Deux ans après les coupes, toujours aucune indemnisation pour les professeurs de la Laurentienne

Université laurentienne Sudbury enquête
L'Université Laurentienne est sortie de la LACC en novembre 2022. Archives ONFR

SUDBURY – Deux ans après le « lundi noir » de la Laurentienne, la mémoire des coupes de plus de 70 programmes, dont 29 en français, est toujours vive dans le Nord. Et si les esprits sont plus apaisés, le climat demeure lourd au sein de la communauté francophone du Grand Sudbury.

« Il n’y a pas d’excuse, il n’y a pas d’action qui puisse être capable de changer la situation actuelle. » L’émotion est encore bien présente dans la voix de David Leadbeater, un des 109 professeurs licenciés lors de la crise qui a secoué l’établissement du Nord.

Celui-ci a co-signé une lettre du Comité des professeurs licenciés dont il est le représentant et qui est publiée ce mercredi. Dans celle-ci, on apprend que les membres du corps professoral licenciés « n’ont toujours pas vu un centime de leur indemnité de départ – pas même les 14 à 24 cents par dollar » promis par l’Université et qui devraient être perçus d’ici les trois prochaines années.

Au-delà de l’aspect financier, la lettre mentionne aussi la fin du rêve académique de nombreux de ces professeurs : « Près de deux ans plus tard, la majorité des anciens professeurs de la Laurentienne n’ont pas été en mesure de reconstruire leur carrière. »

Des actions concrètes réclamées

Une compensation financière complète pour les étudiants dont les programmes ont été interrompus, et la réembauche ou le versement d’une indemnité de licenciement et de départ figurent parmi les demandes du comité.

Autre action symbolique réclamée : une demande d’excuses publiques de la part de la Laurentienne aux peuples autochtones du nord de l’Ontario et aux francophones pour la fermeture du programme d’Études autochtones et « la destruction de nombreux programmes de langue française essentiels au développement social, culturel et économique de la communauté franco-ontarienne dans le Nord de l’Ontario », peut-on lire.

Le professeur David Leadbeater enseignait l’économie. Gracieuseté

L’Association des professeurs de l’Université Laurentienne (APPUL) avait demandé une enquête publique sur les circonstances ayant entouré la crise en décembre dernier, tandis que d’anciens professeurs de l’Université Laurentienne demandaient, en mars de cette année, au procureur général de l’Ontario d’ouvrir une enquête sur les administrateurs et gouverneurs qui ont dirigé l’établissement entre 2010 et 2020.

Appuyée par le syndicat des professeurs, celle-ci, toujours sans réponse du gouvernement, pourrait aboutir à des accusations criminelles contre les ex-dirigeants.

De timides améliorations

Du côté des étudiants encore inscrits à la Laurentienne, ceux-ci notent des améliorations de la part des nouveaux dirigeants, même si le chemin à parcourir reste encore long.

Olivier Bonin-Ducharme fait partie de ceux qui ont dû revoir leurs plans après la crise, lorsqu’il s’est rabattu sur son troisième choix de programme après la suppression du sien.

« Le climat a changé, le monde a l’air plus actif », déclare-t-il au sujet de l’ambiance générale au sein de la communauté étudiante francophone du campus.

Il salue le travail des nouvelles dirigeantes Sheila Embleton, rectrice et vice-chancelière intérimaire unilingue de l’Université et Brenda Brawer, vice-rectrice aux études par intérim qui, selon lui, « font des merveilles comparées aux anciens recteurs ».

L’étudiant reste prudent, reconnaissant que les coupes sont encore bien présentes deux ans plus tard, « même si l’atmosphère est vers le positif, la situation ne l’est pas vraiment ».

Olivier Bonin-Ducharme souhaite voir renaître les programmes supprimés en 2021. Crédit image : Inès Rebei

La Laurentienne se défend

Le 21 mars dernier, la Laurentienne a fait savoir qu’elle a renouvelé l’agrément pour une période de sept ans auprès de l’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario de ses trois programmes en éducation, dont deux avec de nouvelles modalités. Une nouvelle dont se félicite Roch Gallien, conseiller spécial aux affaires francophones de l’Université.

