du programme qui ont eu une influence sur leur français. Alors, par exemple Eleanor, elle a passé une année en France à un lycée français à Nice, donc là, elle avait pas le choix de faire l’alternance entre le français et l’anglais. Yamari, aujourd’hui, elle travaille dans un centre d’appel bilingue. Donc, si elle reçoit un appel en français, bien, elle doit, elle est obligée à répondre, à parler en français avec ses clients. Et puis, même aujourd’hui, je dois avouer, j’ai passé six mois en France à Nice et c’est à partir de ce moment d’immersion, cette expérience d’immersion que j’ai pu raffiner les fautes que je faisais auparavant ici, en milieu minoritaire.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
Parce que, pour la première fois, t’avais pas le choix de parler en français.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Exactement.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
La question du bilinguisme me reste en tête. Chantal Bourbonnais de l’Association des professeurs d’immersion m’a dit que l’objectif, c’est pas que les élèves deviennent des locuteurs de première langue, mais qu’ils soient fonctionnels dans leur bilinguisme. J’ai de la difficulté à saisir ce qu’on entend par ça. Est-ce que ça veut dire d’être capable de commander en français au restaurant ou être capable de poursuivre des études postsecondaires dans la langue de Molière ? Qu’est-ce que ça veut dire, alors, d’être bilingue ? Pour clarifier cette notion, j’ai contacté Sylvie Roy, autrice du livre « French Immersion Ideologies in Canada ». Sa vision du bilinguisme est beaucoup plus large.
SYLVIE ROY s’exprime en entrevue.
SYLVIE ROY :
Le bilinguisme est tous ceux qui sont capables de parler français, de lire et d’utiliser la langue, quels que soient… à différents niveaux. Parce que ça va dépendre à quel niveau on l’utilise. Tu peux avoir quelqu’un qui est bilingue qui fait seulement des appels au centre d’appel avec un script. Tu peux avoir quelqu’un de bilingue qui lit le français, qui écrit, mais qui le parle jamais.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Sylvie est une Québécoise qui vit en Alberta. Aujourd’hui, elle est prof à l’Université de Calgary, mais elle a enseigné en immersion pendant plusieurs années. Dans son livre, elle donne la parole à ceux et celles qui ont étudié en immersion française en Alberta. Dans certaines provinces dans l’Ouest, comme l’Alberta qui possède de petites, mais fortes communautés francophones en plein bassin anglo, le système d’immersion est une source vitale pour le français.
SYLVIE ROY poursuit son témoignage.
SYLVIE ROY :
Le problème avec le français, c’est que, souvent, les locuteurs natifs, ce que je veux dire par là, c’est ceux qui parlent français avec une compétence élevée, vont juger la façon dont les gens utilisent le français, sans penser que la personne est bilingue.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Ces attentes face à la maîtrise d’une deuxième et troisième langue sont courantes. Pour Yamari qui parle trois langues : l’espagnol, l’anglais et le français, ça a même eu un impact sur ses études universitaires. Après son secondaire, elle a décidé de continuer son parcours en français et s’est inscrite en études françaises au campus Glendon de l’Université York.
YAMARI MARTIN-HALSALL s’exprime en entrevue.
YAMARI MARTIN-HALSALL :
Je dirais qu’à cette époque-là, mon français écrit était excellent. J’ai pu, comme, écrire des dissertations, comme 15 pages en français, non ? Mais mon français oral n’était pas… c’était comme plus ou moins là.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Après seulement quelques mois, elle abandonne son bac en études françaises.
YAMARI poursuit son témoignage.
YAMARI MARTIN-HALSALL :
Les professeurs à Glendon, ils étaient très, comme, stricts. Ils avaient comme un style de français comme… commes des « expectatives », un peu… pas « réalistique » pour des étudiants… de Toronto qui ont appris le français au lycée ou dans le… à l’école ou quoi que soit. Non. Alors, c’était, comme… Quand j’ai décidé, très décourageant, alors, j’ai dit : « Bon, peut-être que ce serait mieux… Je pense que je vais m’amuser plus en français si je change mon programme aux études hispaniques. »
SYLVIE ROY poursuit son témoignage.
