IMMIGRATION FRANCOPHONE – ÉPISODE 4
Hier encore, petites bourgades francophones isolées, Hearst et Kapuskasing ont très récemment changé de visage lorsque l’Université de Hearst s’est tournée vers la clientèle étudiante internationale pour survivre.
Dans un contexte où l’université devrait être en décroissance à cause de l’exode rural et la dénatalité, elle affiche pourtant une augmentation de 128 % de ses inscriptions.
Et ces nouveaux arrivants ont irrémédiablement changé ces petites communautés rurales, autrefois homogènes et hermétiques…
ONFR plus
Société
À Hearst, SALIOU NDIGUE CISSE, un étudiant originaire du Sénégal, roule à vélo dans les rues, puis il accorde une entrevue sur un banc de parc.
SALIOU NDIGUE CISSE :
Je viens du Sénégal.
Je suis étudiant à l’Université
de Hearst en administration
des affaires depuis neuf mois.
Dans mon cas, je savais
que j’allais habiter dans
une petite communauté. J’ai fait
des recherches. Je savais
que l’économie était basée
sur l’exploitation du bois.
Je savais que c’était
une ville à 80 % à 90 %
composée de francophones.
Je savais que l’université avait
trois campus, qu’il y avait
pas d’aéroport. Je suis
descendu à Timmins. Je me
suis vraiment bien, bien
renseigné avant de venir ici.
À l’Université de Hearst, des étudiants noirs sont rassemblés et discutent.
LUC BUSSIÈRES, le recteur de l’Université de Hearst, accorde une entrevue dans son bureau.
LUC BUSSIÈRES :
L’Université
de Hearst, c’est une petite
institution. Il y a six ans,
on avait le choix de continuer
de voir notre institution
se rapetisser à cause de la
situation démographique dans
le nord. Donc, on s’est dit :
« Il faut trouver
une façon de convaincre
des gens de venir ici. »
On s’est mis à enseigner nos
cours en blocs plutôt qu’en mode
semestriel un cours à la fois.
On a mis des stages. On a mis de
l’apprentissage par l’expérience
dans tous nos programmes.
On a pris un biais vers des
approches pluridisciplinaires
puis il y avait ce quatrième
grand axe-là qui était
l’ouverture sur le monde.
C’est cet axe-là qui a connu
le développement le plus rapide.
Texte informatif :
Depuis la réforme de l’Université de Hearst,
l’institution a vu sa clientèle
d’étudiants étrangers augmenter
de façon exponentielle.
En 5 ans, on est passé de 5 étudiants
étrangers à plus de 130.
67 % de la clientèle universitaire
est composée d’étudiants étrangers.
La moitié de ces étudiants
sont originaires du Sénégal.
MIKHAËLLE EHOUMAN, une étudiante originaire de la Côte d’Ivoire, accorde une entrevue dans une salle de classe.
MIKHAËLLE EHOUMAN :
Je suis arrivée dans un pays
que je connaissais pas
et au nord, et en hiver !
Souriant
Donc, pour un début, c’était
vraiment difficile. J’ai jamais
été confrontée à autant de chocs
thermiques et culturels.
En séquence vidéo, MIKHAËLLE travaille à l’ordinateur.
MIKHAËLLE EHOUMAN :
On a tendance
à « suridéaliser » les pays
occidentaux comme le Canada.
Alors, on se doute pas
dans certaines parties
du Canada, bien, il existe
de petites villes.
Il existe même des villages.
SALIOU rejoint des amis dans le corridor. Son entrevue se poursuit sur le banc de parc.
SALIOU NDIGUE CISSE :
Je me suis dit que pourquoi pas
aller dans une petite ville
où la charge financière est
moins imposante et aussi dans
les petites villes, tu as la
possibilité de mieux apprendre
à connaître des gens. Dans les
grandes villes comme à Montréal
ou n’importe où autre, les gens
ne se connaissent pas vraiment.
Les gens sont là pour une raison
déterminée, c’est travailler
ou en business ou autres choses.
En séquence vidéo, MIKHAËLLE assiste à un cours.
MIKHAËLLE EHOUMAN :
Avoir un
diplôme canadien, c’est bien vu,
comme partout dans le monde.
Je pense que ça peut me servir
dans mes projets à long terme.
Hormis la qualité de l’éducation
canadienne, il y a aussi
l’ouverture d’esprit. Quand
tu es dans ta zone de confort,
t’arrives pas forcément à voir
ce qui se passe ailleurs.
Et je pense aussi,
c’est plus pour moi,
pour que je ressorte grandie,
pour que j’aie des expériences.
C’est pour ça aussi
que je suis venue ici.
C’est pour ça aussi que mes
parents ont voulu que je vienne.
Texte informatif :
Les frais de scolarité
pour les étudiants étrangers
sont moins chers à Hearst
qu’ailleurs en Ontario.
Université de Hearst : 7030$ par an.
