Dominique Nackers, l’amour de la ferme… et du français

Dominique Nackers est devenu le président de l'ACFO-Témiskaming en 2022. Gracieuseté.

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

EARLTON – Belgique, Québec, Ontario… Dominique Nackers aura connu plusieurs francophonies. De l’Union des cultivateurs franco-ontariens (UCFO) à l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) locale en passant par la politique municipale, ce fermier retraité est connu de la communauté de Témiskaming pour ses multiples implications et son franc-parler.

« Vous avez grandi en Belgique, pays à structure fédérale comme le Canada. Quels parallèles peut-on établir?

On peut faire pas mal de comparaisons. Ce dont je me souviens et qui m’a beaucoup marqué c’est qu’avant les Wallons étaient la partie dominante et que les Flamands étaient les ouvriers manuels. Les Wallons avaient plus le pied dans la culture, surtout avec les écoles religieuses, puis ça a changé. Maintenant, ce sont les Flamands qui ont la puissance commerciale et sont même plus fiers de leur culture, la mettent plus en avant. Les Wallons, eux, ont perdu de leur poids politique, entre guillemets.

Ce rapport de force se rapproche-t-il, selon vous, toutes proportions gardées, de celui des francophones de l’Ontario face à la majorité anglophone?

Oui effectivement. Beaucoup de Franco-Ontariens dans le Nord sont dans le secteur de la foresterie, des mines et des ressources naturelles, comme les Flamands l’étaient dans le charbonnage, les scieries… puis ça a changé. Ici, il faut défendre notre culture francophone et les Wallons aussi doivent défendre leur culture alors qu’avant ils étaient plus influents, notamment grâce à l’église justement. Et en Belgique le poids de la religion a beaucoup diminué, comme au Canada, on le sait.

Votre famille a déménagé au Canada quand vous étiez encore très jeune. Pourquoi une telle décision?

C’était pour acheter une ferme laitière. Mes parents avaient choisi Earlton, car c’était à 90 % francophone quand on est arrivé. Les terrains étaient aussi vraiment placés de manière avantageuse. Ce qui est drôle, c’est que ce n’était pas ce que l’ambassade du Canada en Belgique nous avait conseillé.

Vu que mon père était technicien en électrothermie, il voulait qu’on aille dans le Sud de l’Ontario qui était en grande demande de personnel expérimenté là-dedans. Mais on est venu pour une ferme! Il y avait aussi l’exposition universelle de 1967 qui avait lieu à Montréal et, à l’époque, ils avaient fait beaucoup de promotion pour le Canada à l’international. Mes parents pensaient à l’Australie, mais avec la publicité pour l’exposition et le fait qu’il y ait plus de fermes laitières au Canada, ils ont changé d’avis.

Vous avez été étudiant au Québec. Que retenez-vous de votre séjour dans la Belle province?

J’étais au Collège d’enseignement général et professionnel (CÉGEP) à Rouyn-Noranda parce qu’en agriculture ce n’était pas possible d’étudier en français au postsecondaire et pour rentrer à l’université au Québec, il faut passer par le cégep. C’est vraiment là que je me suis imprégné de la culture québécoise. Le CÉGEP, c’est là qu’on sort du nid familial et c’était mon cas. J’ai mûri aussi… Je vivais seul et c’est là que j’ai rencontré mon épouse. Elle est partie ensuite étudier à Québec, à l’Université Laval et j’ai fini par la rejoindre pour y étudier en agroéconomie.

Qu’est-ce qui, selon vous, différencie la francophonie du Québec de celle de l’Ontario?

En Ontario, il fallait faire valoir sa francophonie alors qu’au Québec, les gens tenaient ça pour acquis, surtout à Québec. En Ontario, ça a toujours été de tenter de gruger petit à petit des concessions de la province. Quand j’étais à Québec, les gens étaient toujours étonnés quand je leur disais que j’étais un Franco-Ontarien. C’est une ville moins cosmopolite que Montréal en plus, surtout à cette époque-là. À Rouyn-Noranda, c’était moins surprenant, si je puis dire, parce que c’est très proche de la frontière avec l’Ontario. En plus, j’avais un accent qui n’était pas tant franco-ontarien, mais plutôt belge, donc je passais plus pour un Européen.

Belge d’origine, Dominique Nackers a immigré au Québec puis en Ontario. Gracieuseté

Pourquoi avoir fait le choix de quitter de Québec pour l’Ontario?

La vie à la ferme, c’était vraiment ce que je voulais. Je n’ai pas continué en maîtrise par exemple parce que la pratique me manquait et mon chez-moi me manquait. Je voulais continuer à œuvrer pour la ferme laitière, appliquer ce que j’ai appris dans la ferme familiale.

Vous avez travaillé longuement dans le milieu agricole. Quelle évolution a connu le secteur d’après vous?

La première chose, c’est que ça s’est de plus en plus industrialisé, et d’ailleurs c’est une des raisons pour laquelle on a décidé de ne pas continuer. On n’avait pas de relève. Il fallait investir des millions. On a arrêté il y a 15-16 ans et, à ce moment-là, on parlait très peu de fermes biologiques. S’il y avait eu un marché et une mise en marché, ça aurait pu continuer avec un petit quota de lait comme il y en a maintenant avec les producteurs de lait biologique.