SYLVIE ROY :
C’est ça. Il faut déconstruire le fait que tout doit être toujours standard : la langue, la façon qu’on parle, mais l’écrit aussi. Il faut toujours que ce soit de cette façon-là qu’on écrit. Combien de personnes à l’université qui sont multilingues qui écrivent différemment qui reçoivent des mauvaises notes parce qu’ils écrivent pas de la même façon que les autres, qu’on devrait s’attendre à l’université.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Comme Yamari, en dehors de l’anglais et du français, je parle également en portugais avec ma mère. À force de faire le switch entre les trois, j’ai parfois l’impression qu’il n’y en a aucune que je maîtrise complètement.
SYLVIE ROY poursuit son témoignage.
SYLVIE ROY :
Quand on est bilingue, on utilise soit le français ou l’anglais ou n’importe quelle langue, mais on est souvent jugé sur notre français comme si on était monolingue. Mais on l’est pas quand on est bilingue. Dès qu’on apprend une autre langue, là, c’est sûr qu’on va faire de l’alternance de codes, on va faire des transferts.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Comme la plupart de mes amis, j’ai choisi une université anglophone après mon secondaire. J’ai commencé à passer moins de temps à parler en français et je me suis vite rendue compte que de garder mon niveau de français, ce serait plus laborieux que ce que je pensais. Je commençais à penser en anglais, à mélanger mes structures de phrases et ça se voyait dans mon écriture et ma syntaxe. Je disais « lui » à la place de « leur ». Je disais « dont » à la place de dire « lequel » ou « duquel », et pour être honnête, j’ai un peu honte de le dire, mais je fais encore ces fautes-là aujourd’hui.
SYLVIE ROY poursuit son témoignage.
SYLVIE ROY :
Pour ceux qui vont avoir des expériences à l’extérieur pour pratiquer, surtout aller pratiquer dans des communautés francophones ou en France, ou ailleurs, mais il faudrait leur laisser aussi la chance de le faire. Parce qu’il y a personne qui va parler et écrire parfaitement. Il y en a, mais c’est pas la majorité.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Et du coup, comme ça, elle me pose la question qui déclenche mes propres insécurités.
SYLVIE ROY interroge ABIGAIL.
SYLVIE ROY :
Si je vous demande, vous, est-ce que vous pensez que vous êtes bilingue ?
AIMÉ interroge à son tour ABIGAIL.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
Alors, Abi, est-ce que t’es bilingue ?
ABIGAIL ALVES MURTA :
Euh, je suis définitivement bilingue. C’est ma langue maternelle. Mais voilà, je ressens ce sentiment d’imposteur parfois parce que, voilà, je ne suis simplement pas parfaite. Et surtout parce que c’est une langue maternelle à moi. C’est la première langue que j’ai parlée. Mon père, il m’a parlé en français à ma naissance ici à Toronto. Mais encore, je regarde autour de moi, mes collègues à TFO, ils sont de la France, du Québec ou d’autres régions majoritairement francophones. Donc, je cherche mes mots parfois, mon écriture n’est pas toujours parfaite. Je fais des fautes de grammaire. Ça rajoute à cette comparaison. Ça rajoute à l’insécurité linguistique que j’ai aujourd’hui.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Quel rôle joue ce sentiment d’imposteur, d’insécurité qu’on ressent quand on vit en milieu minoritaire ? Dans le cas de Yamari, est-ce que c’était vraiment le collège Glendon qui la considérait comme mauvaise élève, ou est-ce que c’était plutôt qu’elle avait des attentes trop élevées par rapport à son français ? C’est difficile de trouver réponse à ces questions. Par contre, Yamari n’est pas la seule qui a vécu des difficultés à passer du programme d’immersion à Glendon. Liam, lui, y a poursuivi ses études malgré tout. Et aujourd’hui, il admet que cette épreuve l’a aidé à solidifier son français.
LIAM O’MARA témoigne.
LIAM O’MARA :
Mon français, vraiment, je le dois au programme de l’immersion et à Glendon.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
D’un autre côté, il appuie les propos de Yamari.
LIAM poursuit son témoignage.