Université d’Ottawa 7310$ par an
(exonération spéciale pour études
en français ou en immersion).
Université Laurentienne :
25960$ par an.
MARIE LEBEL, professeure au programme interdisciplinaire de l’Université de Hearst, accorde une entrevue dans son bureau.
MARIE LEBEL :
L’arrivée
de nos étudiants en provenance
de l’international change
le visage et le paysage
de Hearst pour le mieux.
Je pense que toute cette
immigration francophone
qui arrive, elle nous donne
l’occasion de dire ce à quoi on
tient de nous-mêmes et ce qu’on
a envie de présenter à l’autre,
mais quelque part, il va
vraiment falloir se débarrasser
des idées préconçues, là.
Tu sais, des idées préconçues
qu’on avait quand on parlait
de pays sous-développés.
On ne parle plus de pays
sous-développés. On parle de
pays en voie de développement.
On parle de pays qui ont des
grandes métropoles comme nous.
On parle de pays avec des jeunes
qui s’instruisent. Et donc,
il faut être ouvert à ça.
Il faut penser que nos anciennes
conceptions ne cadrent pas
avec la personne qui arrive
et surtout pas projeter ça.
En séquence vidéo, SALIOU est en classe et assiste à un cours.
SALIOU NDIGUE CISSE :
Moi, actuellement, je fais
administration des affaires,
mais personnellement, j’aurais
préféré faire enjeux humains
ou histoire de l’humanité,
ce genre de choses. Parce que
je m’intéresse au monde.
Je m’intéresse à la civilisation
humaine et je veux comprendre
cette civilisation et
je veux comprendre les
individus. C’est le dilemme :
c’est ça, mon rêve et c’est ça,
ma réalité. Donc, ma réalité,
là, je voudrais vraiment,
vraiment que je sois
à l’aise financièrement
et je voudrais aussi
que ma famille soit à l’aise.
Je veux que mon petit frère
réalise son rêve : pourquoi pas
être un très grand chirurgien ?
Et pour ce faire, si jamais
je réussissais à avoir un
très bon travail, je pourrais
lui permettre d’être un grand
chirurgien. Et mon autre petit
frère aussi qui veut être
un architecte. Pourquoi pas ?
Je peux lui payer des études
dans de grandes écoles
d’architecture. Et ma mère
aussi, j’aimerais qu’elle
voyage, qu’elle quitte
le Sénégal, qu’elle parte
voir d’autres pays.
Oui, c’est ma réalité
qui me pousse.
SALIOU enfile sa casquette et se présente à son travail, à la caisse d’un restaurant de restauration rapide. Il salut un client.
SALIOU NDIGUE CISSE :
Bonjour !
MARIE LEBEL :
Souvent, c’est
le bac en administration qui
les attire. Ça veut pas dire
que parce qu’ils ont déjà fait
une licence ou qu’ils détiennent
déjà un diplôme universitaire
que quand ils arrivent en
classe, ils correspondent aux
attentes du système canadien.
ça veut pas dire qu’ils sont
moins intelligents, moins doués,
etc. Ce qu’on note cependant, ce
qu’il peut arriver un décalage.
Mais en même temps, donc, il y a
un ajustement. La première
année, il faut des méthodes
de travail nouvelles, des cours
de méthodologie. Comment citer.
Insister sur des éléments qui,
pour nous, sont extrêmement
importants et qui le sont
peut-être moins dans des classes
de 300, 200, des classes où ils
arrivent, alors qu’ils arrivent
ici dans des classes de 25.
LUC BUSSIÈRES :
Au niveau de l’arrivée
des étudiants de l’extérieur
de notre région, ça a été
évidemment très bon pour
l’université, mais ça a aussi
été très bon pour la région,
parce qu’il y avait une pénurie
des employés et la seule
solution qu’on a, c’est de se
voler d’un employeur à l’autre.
Fait que là, tout à coup, est
arrivé un nombre significatif
de jeunes qui cherchaient
des emplois, évidemment,
pour les aider à payer
leurs études universitaires.
Puis c’est venu combler plein
de postes qui étaient vacants
depuis des bons bouts de temps
et avec, par exemple,
des restaurants qui sont obligés
de fermer plus tôt parce qu’ils
manquent de main-d’oeuvre, des
postes d’essence, des services
dans les hôtels et ainsi
de suite.
En séquence vidéo, des étudiants étrangers sont à leur travail : soit en cuisine dans un restaurant de restauration rapide, à la caisse d’un magasin à grande surface ou à la réception d’un hôtel.
LUC BUSSIÈRES :
Donc, c’est
vraiment tombé à point
pour les communautés
sur le plan du travail.
SALIOU est en cuisine et s’adresse à une de ses collègues.
SALIOU NDIGUE CISSE :
Aujourd’hui, j’ai réussi
à bien enrouler mes sandwichs.
C’est extraordinaire.
Texte informatif :
Les étudiants étrangers ont le droit
de travailler un maximum de 20 heures
par semaine durant l’année scolaire.
