Difficile de promouvoir la musique en français sur Tiktok

Crédit image: photomontage ONFR+

Hyper à la mode chez les 13-24 ans, Tiktok invite la jeune génération à produire des vidéos en utilisant des chansons populaires. La plateforme est cependant dominée par des chansons anglophones. Une initiative de l’organisme porte-parole des Franco-Ontariens, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), visait à encourager les jeunes francophones à s’afficher davantage en français… mais a obtenu un succès mitigé.

« Avec notre concours, on voulait encourager la création de contenu francophone sur Tiktok en invitant les participants à faire une chorégraphie au son de la chanson Mon beau drapeau. Mon but est de faire comprendre aux jeunes que la musique en français ça s’écoute en dehors de l’école ou des fêtes franco-ontariennes », explique Camille Sigouin, qui était responsable du projet.

Sur Tiktok, certains francophones font des vidéos en français où ils racontent des anecdotes, mais lorsqu’une chanson est utilisée ou qu’ils font une chorégraphie, la chanson choisie est à peu près toujours en anglais.

« Les gens suivent les tendances du moment et les chorégraphies les plus populaires  sont toujours avec des chansons anglophones. C’est sûr qu’en anglais, ça touche plus de monde. Les gens reprennent tous la même chanson en anglais. Si tu refais un concept en français, tu ne vas pas devenir autant viral », observe Camille Sigouin.

@monassemblee

##Mavideofranco ##FrancoFun

♬ Concours Franco Fun – L’AFO

L’algorithme de Tiktok est d’une efficacité redoutable. Il montre à ses utilisateurs des vidéos collées sur leurs goûts et proches de leur réalité. Mais il propose aussi des contenus qui buzzent ailleurs sur la plateforme.

Baignant dans un océan anglophone, l’utilisateur nord-américain se retrouve bien souvent bombardé de contenu en anglais. Au contraire, en France, la musique en français obtient plus de visibilité, notamment grâce à la popularité du rap français dans de nombreuses vidéos.

L’AFO offrait des chèques cadeau aux participants de son concours : un luxe sur une plateforme où la plupart des utilisateurs font des vidéos sans recevoir un sou.

« Malgré tout, ça a été plus difficile que je pensais de rejoindre les gens. À cause de l’algorithme, notre vidéo promotionnelle n’apparaît pas sur la page principale de Tiktok et peu d’utilisateurs influents ont repris le concept », admet Camille Sigouin, qui n’a reçu qu’une poignée de participation depuis deux mois.

Timidité dans le milieu scolaire

L’AFO s’attendait à ce que les conseils scolaires relaient son concours et motivent les jeunes à créer des vidéos en français sur Tiktok dans le cadre de son initiative.

Mais l’utilisation de la plateforme dans le milieu scolaire fait débat. Frivole, selon certains, peu éducative, selon d’autres, Tiktok a néanmoins un potentiel créatif et un pouvoir d’attraction auprès de toute une génération. Les conseils scolaires et les enseignants franco-ontariens semblent frileux ou même opposés à l’idée de l’utiliser, pour l’instant.

« Son utilisation n’est pas forcément recommandée », affirme le Conseil scolaire MonAvenir.

« Si un enseignant s’en sert pour diffuser du contenu aux élèves, cela pourrait être un moyen « accrocheur » d’atteindre la population d’élèves, car c’est très populaire présentement. Par contre, il est vrai que ce ne sont pas tous les élèves qui ont des comptes donc, le contenu pourrait ne pas être accessible à tous », souligne le conseil pour expliquer en partie sa position.

« Ce n’est pas une application qui peut être gérée centralement par un conseil scolaire donc, dans un contexte de salle de classe, il est difficile de modérer le contenu qui est diffusé », ajoute-t-on.

@camillesigouin4

Fais juste continuer de parler en français💚 ##mavidéofranco ##francophonie ##Ontario @monassemblee ##voiceeffects

♬ A Moment Apart – ODESZA – Hannah Stater

Certaines craintes résident aussi dans le fait que l’application appartient au groupe chinois ByteDance, qui peine à rassurer certains enseignants sur la confidentialité des informations qu’elle récupère sur ses utilisateurs.

Le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) préfère Instagram ou Google Classroom en matière d’outils numériques.

« Généralement les écoles de notre conseil n’utilisent pas Tiktok. Il est vrai que nos élèves utilisent beaucoup Tiktok, mais on constate le défi de trouver des chansons francophones qu’ils connaissent à même l’application », dit-on au CEPEO.

Tous ne sont pas du même avis.

Megan Cotnam-Kappe, spécialiste en technologies éducatives et membre de la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, constate que les jeunes sont déjà sur Tiktok et adore la plateforme.

Dans une récente entrevue à ONFR+, elle affirmait que les enseignants devraient en profiter. Elle croit que les enseignants ont la responsabilité de créer des occasions en ligne pour que leurs élèves puissent bâtir une relation positive avec le français. Tiktok offre une telle occasion, dit-elle.

Damien Robitaille, vedette de Tiktok

Dans le milieu culturel, Tiktok est encore peu utilisé par les artistes franco-ontariens. Une exception notable : Damien Robitaille. Tout au long de la pandémie, le chanteur a cartonné avec ses reprises au piano de différentes chansons, dont plusieurs francophones.

@damien.robitaille

Classic French Canadian 80’s hit song with subtitles. ##RobertCharlebois ##fyp ##quebecois

♬ original sound – Damien Robitaille

« Les artistes comprennent de plus en plus que les plateformes numériques ne sont pas nécessairement une source de rémunération, mais elles permettent de les faire découvrir et d’avoir de la visibilité. Et ça, c’est précieux », note David Robquin, chargé de la distribution numérique à l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM).

Devenir viral sur ces plateformes est tout un défi pour un artiste francophone qui affronte à armes inégales des superstars anglophones, observe-t-il. « Les algorithmes des plateformes donnent de la visibilité à ceux qui sont les plus consommés, c’est un cercle vicieux », dit-il.

Mais il a confiance dans le flair musical de la jeunesse francophone.

« Oui, ils consomment plus de musique anglophone. Mais en vieillissant, ça changera. Et on travaille fort pour les séduire, notamment en créant des listes de lecture en français sur Spotify, par exemple. Il faut juste leur faire découvrir le punk en français, le rap en français ou le folk en français, puis ils sont accrochés », affirme David Robquin.