Denis Prud’homme, ou l’urgence du français pour les soins de santé

Denis Prud'homme, directeur scientifique et vice‐président associé à la recherche à l’Institut du Savoir Montfort. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

OTTAWA – Loin des projecteurs, Denis Prud’homme est un travailleur de l’ombre. Du moins, encore pour quelques mois. Le 1er juillet, ce Franco-Ontarien d’adoption rejoindra le Nouveau-Brunswick en tant que recteur de l’Université de Moncton. En attendant, ce spécialiste de la médecine familiale termine son mandat de directeur scientifique et vice-président associé à la recherche de l’Institut du savoir Montfort. Avec une mission première : communiquer, insister, voire marteler la nécessité d’une lentille francophone dans les soins de santé. Un vœu d’autant plus important avec la crise actuelle.

« La première question est celle que nous posons à tous nos invités pour la Rencontre ONFR+ depuis le début de la crise : comment en tant que médecin, percevez-vous cette épidémie?

C’est une situation assez exceptionnelle, avec un virus qu’on n’a pas très bien apprivoisé. On est dans une période difficile, notamment pour les personnes avec des problèmes cardiaques et les personnes âgées. Les personnels de santé publique ont pris des bonnes actions. Présentement, c’est relativement sous contrôle.

Il faut cependant suivre les règles du lavage de mains, et les distanciations sociales. Nous avons réussi à mettre en place les infrastructures pour les hospitalisations, mais on a oublié le volet communautaire. On sent toutefois que les gouvernements mettent l’emphase dessus.

Qu’entendez-vous par volet communautaire?

C’est tout ce qui est en dehors des hôpitaux, c’est-à-dire les foyers pour aînés ou encore les foyers de soins de longue durée. On sait que cette absence a eu tout une cascade de répercussions en Ontario.

L’un des grands défis des travaux de recherche menés par l’Institut du savoir Montfort, c’est de valoriser le français. Pouvez-vous nous en dire plus?

Nous cherchons à améliorer l’accès, la qualité, et la sécurité des soins, particulièrement pour les francophones en milieu minoritaire. Notre premier thème de recherche, c’est développer des stratégies pour mieux gérer les patients, les problèmes de santé physique et mentale. Par ailleurs, on s’intéresse aussi à l’amélioration de systèmes de santé. On regarde aussi à tout ce qui touche le transfert des connaissances, s’assurer de ce qui est géré comme connaissance, qu’on puisse le mettre en application.

Avez-vous des exemples concrets de ces réalisations?

En termes de langue, Montfort a été leader concernant l’offre active. On a développé des procédés, des processus… C’est particulièrement vrai pour la qualité et la sécurité des soins. Avant cela, très peu de données canadiennes démontraient que le fait de n’être pas servi dans sa langue était un désavantage. L’Institut a contribué à offrir des données objectives.

Ce sont des données probantes visant à renforcer les gouvernements fédéral et provinciaux à être sensible et proactif, et à assurer la mise en place des services en français.

Denis Prud’homme lors de sa conférence dans le cadre des Journées Montfort en 2019. Archvies ONFR+

Comment jugez-vous la place du français au Canada dans les annonces et mesures de confinement?

On a des grands défis. Je pense que les gouvernements n’ont pas eu de réflexe de s’attarder à ces réponses-là. C’est excessivement important que les patients reçoivent les services dans leur langue officielle, mais également les allophones qui en ont besoin. Les gens doivent comprendre ce qui est associé à la COVID-19.

On a vu quand même par exemple des ratés les derniers jours : des conférences de presse unilingues au Nouveau-Brunswick, ou encore un appel aux bénévoles lancé par le gouvernement ontarien cette semaine, uniquement en anglais. Dans ces conditions, peut-on parler d’une véritable place du français?

Je crois qu’il y a suffisamment d’efforts, surtout avec les communications qui sont données aux médias. C’est relativement bien. Je vois plutôt des défis dans la communication de documents plus techniques. Je peux vous donner l’exemple d’une base de données au niveau du fédéral, pour les chercheurs dans le domaine de la santé, avec un dossier électronique. Lorsque j’ai demandé d’avoir l’information en français, je ne l’ai eue qu’après. Cette information devrait être accessible en même temps, et non invoquer que l’on n’a pas la traduction.