MIKHAËLLE est dans une salle de classe du Camppus de Kapuskasing de l’Université de Hearst et aide un jeune homme avec ses devoirs.
MIKHAËLLE EHOUMAN :
Ça a
pas été difficile de trouver
du boulot, de trouver
un appartement, mais c’est
plus le côté relationnel
qui est difficile vu que c’est
compréhensible parce que c’est
quand même une petite communauté
et c’est des gens qui ont grandi
ensemble. C’est des gens
qui ont fait l’école ensemble.
Jusqu’à la fin de leur vie,
ils sont ensemble. Donc, on va
dire, c’est difficile de se
faire des amis vraiment proches.
C’est vraiment dommage
qu’on reste comme ça,
sans gratter plus profond.
MARIE LEBEL :
Il faut pas
mettre ça tout rose.
La communauté étudiante,
il y a des enjeux, des défis
à accueillir l’autre. Tu sais,
il y a un réflexe de repli
sur ceux qu’on connaît,
sur les façons qu’on a de faire.
Par exemple, si j’invite des
étudiants canadiens-français
de Hearst à travailler
avec un étudiant africain,
il y a un malaise au départ.
Il y a cette espèce de réaction.
« Je le comprends pas »,
alors qu’on parle la même
langue. L’accent de la
personne qui vit à Earlton
ou à Timmins, c’est un accent
qui est différent de celui
d’une personne de Hearst. Donc,
c’est la même chose. Alors,
quand ils arrivent, je pense
qu’il faut faire un effort
et je pense que ça, là-dessus,
il va falloir sensibiliser.
Donc, on va assister à des
regroupements d’étudiants
sénégalais entre eux.
On va noter que les étudiants
canadiens-français,
franco-ontariens, vont
avoir tendance, eux, à rentrer
chez eux tout de suite après.
ANTOINE TINE, conseiller en finances personnelles à la Caisse populaire de Kapuskasing, roule dans sa voiture dans les rues de la ville. Il accorde ensuite une entrevue chez lui.
ANTOINE TINE :
Je suis
arrivé ici en 2015. J’ai fait
mon bac de quatre ans.
Il faut dire que j’ai été
chanceux de trouver du travail
juste après mes études, dans mon
domaine, à la Caisse populaire.
J’étais avec beaucoup de gens
qui ont fini en même temps
que moi et ils ont pas eu
la même chance que j’ai eue.
ANTOINE entre dans un local de musique où se trouvent des dames âgées. Il est accompagné d’un autre homme.
ANTOINE TINE :
Je vous ai emmené
un nouveau, là.
DAME ÂGÉE :
Oh ! ça, c’est gentil.
LUC BUSSIÈRES :
Ce qui est peut-être le plus
intéressant dans tout ça,
c’est qu’on sait très bien que
Toronto a une grande capacité
d’attraction puis Vancouver
puis Montréal, mais les petites
villes du nord, ça restait à
démontrer que c’était imaginable
d’attirer des immigrants là
qui voudraient s’y installer.
Mais c’est un peu ce qui est
en train d’arriver par la bande,
avec notre contribution. Nous
autres, on commençait par amener
des gens suivre des cours,
mais les gens s’installent,
se font un réseau, trouvent
un partenaire de vie
puis veulent travailler.
ANTOINE est dans sa cuisine avec son amoureuse, une femme blanche.
ANTOINE TINE :
Quelque chose
d’important que les gens doivent
comprendre, l’importance
de s’intégrer, de s’ouvrir
aux autres et tout ça.
Quand tu arrives dans un endroit
qui est pas chez toi, essaie
de connaître le monde parce que
c’est comme ça que tu vas avoir
des ouvertures.
ANTOINE distribue des gâteries aux gens dans le local de musique.
ANTOINE TINE :
Quand je suis
arrivé, j’étais dans la chorale,
je faisais du bénévolat
partout. Du coup, je
connaissais beaucoup de monde.
On peut pas juste aller
à l’école, revenir, peut-être
aller travailler. Il faut qu’on
ait quelque chose à faire, une
activité qui va nous divertir.
Pour nous, c’était la chorale
parce qu’on avait rien d’autre à
faire. C’était pas le hockey ; on
connaissait pas. Le chant, c’est
quelque chose qu’on connaissait
et qu’on aimait, donc
c’était plus facile pour nous
d’aller dans une chorale
que faire autre chose.
CHORALE :
Chantant
♪ Falalalala lala lala ♪
♪ Sonnez pipeaux et trompettes ♪
LUC BUSSIÈRES :
On est en train de faire la
démonstration que c’est tout à
fait envisageable de convaincre
des gens qui veulent refaire
leur vie puis qui prennent
le risque comme ça d’arriver
au Canada comme immigrants,
et on a aussi reçu quelques
réfugiés, de s’installer
puis de contribuer puis
de pouvoir se faire une vie
qui est prometteuse.
Générique de fermeture