Des idées pour relancer le secteur culturel francophone

Yao en concert. Crédit image: Julien Lavoie

Malgré le déconfinement progressif, artistes et acteurs du secteur des arts et de la culture demeurent toujours dans une situation délicate. Mais des idées émergent dans le milieu francophone pour relancer une industrie durement touchée par la COVID-19.

« Nous avons été les premiers à être mis hors des rails, et nous serons sans doute les derniers à pouvoir y retourner! »

Le constat de Marie-Christine Morin, directrice générale de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), est sans appel.

Les mesures annoncées par le gouvernement depuis le début de la crise, dont le fonds d’urgence de 500 millions de dollars pour les organismes de la culture, du patrimoine et du sport, ainsi que la Prestation canadienne d’urgence (PCU), ont permis « de maintenir le patient en vie », dit-elle. Mais la route vers la relance est encore longue.

Raison pour laquelle, la FCCF a récemment transmis plusieurs recommandations dans le cadre de la consultation prébudgétaire du comité des Finances. Des suggestions teintées par la crise actuelle.

Prolonger la PCU

L’organisme demande notamment le maintien d’une forme de revenu stable pour les travailleurs du secteur des arts et de la culture, en prolongeant la PCU jusqu’à la fin juin 2021, tout en la modulant pour inciter un retour au travail.

« Beaucoup d’artistes et de travailleurs indépendants de notre écosystème vivent avec la PCU. C’est leur seul filet social », rappelle Mme Morin.

Une situation que confirme Daniel Sauvé, membre du groupe franco-ontarien, Règlement 17, et président de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM).

« J’ai la chance de ne pas en avoir eu besoin, car je travaille parallèlement comme vendeur de guitares, mais plusieurs membres du groupe, comme d’autres artistes, ont dû y faire appel. Les gros artistes plus établis n’ont pas ce problème, ils peuvent compter sur les redevances radio et sur les initiatives artistiques actuelles qui se concentrent sur les gros noms, mais ce n’est pas tout le monde », explique-t-il, rappelant qu’en Ontario français, les artistes ont subi successivement le contrecoup de la grève des enseignants et de la pandémie.

Protéger l’écosystème francophone

Récemment, le premier ministre Justin Trudeau a émis le souhait de transférer ceux qui reçoivent la PCU vers le régime d’assurance-emploi.

« Mais beaucoup de travailleurs de notre secteur ne sont pas admissibles à l’assurance-emploi, pas plus qu’à la subvention salariale d’urgence », souligne Mme Morin qui attend avec impatience les détails de la prestation de transition promise par le gouvernement libéral.

« Le modèle actuel n’est peut-être pas idéal, mais il faut trouver le moyen d’assurer une sécurité financière au secteur pour qu’il puisse rester dynamique. Sinon, beaucoup de ses acteurs pourraient être tentés de se tourner vers une autre carrière », s’inquiète Marie-Pierre Proulx, directrice artistique du Théâtre du Nouvel-Ontario, à Sudbury.

Une réalité qui pourrait avoir de fâcheuses conséquences pour un écosystème aussi fragile que celui des francophones en milieu minoritaire. C’est pourquoi la FCCF insiste également pour le maintien de la bonification, décidée en 2019, du Fonds canadien pour la présentation des arts (FCPA) et du Fonds de la musique du Canada (FMC).

« Ce sont des fonds qui se rendent directement dans les communautés. Il faut investir de façon pérenne, car nos petits festivals et nos diffuseurs sont en grande difficulté. Pour nous, francophones, l’enjeu est double, car les arts et la culture sont à la base de notre capacité à vivre en français. On ne peut pas perdre cet écosystème », lance Mme Morin.

La Nouvelle Scène à Ottawa. Archives ONFR+

La Nouvelle Scène a bénéficié d’une aide légèrement supérieure du FCPA. De quoi lui permettre de travailler sur la reprise progressive de ses activités. En octobre, l’institution ottavienne accueillera de nouveau des spectateurs, en nombre réduit et avec les mesures sanitaires appropriées.

« Nous avons trois-quatre événements prévus à l’automne et on espère pouvoir lancer en janvier 2021, une programmation théâtrale complète jusqu’à la mi-mai », explique Benoît Roy, directeur des partenariats et des événements.

Ce dernier suggère au gouvernement de subventionner les billets pour encourager la reprise et des fonds supplémentaires pour augmenter la promotion.

Daniel Sauvé estime que la situation sanitaire doit encourager la réflexion.

« Les salles pourraient ouvrir leurs portes à des artistes moins connues pour leur donner de la visibilité. Ce serait un bon point de départ pour repartir la machine. On doit aussi s’interroger sur le modèle actuel. Est-ce vraiment nécessaire d’être propriétaire de salles de spectacle? Le Centre culturel les Compagnons des francs loisirs, à North Bay, s’est défait de sa bâtisse et programme directement dans la communauté. Ça peut-être une bonne option, car cela donne plus de flexibilité pour avoir des spectacles dans des lieux appropriés. »

Pas de plan de relance avant 2021

La FCCF voit elle aussi plus loin. La pandémie a vu émerger des alternatives numériques, elle plaide donc pour aider les francophones à faire ce virage avec un investissement du fédéral de 30 millions de dollars, sur trois ans, pour la création d’un laboratoire d’expertise en numérique. L’organisme martèle également l’importance d’étendre la Loi sur la radiodiffusion aux plateformes numériques.

Des idées à plus long terme dont pourrait inspirer le gouvernement, alors que le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, a indiqué, cette semaine, ne pas imaginer un plan de relance de l’industrie avant 2021.

Le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault . Capture d’écran

« C’est sûr qu’on voudrait des réponses plus vite, mais le gouvernement n’a pas de boule de cristal. Il faut être patient », plaide Mme Proulx, qui invite le gouvernement à ne pas oublier l’écosystème particulier du Canada français dans son plan de relance.

La FCCF milite pour que tout le milieu soit consulté. Car de l’aveu même de sa directrice générale, pour relancer le secteur, il faudra aller au-delà des recommandations de l’organisme.

« Nos quatre recommandations sont des piliers, mais il faut une réflexion nationale sur la relance du secteur afin de lui donner l’impulsion pour se renouveler », pense Mme Morin.

Mais la meilleure solution, M. Roy la connaît : « un vaccin », sourit-il.