Mais beaucoup d’organisations de santé comme Santé Canada ou HealthCareCAN nous offrent systématiquement de la documentation dans les deux langues. C’est très apprécié.

Mais pour revenir à cet appel aux bénévoles en anglais uniquement, faut-il exiger le bilinguisme de toutes les communications gouvernementales, même dans les provinces, selon vous?

Oui! Une partie de notre clientèle, c’est-à-dire 0,3 % de la population ontarienne, ne parle que le français. Le gouvernement devrait être de bonne foi, et mettre l’information dans les deux langues.

Il faut souligner que l’on surestime souvent les compétences de la langue seconde. On parle d’un bilinguisme qui fonctionne socialement, mais lorsque les adultes sont présents dans un milieu technique ou médical, ils n’ont pas les compétences linguistiques pour bien s’adapter au système de santé. Deux choses interfèrent alors dans cette qualité de la langue : la littératie, et le niveau d’éducation.

L’image représente une page web unilingue en anglais du gouvernement ontarien pour recruter des bénévoles dans le cadre de la lutte contre la COVID-19. Capture écran ONFR+

Avez-vous des données justement sur les soins reçus par les patients en relation avec la langue offerte?

Oui, nous avons fait une courte étude. On s’est aperçu que les erreurs médicales, les préjudices qui pourraient être vérifiés sont beaucoup plus grands quand le patient n’est pas servi dans sa langue. Quand on regarde les chiffres, ces francophones soignés dans un environnement hospitalier francophone subissent 14 % de préjudices en moins.

Parlons un peu de ce nouveau défi dans quelques semaines quand vous rejoindrez l’Université de Moncton en tant que nouveau recteur. Pourquoi avoir accepté?

Dans la vie, il y a des opportunités qui se présentent. Celle-ci a piqué ma curiosité. J’ai toujours aimé les provinces de l’Atlantique. Pour moi, comme fin de carrière, c’est une opportunité qui est difficile à refuser, surtout le fait d’avoir un autre type de plateforme pour influencer la francophonie.

Et quels seront vos objectifs en tant que recteur?

Je pense que l’Université de Moncton doit prendre un leadership du côté de la francophonie canadienne, et doit devenir une université de référence, tant au niveau de la formation que de la promotion de la langue française.

Mon objectif, est que l’université continue à se développer, mais aussi d’avoir davantage de leadership tant sur le plan national qu’international. Je veux que l’Université devienne un moteur pour le développement de la francophonie dans tous les domaines, que ce soit en santé, en politique. L’Université de Moncton doit former de futurs leaders francophones!

Le ratio étudiant/professeur de cette Université est l’un des plus bas au Canada. Il doit être utilisé pour la qualité de la formation, par rapport à d’autres grandes autres universités au Canada. C’est un atout qu’on doit prendre à l’avantage!

On sait quand même que le Nouveau-Brunswick n’est pas la province la plus attractive économiquement, que sa population baisse, comment comptez-vous vous y prendre pour attirer des étudiants francophones?

Il faut absolument qu’il y ait une augmentation des étudiants pour desservir la population du Nouveau-Brunswick, tant au niveau des étudiants canadiens, que des étudiants étrangers. Il faut mettre en place les meilleures stratégies de communication, en expérimentant de nouvelles stratégies!

Pour terminer, on voit un peu partout sur les médias sociaux fleurir l’expression « ça va bien aller ». Est-ce que l’on peut se fier sur vous si on estime que ça va bien aller?

Oui, ça va bien aller, puisque les gouvernements ont mis en place rapidement des mesures, même si ce n’est jamais trop tôt. Les gens dans le domaine de la santé dans les gouvernements travaillent fort. Des solutions se mettent en place entre les chercheurs et des entreprises privées, et les entrepreneurs sont généreux et proactifs. La situation est dans un contrôle relatif. On dit que l’humain est un être qui s’adapte, donc on va s’adapter continuellement! »


LES DATES-CLÉS DE DENIS PRUD’HOMME :

1955 : Naissance à Lachute (Québec)

1986 : Devient docteur en Médecine (M.D.) à l’Université Laval

2002 : Doyen de la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa. En poste jusqu’en 2012.

2013 : Nommé directeur scientifique et vice‐président associé à la recherche de l’Institut du savoir Montfort

2019 : Nommé recteur de l’Université de Moncton. Entrera en fonction le 1er juillet 2020.

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.