LIAM O’MARA :
C’est dommage qu’elle n’ait pas continué après la première année, mais pour nous qui l’avons fait, c’était vraiment décourageant parfois. Notre grammaire n’était pas parfaite. On faisait des fautes. On les fait encore. Mais le fait que… Et les profs savaient que nous ne sommes pas francophones. On est là pour apprendre le français, pour améliorer notre français. Oui, il est possible d’avoir des attentes élevées, dans le sens qu’on veut qu’ils essaient fort et qu’ils pratiquent et qu’ils s’améliorent finalement. Mais faire des petits commentaires sur leur accent, par exemple, ou leur corriger à chaque fois… les corriger à chaque fois qu’ils font une petite faute, comme je viens de le faire, là, avec l’objet direct indirect. Ça ne sert pas à grand-chose finalement parce qu’on en est conscient. Mais finalement, on arrive à se faire comprendre.
SYLVIE ROY poursuit son témoignage.
SYLVIE ROY :
Mais si on n’avait pas cette idée que le bilinguisme est toujours d’atteindre le niveau standard, ça aiderait un petit peu les jeunes à comprendre qu’ils sont corrects. Mais je pense que c’est à la société canadienne en général d’être plus ouverte à… Si on veut vraiment que le français, là, vraiment… On aurait beaucoup plus de monde dans la communauté francophone et française si les gens acceptaient tout le monde qui le parle. Vraiment, l’immersion, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est d’entendre le français, l’utiliser, de l’aimer, de… tous les jours.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Pendant plusieurs années, j’avais l’impression que cette vulnérabilité m’appartenait à moi seule. Quand je repense aux gens qui faisaient partie de ma cohorte au collège français, je peux compter sur mes doigts ceux qui parlent encore français aujourd’hui. Même si je fais partie de ces exceptions, que je travaille aujourd’hui pour TFO, j’ai encore l’habitude de penser que je ne suis pas une vraie francophone. Pour la majorité des finissants du groupe, ils aiment le français et l’utilisent quand ils peuvent. Mais eux, est-ce qu’ils se considèrent vraiment bilingues ?
Les finissants témoignent.
YAMARI MARTIN-HALSALL :
Oui, je parle français.
LUKE GAGLIARDI :
Je pense pas que je suis bilingue à ce moment. Trop de temps que je juste parle anglais, alors… Mais non, j’oublie trop de français.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Mais qu’est-ce que ça veut dire d’être bilingue pour vous alors ?
LUKE GAGLIARDI :
Hum, je pense que tu as besoin d’être confortable à parler, écrire et lire en la « langle »… Se reprenant langue.
Il rit.
LUKE GAGLIARDI :
Alors, you can absorb the culture of the language, I guess. So, if you… you become…
ABIGAIL ALVES MURTA :
Alors, genre, comprendre les blagues. C’est ce que tu veux dire ? Comprendre l’humeur et tout ça. L’humour, pardon.
LUKE GAGLIARDI :
Yeah. Oui.
MIMI COWEN :
Même si je ne suis pas confortable dans la langue tout le temps, en écrire ou en lire ou en écouter, mais je pense que j’ai assez de français que je peux dire que je suis bilingue sur un form gouvernemental, oui.
ABIGAIL s’adresse au public de l’émission.
ABIGAIL ALVES MURTA :
Tout comme Luke, Mimi, Yamari et même Eleanor, je réalise que l’insécurité nous habite tous, indépendamment de notre niveau de français. Les quatre finissants à qui j’ai parlé peuvent être considérés bilingues, ou non, dépendamment à qui on demande. Mais le constat sur lequel ils s’entendent tous, c’est que l’immersion pourrait être tellement plus. Plus de temps pour parler, discuter, s’amuser en français. Après tout, le bilinguisme à la Pierre Elliot Trudeau, ce n’est pas de réciter le verbe avoir au subjonctif, mais d’être capable de se parler, tout simplement.
AIMÉ s’adresse au public de l’émission.
AIMÉ MAJEAU BEAUCHAMP :
Vous venez d’entendre l’épisode « De zéro à bilingue ». Recherches, entrevues et scénarisation :
Abigail Alves Murta.
Réalisation et animation :
Abigail Alves Murta
et Aimé Majeau Beauchamp.
Musique originale :
Mehdi Cayenne.
Mixage : Pierre-Luc Barr.
Production : Gisèle Quenneville.
La série « J’en perds mes mots »
est présentée par ONFR+. Abonnez-vous au balado pour ne pas rater les prochains épisodes. Et je vous dis à bientôt.