Rentrée à Queen’s Park : quels dossiers prioritaires?

Découvrez la vidéo du résumé de la semaine à Queen's Park par Jean-François Morissette.
Queen's Park. Crédit image: Maxime Delaquis

TORONTO – La rentrée parlementaire, ce lundi, est particulièrement attendue. Le gouvernement de l’Ontario s’est fait désirer depuis la réélection du Parti progressiste-conservateur, le 2 juin dernier. Après avoir découvert les 30 ministères et les nombreux domaines de compétences, certains secteurs ont déjà du pain sur la planche. Quels dossiers vont être prioritaires?

Le gouvernement fera face à une opposition très faible à Queen’s Park. Sa majorité écrasante devrait permettre à Doug Ford de mettre en œuvre son agenda législatif sans trop d’obstacles. Les deux autres partis, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti libéral, doivent pour l’heure se contenter de chefs par intérim. « Doug Ford a le vent dans les voiles », image Emmanuelle Richez, politologue et professeure en science politique à l’Université de Windsor.

Dans un premier temps, elle souligne l’importance de la nomination du président de la chambre. « C’est le premier item à l’ordre du jour ce lundi », annonce-t-elle, « les progressistes-conservateurs veulent que ce soit Nina Tangri – l’ancienne ministre associée déléguée aux Petites Entreprises et à la Réduction des formalités administratives – elle deviendrait ainsi la première femme présidente à l’Assemblée législative de l’Ontario ».

La politologue Emmanuelle Richez
Emmanuelle Richez, professeure et politologue à l’Université de Windsor. Gracieuseté

Mme Richez ajoute à ce sujet que le gouvernement souhaiterait qu’elle soit nommée à l’unanimité et que toute l’opposition appuie ce choix. « Ils ont menacé le NPD de perdre des vices présidences dans certains comités parlementaires, s’ils n’appuient pas leur candidate. »

« C’est du jamais vue! », renchérit-elle. « S’ils veulent à tout prix que le NPD appuie leur candidate, c’est qu’ils veulent vraiment que ce soit un moment historique », déduit-elle.

L’immigration et l’emploi

L’Ontario fait face à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Doug Ford au début du mois de juillet rencontrait ses 13 homologues des provinces et territoires du Canada. Lors de cette rencontre, il disait notamment qu’il y avait plus de 378 000 emplois disponibles en Ontario

« Le gouvernement veut pallier cette pénurie via l’immigration et Doug Ford souhaite plus de pouvoir sur ce dossier. » Un peu comme le modèle québécois. « L’immigration est du ressort du fédéral et une nouvelle entente devra être conclue pour que ce dernier délègue plus de pouvoir à la province », confirme Emmanuelle Richez, tandis que les portefeuilles de l’immigration et de l’emploi ont regroupés sous l’égide du ministre Monte McNaughton. 

Monte McNaughton, ministre du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences.
Monte McNaughton, ministre du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences. Archives ONFR+

« Nous devrions en savoir plus cet automne », soutient la politologue. « C’est une tendance que l’on voit depuis les 25 dernières années. Le Québec a signé la première entente importante en 1991, l’accord Gagnon-Tremblay-McDougall et depuis les autres provinces ont demandé plus de pouvoirs. »

Le logement

Au niveau des Affaires municipales, le gouvernement Ford a l’intention de donner plus de pouvoir aux maires de Toronto et Ottawa. « La raison officielle qui est donnée et d’offrir plus de pouvoirs à ces municipalités, pour construire plus de logements et ainsi pallier la crise dans ce domaine. » On pourrait donc voir un projet de loi qui serait déposé à l’Assemblée prochainement.

Le gouvernement est en effet dans une phase de construction, les annonces se sont multipliées depuis la campagne électorale. Ce qui s’avère compliqué dans ce dossier, explique la professeure, « c’est que de nombreux entrepreneurs retardent la construction en raison de l’inflation, en plus du manque de main-d’œuvre, du prix des matériaux et des retards de livraisons ». Plusieurs éléments démontrent qu’il va être difficile pour Doug Ford de bâtir 1,5 million de logements d’ici à dix ans. Une promesse maintes fois annoncée durant les élections provinciales.

L’éducation

« Sur ce dossier, la société civile grogne et Doug Ford est sensible à l’opinion publique », assure Emmanuelle Richez. Bien que durant les quatre dernières années, l’éducation ne semblait pas être le fer-de-lance du gouvernement, il se pourrait qu’à présent ce dossier ressurgisse. « En effet, il y a des négociations en cours pour le renouvellement des conventions collectives avec les enseignants et les travailleurs du milieu de l’éducation, c’est un sujet qui va retenir l’attention. »

« On veut éviter que les enseignants partent en grève aussi et fragilisent la rentrée scolaire. » La politologue rappelle notamment que les élèves ontariens sont parmi ceux qui, en Amérique du Nord, ont manqué le plus de jours d’école en présentiel, durant la pandémie.