« Ceci devrait non seulement combler la pénurie et inciter les personnes qui ont un baccalauréat à venir compléter leur formation », assure-t-il en évoquant le manque criant d’enseignants qualifiés dans la région depuis une dizaine d’années.

La Laurentienne a maintenu une proportion de 21 % de la population étudiante dans un programme de langue française, malgré les impacts de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). À l’automne 2022, le nombre total d’étudiants a légèrement augmenté et cette proportion est passée à 23 %.

Roch Gallien se dit très surpris, mais néanmoins heureux d’avoir constaté une augmentation de 2 % du nombre d’étudiants francophones : « On a eu une légère augmentation des francophones, mais ça va dans le bon sens. »

Roch Gallien estime que l’Université aura besoin de beaucoup de temps pour se remettre de la crise. Gracieuseté

Le nombre de sections de cours offerts en français et est même retourné aux proportions d’avant la mise en place du processus de la LACC, selon la Laurentienne.

On parle de 518 sections de cours représentant 28 % de l’offre globale de sections de cours de la Laurentienne, alors qu’en 2019-20 et 2020-21 ce chiffre s’élevait à 27 %.

Besoin de plus de personnel francophone

Concernant les dix postes de professeurs annoncés en janvier dernier, dont seuls deux sont francophones, M. Gallien assure que le processus avance dans la bonne direction.

« Il y a eu un premier jet d’embauche, mais avec l’annonce du budget qui s’en vient il devrait y avoir des annonces intéressantes », confie-t-il en précisant que le parachèvement du processus budgétaire 2023-2024 et l’approbation du budget par le Conseil des gouverneurs devraient se faire d’ici la fin d’avril.

« On a beaucoup de travail à faire, on ne s’en cache pas, mais on avance », dit-il en rappelant que l’Université est en mode embauche. Les postes concernent des emplois permanents aux ressources humaines, rectorat, administration entre autres.

Il ajoute qu’il est conscient que les avancées se font de manière plus lente que désiré, mais qu’il est prioritaire pour l’Université de rejoindre les exigences issues du rapport de la Commissaire aux services en français Kelly Burke, depuis remplacée par Carl Bouchard.

« L’Université veut à tout prix rencontrer ses recommandations là, mais on n’est pas tous seuls », dit-il en parlant du travail étroit de l’établissement avec le ministère des Collèges et des Universités.

L’embauche des dix professeurs devrait se faire d’ici le mois de juillet prochain. Crédit image : Inès Rebei

« C’est ridicule, on n’a pas de faculté d’art, pas d’étude de langue française » – David Leadbeater

David Leadbeater dénonce, quant à lui, le fait que les arts et la culture ne fassent pas partie des priorités de la Laurentienne, surtout dans ces embauches.

« C’est comme un polytechnique ou collège, ce n’est pas une université », s’exclame-t-il.

« La situation pour Sudbury et pour le Nord est épouvantable », clame-t-il encore. Le professeur, qui continue à faire de la recherche pour ses anciens travaux à l’établissement, dit pouvoir considérer de retourner enseigner à la Laurentienne si toutefois son programme était restauré.

« C’est ridicule, on n’a pas de faculté d’art, pas d’étude de langue française », dénonce-t-il avec vigueur. Il regrette également l’inaction de l’Université pour restaurer des programmes en études autochtones.

M. Gallien souhaite voir la porte ouverte à plus de programmes, mais insiste sur le fait que les critères d’évaluation de ceux-ci sont soumis à de très stricts protocoles et une certaine chaîne de commandement administrative qui ralentissent le processus.

L’implication de la communauté pour l’Université de Sudbury (U de S) est, pour sa part, toujours très active, avec notamment la publication dans Le Voyageur le 21 mars dernier, d’un manifeste de la jeunesse en faveur d’un financement de l’établissement.

La Coalition nord-ontarienne pour une université francophone continue, de son côté, à réclamer le transfert complet de la programmation francophone vers l’Université de Sudbury.

Toujours entre les mains de la ministre des Collèges et Universités, Jill Dunlop, le dossier de l’Université de Sudbury pourrait débloquer prochainement si l’établissement obtient l’accréditation du ministère des Collèges et Universités.