Déclin de la francophonie ontarienne : les experts tirent le signal d’alarme

Le formulaire du recensement 2021.
Tous les indicateurs sont en rouge concernant le français en Ontario. Les experts s'inquiètent. Crédit image: ONFR+

Attendus de pied ferme par les Franco-Ontariens, les résultats se rapportant aux langues du recensement de la population de 2021 sont enfin là. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas bons pour cette communauté, à l’image de l’accélération inédite du déclin du français dans la province qui marque une nouvelle ère. Après le choc, l’analyse, place aux spécialistes.

La douche froide! C’est le sentiment qui a prévalu mercredi chez les personnes qui portent de l’intérêt à la chose franco-ontarienne, et ce suite à la publication par Statistique Canada du quatrième jet du recensement 2021 relatif à « La diversité linguistique et l’utilisation de l’anglais et du français au Canada ». 

En effet, les conclusions du rapport sont sans appel, l’Ontario enregistre une baisse de 0,4 point entre 2016 et 2021 s’agissant de la proportion de la population ontarienne ayant le français comme première langue officielle parlée, alors que, pendant ce temps, la population ontarienne a augmenté de 5,8%.

Par ailleurs, cette chute est plus importante que celle enregistrée par le poids démographique des francophones hors Québec qui, lui, n’a diminué que de 0.3 point. De plus, c’est la première fois qu’on observe une diminution de l’effectif de la population franco-ontarienne.

« Mieux » que cela, en passant de 3,8% à 3,4% durant cette période, la province affiche son pire taux sur les cinq derniers recensements, une accélération sujette à toutes les inquiétudes, car ce sont là les derniers remparts de la francophonie ontarienne qui s’effritent.

Pis que prévu

Il est vrai que les experts et acteurs de la francophonie ontarienne prévoyaient un recul de la langue française dans leur province, mais peu ou prou d’entre eux ne se figuraient une telle baisse. À juste titre, car lors du recensement 2016, on a assisté à une décélération de ce déclin de l’ordre de 0,1 point par rapport à 2011.

 « J’ai regardé ces résultats avec beaucoup d’intérêt. Je m’attendais à une baisse qui se poursuit, mais certainement pas de cette ampleur. On assiste là à une accélération sans précédent du phénomène », regrette Jacob Legault-Leclair, doctorant en sociologie à l’Université de Waterloo, spécialisé en statistiques de l’immigration francophone canadienne.

Jacob Legault-Leclair
Jacob Legault-Leclair, doctorant en sociologie à l’Université de Waterloo, spécialisé en statistiques de l’immigration francophone canadienne. Gracieuseté

Même surprise du côté de Marc Termote, professeur associé au département de Démographie à l’Université de Montréal :

« Ô que oui! J’étais très surpris à la lecture de ces résultats. C’est une baisse qu’on a déjà constatée depuis plusieurs recensements, mais je ne m’attendais pas du tout à une telle étendue, surtout que la variable considérée qui est la première langue officielle parlée est calculée d’abord par rapport à la connaissance des langues, ce qui a généralement tendance à surestimer le français. Je crains donc que l’ampleur de ce déclin ne soit encore plus importante. »

Régression géographiquement généralisée

Le constat est global. Que cela soit à l’Est ou au Nord de la province, le français dans toutes les régions réputées pour être des fiefs de la francophonie ontarienne se réduit comme peau de chagrin.

Une généralisation qui trouve tout son symbole dans les plus francophones des municipalités ontariennes au regard de la proportion d’habitants francophones, par exemple, Casselman dans l’Est. Le nombre de personnes déclarant avoir le français comme langue officielle première parlée a plongé de 7,1 points entre 2016 et 2021.

« Il y a une proportion importante de francophones qui résident dans l’Est et le Nord de l’Ontario, c’est-à-dire dans des régions qui n’attirent pas les immigrants et même pas les immigrants interprovinciaux. C’est bien entendu sur ces régions qu’il faut travailler pour attirer des immigrants francophones dans le but de venir contribuer à la vitalité de cette communauté. Mais, on ne le fait pas », déplore Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de Sociologie à l’Université Laval et spécialiste en démolinguistique.

Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de Sociologie à l’Université Laval et spécialiste en démolinguistique. Gracieuseté

Une perte d’attractivité qui bénéficie à l’anglais

Parallèlement à ce recul, la proportion de la population de l’Ontario qui a l’anglais comme langue première officielle parlée a augmenté de 0,4 point pour atteindre 93,5 % en 2021 contre 93,1 % en 2016. Peut-on parler d’un transfert linguistique du français vers l’anglais et/ou d’une perte d’attractivité pour le français en faveur de l’anglais? 

À cela M. Corbeil répond : « Il y a certainement un problème d’attractivité, surtout que 65 % des immigrants de langue française qui s’établissent à l’extérieur du Québec le font en Ontario, et pourtant les indicateurs sont à la baisse ».

Et de compléter : « Ce qui me fait dire qu’il y a clairement des mesures qui ne sont pas prises, il n’y a pas une approche efficace pour essayer d’attirer ces nouveaux arrivants de langue française, surtout dans un contexte de concurrence internationale accrue ».

Des propos que M. Termote partage.

« C’est évident et c’est triste à dire, on assiste à un manque d’attractivité pour le français. On appelle cela dans notre jargon le déclin en chaîne, une fois que ça commence à aller mal, ça va aller de plus en plus mal. »

Et d’argumenter exemple à l’appui : « Un nouvel arrivant qui n’est ni anglophone ni francophone, quand il voit que le français est déjà très faible et continue à décliner, et bien c’est logique qu’il n’aille pas se lancer à investir dans cette langue. »

Marc Termote, professeur associé au département de Démographie à l’Université de Montréal. Gracieuseté

Un effet boule de neige que M. Jacob Legault-Leclair théorise par un cercle vicieux. « Plus le français diminue, moins il devient attractif, et moins il devient attractif et plus il diminue. Cela se matérialise au moment où l’immigrant va choisir sa langue d’intégration. »

L’immigration, éternel talon d’Achille de la francophonie ontarienne

Si tous les spécialistes rencontrés sont unanimes sur deux facteurs pouvant expliquer cette décroissance, à savoir le vieillissement de la population franco-ontarienne et une immigration francophone qui n’a jamais atteint les cibles fixées par le gouvernement, aussi bien fédéral que provincial, il n’en demeure pas moins qu’un autre élément explicatif est à prendre en compte.

« Le vieillissement de la population et l’inévitable transfert linguistique vers l’anglais sont une part du problème, mais ce n’est pas tout. D’un point de vue purement démographique, je peux vous dire que les francophones en Ontario, comme au Québec d’ailleurs, ne font pas assez d’enfants pour stabiliser, voire augmenter leur effectif », explique le professeur Marc Termote.

D’après le démographe, les femmes franco-ontariennes en âge d’avoir des enfants ne font que 1,4 enfant par femme. Or, pour simplement stabiliser et renouveler une population, il faut compter 2,1 enfants par femme.  

C’est donc un véritable signal d’alarme que tirent les experts quant à l’avenir de la francophonie ontarienne. À plus forte raison lorsque l’on sait que le pouvoir décisionnel s’appuie sur ces données pour élaborer les politiques, les programmes et les lois qui régissent la vie de la communauté francophone, à l’instar de la Loi sur les services en français. En d’autres termes, on ne donne pas plus pour moins.