Le ministre de l'Éducation de l'Ontario, Stephen Lecce.
Le ministre de l’Éducation de l’Ontario, Stephen Lecce. Crédit image : Jackson Ho.

Ajouter à cela que le ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, a été reconduit malgré la controverse ayant entaché sa réputation, « sa nomination est peut-être un indice comme quoi l’éducation n’est pas la priorité de Ford en ce moment », souligne encore Mme Richez. Le ministère propose un plan de rattrapage scolaire et de retour en force pour le mois de septembre. 

La santé

« Nous sommes en état de crise, notamment avec la fermeture de nombreuses urgences. » Une crise attribuable a un manque de personnel. « M. Ford devrait enlever le plafonnement des salaires pour les infirmières (Loi 124) et offrir un deuxième bonus dès septembre », anticipe la politologue.

Peter Bethlenfalvy, ministre des Finances Crédit image : Jackson Ho

« Je pense qu’il va y avoir beaucoup de pression sur le dossier de la santé », alerte-t-elle. « M. Ford gouverne beaucoup par sondage et se laisse guider par l’opinion publique. Il ajuste le tir quand des mesures sont impopulaires. »

Sur la question pandémique, les experts s’attendent à une vague plus virulente cet automne, mais pour la politologue, les gens semblent passer à autre chose. « L’État n’imposera plus vraiment de mesures. Ils ont aussi l’œil sur les cas de variole simienne. »

Ce qui va occuper le gouvernement dans ce dossier, c’est la nécessité d’une plus grande capacité de lits dans les hôpitaux, embaucher et garder les travailleurs de la santé « il faudra donc que le gouvernement réévalue les conditions de travail et les salaires ».

Un autre enjeu ici, « c’est la reconnaissance des acquis et la mise à jour des diplômes issus de l’immigration ».

L’abordabilité

Le budget précédent, déposé au printemps, comprenait plusieurs mesures qui vont être réitérées. Pour s’y attaquer, le gouvernement compte réévaluer à la hausse le Programme de soutien aux personnes handicapées.

« Il pourrait y avoir d’autres surprises, mais en même temps la province n’est pas dans une bonne position fiscale », explique l’experte, « après deux ans de pandémie, ça m’étonnerait qu’on donne plus aux citoyens ».

Pour Mme Richez, le problème de l’inflation est hors du contrôle de la province. La cause étant les crises à l’international, « les leviers macro-économiques sont ici de compétence fédérale ».

La taxe sur l’essence coupée jusqu’en décembre est une mesure temporaire. Pourtant, dans le même ordre d’idées, l’hydro-électricité en Ontario est très subventionnée par l’état provincial depuis les années Wynne. « Ford n’a pas baissé ces subventions et donc les Ontariens ne paient pas le véritable prix. »

Le gouvernement compte améliorer le pouvoir d’achat en proposant la gratuité du péage sur les autoroutes et l’abolition des frais de renouvellement des plaques d’immatriculation, entre autres. Ce qu’il a amplement fait savoir durant les élections provinciales.

« Je ne m’attends pas à ce qu’il y ait des mesures extraordinaires », avoue Mme Richez. « Il possède sa majorité parlementaire, il n’a pas besoin d’en faire plus ». 

À noter cependant que les prévisions budgétaires vont être ajustées prochainement et si les recettes sont plus élevées que prévu, Doug Ford pourrait faire de nouvelles dépenses ou couper dans les impôts. « Avec l’inflation, les coffres de l’État se remplissent plus vite », indique Emmanuelle Richez.

Que ce soit sur les questions de l’immigration, de la santé, et même du logement, « il risque d’y avoir une intensification des relations provinciales-fédérales, puisqu’il y a beaucoup de dossiers chauds qui impliquent le fédéral ».

La politologue rappelle aussi qu’il pourrait y avoir des surprises, puisque la question des nouveaux pouvoirs aux maires de Toronto et Ottawa n’a jamais été évoquée durant la période électorale. « En 2018, lorsque Doug Ford avait décidé d’abolir la moitié des districts électoraux à Toronto, on se souvient que cela n’avait jamais été mentionné lors de la campagne. »

Le discours du Trône, qui interviendra mardi, au lendemain du retour en chambre, sera suivi dans la foulée du dépôt du budget. Ces deux interventions donneront le ton et le tempo de la politique du gouvernement.