Deux sondages donnent Ford perdant en cas d’élections

Doug Ford, premier ministre de l'Ontario. Archives ONFR+

TORONTO – Ce retournement de tendance fait suite à plusieurs semaines de tergiversation dans la gestion de la troisième vague de COVID-19 et intervient alors que la surcharge des soins intensifs, les éclosions au travail et les congés de maladie payés sont au cœur d’une bataille rangée à Queen’s Park.

Deux sondages, publiés cette semaine, placent les libéraux en tête des intentions de vote. La firme Abacus Data crédite le parti de Steven Del Duca de 35%, juste devant les progressistes-conservateurs (34%) et à plusieurs coudées des néo-démocrates (23%). L’institut Innovative Research est plus sévère pour la Fordnation qui, avec 30% de voix, cèderait du terrain à la fois aux libéraux (35%) et aux néo-démocrates (26%).

La politologue au Collège militaire royal du Canada de Kingston, Stéphanie Chouinard, y décèle « l’effet direct de la débâcle des derniers jours à Queen’s Park. On sent une grogne beaucoup plus évidente et une impatience de la population ontarienne vis-à-vis du gouvernement et de sa réaction aux nombres d’infections de COVID-19 ».

« La population est inquiète de la gestion de la COVID-19 depuis ces deux dernières semaines et juge inacceptable la situation dans les hôpitaux » – Stéphanie Chouinard, politologue

« La population est inquiète de la gestion de la COVID-19 depuis ces deux dernières semaines et juge inacceptable la situation dans les hôpitaux », explique Mme Chouinard qui perçoit une « fureur des Ontariens vis-à-vis d’un gouvernement qui a refusé d’écouter l’avis de ses propres experts sur les mesures nécessaires pour que la province ne sombre pas dans une situation où on manque de lit d’hôpitaux et où les unités de intensifs sont débordées ».

Les sondages de Abacus Data et Innovative Research. Source : 338canada.com/ontario/polls

Ce mercredi, à l’Assemblée législative de l’Ontario, les congés de maladie payés sont revenus sur la table une énième fois, en l’absence du premier ministre, placé en isolement depuis 24 heures, mais testé négatif.

« Les soins intensifs sont débordés, les travailleurs de première ligne ont peur quand ils rentrent chez eux. Ils ont droit à un programme de congés de maladie rémunérés », a relancé la chef de l’opposition officielle Andrea Horwath, réclamant du même souffle une prime pour les jours de congés pris en raison d’une vaccination. « Écoutez la science, sauvons des vies! »

Intransigeante sur cette question au cours des derniers mois, la majorité réajuste progressivement sa position, ouvrant un interstice à la possibilité d’un tel programme. « Nous allons agir pour que nos travailleurs soient plus protégés », a tenté d’apaiser le leader parlementaire Paul Calandra, ce mercredi, allant dans le sens de la ministre de la Santé Christine Elliott.

Garder le contrôle sur l’incontrôlable

Jusqu’ici, la majorité brandissait la vaccination comme porte de sortie de la crise, rejetant par ricochet la faute sur Ottawa et son approvisionnement bien inférieur à la capacité de vaccination des cliniques de masse et pharmacies ontariennes.

Mais cette fois, si la Ford Nation veut garder la main et stopper l’effritement de sa base, elle doit lâcher du lest sur deux mesures réclamées de longue date par l’opposition et qui démontrent leur utilité selon les experts, croit Mme Chouinard : les congés de maladie payés et la fermeture des lieux de travail essuyant des éclosions. « La population a été troublée de voir qu’on tentait de contrôler les mouvements de population à l’extérieur alors que le danger était dans nos usines et sur nos sites de construction », illustre-t-elle.

Stéphanie Chouinard, politologue au Collège militaire royal du Canada de Kingston. Archives ONFR+

C’est peut-être aussi le temps de changer le conseil des ministres, une idée qui a filtré en fin de semaine dernière.

« Ça serait une manière de changer la discussion, d’admettre que certains ministres ont sous-performé comme Mme Fullerton (Soins de longue durée), toujours en poste malgré la vague de mort dans soins de longue durée et M. Lecce (Éducation) qui semble avoir perdu sa crédibilité il y a deux semaines en disant que les élèves reviendraient à l’école alors qu’elles ont finalement fermé pendant un mois », analyse Peter Graefe, politologue à l’Université McMaster.

Dans cette troisième vague épidémique, le gouvernement en difficulté doit en effet regagner la confiance des Ontariens et faire oublier des mesures controversées sur lesquelles il a dû faire machine arrière, à l’image des pouvoirs accrus confiés à la police, de la fermeture des aires de jeu, ou encore des contrôles stricts aux frontières.

« Au milieu de la crise, M. Ford semble ne pas vouloir prendre les actions décisives et vend des actions qui ne font pas grand sens » – Peter Graefe, politologue

« Ces reculs démontrent une volonté de ne pas trop froisser les gens. Ça démontre aussi que ces annonces n’étaient pas si bien pensées et que le gouvernement ne suit pas l’expertise des scientifiques, très critiques sur l’accent mis sur ces mesures plutôt que sur la transmission sur les lieux de travail par exemple », estime M. Graefe. « Au milieu de la crise, M. Ford semble ne pas vouloir prendre les actions décisives et vend des actions qui ne font pas grand sens. »

Les néo-démocrates s’égosillent, les libéraux engrangent

Ironiquement, l’énergie dépensée en chambre par le camp néo-démocrates dans la protection de la population fait surtout l’affaire des libéraux. Les deux sondages expriment ainsi un vote de protestation contre le pouvoir en place, plutôt qu’un vote d’adhésion aux idées néo-démocrates. Le vote libéral devient une valeur refuge.

« Les gens qui votaient pour M. Ford ne voient pas le NPD comme un parti qui est le leur », jauge M. Graefe. « Ils disent qu’ils vont voter libéral, mais il reste à voir si c’est un vote solide car le chef libéral, Steven Del Duca, n’est pas très populaire dans les sondages, ni son parti très fort sur le terrain. »

À plus d’un an des prochaines élections, rien n’est joué d’avance pour aucun des partis. Si le nombre de contaminations reste élevé (plus de 4 200 ce mercredi), le programme de vaccination continue d’avancer (près de 137 000 injections en 24 heures). La sortie de crise avant le scrutin pourrait donc, selon plusieurs observateurs, rebattre les cartes et d’autres enjeux prendre le dessus dans la dernière ligne droite électorale de 2022.