Vous avez été membre puis président de l’UCFO pendant une année. Avez-vous aimé votre mandat?

Oui, j’ai vraiment beaucoup aimé parce que, juste au niveau de l’identité, de notre francophonie, dans les régions comme Plantagenet ou Casselman, la culture franco-ontarienne est très forte, ce qui fait que ça m’a permis d’établir des contacts. J’ai rencontré beaucoup de personnes. Ça a été fameux pour moi et beaucoup de cultivateurs aussi.

Êtes-vous toujours impliqué ou avez un lien avec l’organisme après votre présidence?

Tant que j’étais sur la ferme, oui, d’ailleurs on a même créé un groupement de gestion agricole. En ayant un certain nombre d’agriculteurs dans le groupe, on a pu engager une agronome qui venait du Québec. Après, les cours se sont donnés en Ontario, en français. À l’époque, on n’avait pas beaucoup d’aide au niveau de la gestion. Tout le monde avait son comptable pour ses impôts, mais c’est tout. Il y avait une grosse coupure au niveau des agronomes, donc le regroupement a beaucoup aidé. Surtout au niveau du financement de plus grosses fermes agricoles, en ayant une tenue de livres, comme pour aller chercher des prêts ou des investissements. C’était une grosse affaire.

Vous avez eu un passage en politique municipale aussi. Étiez-vous intéressé par la politique?

Municipale surtout. Il manquait un conseiller, puis beaucoup de personnes sont venues me voir en me disant qu’ils me verraient bien là, car j’étais très impliqué dans plusieurs choses. Donc je suis entré assez facilement. Puis, à ce moment-là, tout se faisait en français sauf les minutes qui étaient aussi rédigées en anglais pour la province. Je suis parti après deux mandats parce que tout a changé : les réunions se faisaient en anglais, il y avait deux conseillers anglophones et la greffière aussi même si elle disait qu’elle parlait français. Ça m’a découragé. J’étais blessé, car même les anglophones étaient capables de parler en français, même si ce n’était pas très facile, mais personne n’a voulu faire plus d’efforts pour continuer en français.

La situation s’est-elle améliorée depuis?

Non, c’est devenu pire!

Lorsque vous siégiez au conseil d’administration de l’ACFO-Témiskaming, au début des années 2000, cela n’a-t-il pas fait partie des revendications justement?

Il faut savoir que l’ACFO s’est toujours tenue loin des questions politiques, que ce soit au niveau municipal ou autre. On était plus centré sur un objectif, une activité. On a fait des articles en français pour le bulletin municipal, mais on a de la chance aujourd’hui la municipalité a des employés francophones et un maire très francophone, mais de l’ancienne culture qu’il ne faut pas frustrer les anglophones. Contrairement à moi qui suis un rebelle et dois tempérer mes ardeurs.

Ça vient vraiment vous chercher?

Oui, beaucoup. Surtout que je vois qu’on perd du terrain…

Vous êtes devenu président de l’ACFO l’an dernier et avez assisté à son 50e anniversaire en octobre dernier. Que retenir de cette cérémonie?

Le gala a été vraiment bien parce que le monde a bien participé. On l’a appelé le gala de la francophonie parce qu’on ne voulait pas juste que ce soit le 50e de l’ACFO. On voyait que les gens voulaient sortir de cette pandémie. On avait un animateur qui mettait de la musique juste en français et, malgré ça, les gens sont quand même allés danser. Ça a été un vrai succès.

L’ACFO-Témiskaming a eu de gros problèmes de recrutement par le passé. La situation s’est-elle améliorée?

C’était surtout des problèmes liés à la pandémie, puis à la comptabilité mal faite. L’autre chose qui a été difficile à vivre, c’est le poste de directeur général qui était vacant durant quelques mois. Le comité d’administration a pris ça à bout de bras. En fin de compte, c’est maintenant Kalyn Banks qui est notre directrice depuis une dizaine de jours. À seulement 18 ans, cette anglophone vient de finir son secondaire et attend de retourner aux études. Vu qu’elle connaissait notre travail, elle a décidé de prendre le poste. Ce qui fait qu’on a un conseil d’administration qui a plus de 50 ans et une directrice générale qui a 18 ans. C’est le meilleur des deux mondes : la sagesse des années et l’énergie de la jeunesse!

Quels sont les projets à venir à l’ACFO-Témiskaming?

Faire des activités qui rassemblent, servir de lien avec organismes francophones et se faire connaître auprès des organismes anglophones, créer le plus possible de lien avec la communauté et aider à l’accueil des nouveaux arrivants. C’est vraiment important et les intégrer aussi. »


LES DATES-CLÉS DE DOMINIQUE NACKERS :

1954 : Naissance à Namur (Belgique)

1968 : Déménagement à Earlton (Ontario)

1987 : Devient président de l’UCFO pour la région de Témiskaming

2012 : Accède au poste de conseiller municipal pour le canton d’Armstrong

2022 : Devient président de l’ACFO-Témiskaming

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.