Doug Ford face à la COVID-19 : le cœur a ses raisons

Le premier ministre Doug Ford lors d'un point de presse. Capture écran ONFR+

[ANALYSE]

TORONTO – Il y a deux ans jour pour jour, Doug Ford multipliait les bains de foule lors de la campagne des élections provinciales. Pugnace, fort en gueule, le futur premier ministre promettait de lutter contre les élites, et d’assainir les finances publiques.

Changement d’attitude en mai 2020, alors que le coronavirus plonge le monde entier dans l’incertitude. Au ton martial et belliqueux du printemps 2018, c’est un Doug Ford à priori plus empathique qui se présente quotidiennement en conférence de presse.

Au cours des derniers jours, en refusant de nouveau de rouvrir les écoles au mois de juin, en balayant d’un revers de main l’idée d’un déconfinement géographique, puis en n’excluant pas de revenir sur ce même déconfinement amorcé le 19 mai, Doug Ford a fait montre d’une grande prudence.

De quoi alimenter les débats sur sa métamorphose. Ses formules récurrentes quant à ses insomnies, ou son souci permanent de la santé des élèves, contribuent à lui forger l’image d’un homme de cœur.

Des contaminations quotidiennes qui ne baissent pas

L’un des plus célèbres aphorismes de la langue française affirme que « le cœur a ses raisons que la raison ignore ». En politique cependant, le cœur a ses raisons que rarement la raison ignore. Et dans l’ensemble, Doug Ford ne possède pas une large marge de manœuvre dans cette crise.

Au cours des derniers jours, les chiffres de l’évolution de l’épidémie n’ont pas été bons. Après une éclaircie avec moins de 300 cas observés le 10 mai, le nombre de contaminations quotidiennes ne fléchit pas, coincé entre 400 et 500.

Autre inquiétude : la cible provinciale de 20 000 tests n’est atteinte que de moitié. Cette insuffisance est d’autant plus préjudiciable que le dépistage est la condition sine qua non pour réussir le traçage de population, rendu doublement nécessaire dans une période de déconfinement.

Ces chiffres pessimistes douchent sans doute les espoirs de Doug Ford d’envisager une réouverture des écoles, des garderies, des salles de restaurant ou encore des centres commerciaux. Des explications qui s’ajoutent à celle de la personnalité « Toronto-centriste » du leader de la Ford Nation, pour qui, ce qui se passe dans la Ville reine vaut souvent pour toute la province.

Responsabilité du premier ministre

Vêtu souvent d’un simple t-shirt noir lors des conférences de presse, surjouant parfois l’émotion, et n’hésitant pas à taper sur les bureaux locaux de santé publique pour se plaindre du nombre de tests, Doug Ford poursuit en réalité le slogan « For the People » qui l’avait mené au pouvoir en juin 2018.

Mais le premier ministre, à défaut d’être coupable, n’est pas moins responsable de cette faillite collective.

Comme l’a indiqué l’excellent article de Natasha MacDonald-Dupuis de Radio-Canada, le retard de l’Ontario dans la production de tests résulte entre autres du gel depuis des années des budgets des laboratoires de Santé publique Ontario. Avant la COVID-19, le travail de ces mêmes laboratoires n’aurait pas été coordonné avec leurs homologues privés et hospitaliers.

Aussi, à l’heure où environ deux tiers des 2073 décès en Ontario proviennent des résidents des foyers de soins de longue durée, des questions s’imposent face à l’absence de lits dans ces établissements, et les rémunérations trop faibles des employés, selon les syndicats d’infirmières.

Pour vaincre le coronavirus, l’Ontario a certes besoin d’un premier ministre prudent et empathique. Encore faut-il accepter les ratés des précédentes années pour mieux contrer cette épidémie inédite.

Cette analyse est aussi publiée sur le site du quotidien Le Droit le 25 mai.